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Le silence de la corvette voulait donc dire autre chose.

— Naomi, j’ai le pressentiment que cet appareil va essayer de nous détruire, dit Holden avec une certaine lassitude.

— C’est ce que je ferais, moi, répondit-elle.

Il termina un dernier rythme complexe sur l’accoudoir de son siège avant de mettre ses écouteurs.

— Très bien, alors je crois que je vais faire le premier pas.

Ne souhaitant pas rendre l’échange public, il visa la corvette terrienne avec le système laser du Rossinante et signala une demande standard de liaison. Après quelques secondes, le voyant correspondant passa au vert, et un faible crachotement de parasites envahit ses écouteurs. Il attendit, mais le vaisseau des Nations unies ne se manifesta pas autrement. Ils voulaient qu’il soit le premier à parler.

Il coupa le micro et passa sur le système comm interne du vaisseau.

— Alex, faites-nous bouger. Un g pour l’instant. Si je n’arrive pas à bluffer ce type, ça va être à celui qui tire le premier. Soyez prêt.

— Compris, dit le pilote de sa voix traînante. On prend le jus, juste au cas où.

Holden jeta un œil du côté du poste qu’occupait Naomi, mais elle avait déjà basculé sur son écran tactique et faisait défiler les solutions de tirs et de blocage sur les deux vaisseaux pour le Rossi. La jeune femme n’avait participé qu’à une seule bataille, mais elle agissait maintenant avec l’assurance d’un vétéran. Il sourit alors qu’elle lui tournait le dos, et pivota sur son siège avant qu’elle sente qu’il l’observait.

— Amos ? dit-il.

— Verrouillé et en ordre ici, chef. Le Rossi ronge son frein. Allons botter quelques culs.

Espérons ne pas devoir en arriver là…, songea Holden.

Il ralluma le micro couplé au faisceau laser.

— Ici le capitaine Holden, du Rossinante, qui appelle le capitaine de la corvette de la Flotte des Nations unies en approche, code d’identification inconnu. Veuillez répondre.

Il y eut un moment d’attente pendant lequel on n’entendit que le crépitement des parasites, puis :

— Rossinante. Quittez immédiatement notre trajectoire. Si vous ne vous écartez pas d’Éros le plus vite possible, vous serez pris pour cible.

La voix était jeune. Diriger une corvette d’un modèle vieillissant chargée de la tâche fastidieuse de suivre partout un vaisseau scientifique qui établissait la carte des astéroïdes ne devait pas être une mission très recherchée. Le commandant de cette unité d’escorte était certainement un lieutenant sans protecteur ni perspectives d’avenir. Il serait inexpérimenté, mais il pouvait voir dans un affrontement l’occasion de prouver sa valeur à ses supérieurs. Et cette éventualité risquait de rendre leur navigation périlleuse dans les minutes à venir.

— Désolé, répondit Holden. Je ne connais toujours pas votre identification. Mais je ne peux pas faire ce que vous demandez. En fait, je ne peux laisser personne accoster Éros. Je vais donc vous enjoindre d’interrompre votre approche de la station.

— Rossinante, je ne pense pas que vous…

Holden prit le contrôle du système de visée du Rossi et pointa le laser sur la corvette.

— Laissez-moi vous expliquer ce qui se passe, dit-il. En ce moment même, vous regardez les écrans de vos senseurs et vous voyez ce qui ressemble à un transport de gaz rafistolé qui correspond aux données de votre logiciel d’identification. Et subitement – je veux dire par là : maintenant –, ce vaisseau pointe sur vous le faisceau de son système d’acquisition de cible dernier cri.

— Nous ne…

— Ne mentez pas. Je sais que c’est ce qui se passe pour vous. Donc, voici le marché : en dépit des apparences, mon vaisseau est plus récent, plus rapide, plus résistant et mieux armé que le vôtre. La seule manière pour moi de vous prouver que c’est vrai serait d’ouvrir le feu, et j’espère ne pas devoir le faire.

— Vous me menacez, Rossinante ? dit la voix juvénile dans les écouteurs d’Holden, avec juste ce qu’il fallait d’arrogance et d’incrédulité.

— Vous ? Non, affirma le Terrien. Je menace le gros lourdaud de vaisseau non armé que vous protégez. Vous continuez de faire route vers Éros et je lui balancerai tout ce que j’ai comme puissance de feu. Je vous garantis qu’en ce cas j’effacerai du ciel jusqu’au souvenir de ce labo scientifique volant. Bien sûr, il est possible que vous nous détruisiez pendant que nous ferons ça, mais votre mission sera un échec, vous êtes bien d’accord ?

La ligne redevint silencieuse, avec seulement le sifflement bas en fond sonore pour lui prouver que son casque était toujours en fonction.

Quand la réponse vint, ce fut sur le circuit interne du Rossi :

— Ils mettent en panne, chef, annonça Alex. Ils ont commencé à décélérer. D’après mes données, ils seront en position fixe à environ deux millions de kilomètres. Vous voulez que je continue de nous rapprocher d’eux ?

— Non, ramenez-nous à notre position stationnaire près d’Éros, répondit Holden.

— Bien reçu.

Le Terrien fit pivoter son siège vers Naomi.

— Ils font autre chose ?

— Rien que je détecte à travers les émissions résiduelles de leurs moteurs. Mais ils pourraient établir des contacts par faisceau de ciblage dans la direction opposée sans que nous en sachions jamais rien.

Il coupa le circuit comm interne, se gratta la tête un instant, et déboucla son harnais.

— Bon, nous les avons stoppés, au moins pour le moment. Je vais contacter la hiérarchie et ensuite aller chercher un truc à boire. Tu veux quelque chose ?

* * *

— Il n’a pas tort, tu sais, dit Naomi plus tard cette même nuit.

Holden flottait à zéro g sur le pont des ops, non loin de son poste. Il avait tamisé l’éclairage, et tout baignait dans une lumière aussi douce que celle d’un clair de lune. Alex et Amos dormaient deux niveaux plus bas. Ils auraient tout aussi bien pu se trouver à un million d’années-lumière. Naomi était suspendue à deux mètres de son propre poste, et ses cheveux défaits ondulaient autour d’elle, tel un nuage sombre. Le panneau derrière elle éclairait son visage de profil : le front haut, le nez aplati, les lèvres larges. Il voyait qu’elle avait les yeux clos. Il avait l’impression qu’ils étaient les deux seules personnes à exister dans tout l’univers.

— Qui n’a pas tort ? demanda-t-il, juste pour dire quelque chose.

— Miller, répondit-elle comme si c’était évident.

— Je ne vois pas du tout de quoi tu parles.

Elle rit, puis frappa le vide du plat de la main pour pivoter et lui faire face. Elle avait ouvert les yeux, quoiqu’ils ne soient que des puits noirs dans son visage, à cause des lumières du panneau derrière elle.

— J’ai réfléchi à Miller, dit-elle. Je n’ai pas été correcte avec lui sur Tycho. Je lui ai battu froid parce que tu étais en colère contre lui. Je lui devais un meilleur traitement.

— Pourquoi ?

— Il nous a sauvé la vie, sur Éros.

Il grommela quelque chose d’incompréhensible, mais elle continua :

— Quand tu servais dans la Flotte, qu’étais-tu censé faire si quelqu’un à bord perdait la tête ? Que cette personne commençait à faire des choses qui mettaient tout le monde en danger ?