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— … êtes, êtes, êtes, ÊTES, ÊTES, ÊTES…

N’êtes pas, songea Miller, et le vaisseau fit soudain un saut ascendant qui laissa son estomac trente centimètres plus bas que sa position naturelle. Une série de claquements sonores suivit, puis il y eut le geignement bref d’une alarme.

— Dieu ! Dieu ! s’écria quelqu’un. Des son vamen roja ! Ils vont griller it ! Griller us toda !

Il y eut les petits rires polis qui avaient salué cette plaisanterie répétée tout au long du voyage par le même garçon – un Ceinturien boutonneux qui n’avait pas quinze ans –, ravi de son propre humour. S’il n’arrêtait pas cette litanie bientôt, quelqu’un allait l’assommer avec un outil bien lourd avant leur retour sur Tycho. Mais Miller n’envisageait pas d’être ce quelqu’un.

Une secousse violente l’écrasa subitement au fond de son siège, puis la gravité revint à l’habituel 0,3 g habituels. Peut-être un peu plus. Sauf qu’avec les sas orientés vers le bas du vaisseau, le pilote devait d’abord agripper la peau en rotation du ventre d’Éros. La gravité due à la rotation transforma en plancher ce qui avait été le plafond, et les couchettes du niveau inférieur se retrouvèrent au-dessus des autres. Et pendant qu’ils fixeraient les bombes nucléaires aux quais, ils devraient tous escalader un rocher sombre et glacé qui s’évertuait à les précipiter dans le vide.

Telles étaient les joies du sabotage.

Miller enfila sa combinaison. Après les modèles de type militaire du Rossinante, ceux de l’équipement disparate fourni par l’APE donnaient l’impression d’être des tenues de troisième main. La sienne sentait encore l’odeur corporelle de son occupant précédent, et la visière en mylar était marquée d’une déformation là où elle s’était fendillée et avait été réparée. Il préférait ne pas penser à ce qui était advenu du pauvre type qui avait porté cette combinaison avant lui. Les bottes à semelles magnétiques avaient une épaisse couche de plastique rongé, de boue entre les plaques et un mécanisme déclencheur si vieux que Miller pouvait l’entendre cliqueter avant même de bouger le pied. Il eut l’image de la combinaison se collant à Éros pour ne plus jamais s’en détacher.

Cette pensée le fit sourire. Ta place est auprès de moi, lui avait dit sa Julie personnelle. C’était vrai, et maintenant qu’il se trouvait là, il avait la certitude absolue qu’il ne repartirait pas. Il avait été flic trop longtemps, et la perspective de tenter de se rebrancher sur l’humanité l’emplissait d’un pressentiment d’épuisement. Il était là pour accomplir la dernière phase de son boulot. Ensuite, il en aurait fini.

—  ! Pampaw !

— J’arrive. Du calme. Ce n’est pas comme si cette station allait filer quelque part.

— Un arc-en-ciel est un cercle qu’on ne peut pas voir. Peut pas voir. Peut pas voir, dit Éros d’une voix chantante d’enfant.

Miller baissa le volume de la transmission.

La surface rocheuse de la station n’offrait pas de prise particulière pour les combinaisons ou les engins de manipulation à distance. Deux autres vaisseaux s’étaient posés aux pôles, où il n’y avait pas à lutter contre la gravité due à la rotation, mais la force de Coriolis donnerait à tout le monde une vague sensation de nausée. L’équipe de Miller devait se limiter aux plaques métalliques exposées du quai, s’y collant comme des mouches regardant l’abîme piqueté d’étoiles sous eux.

La pose des bombes nucléaires n’était pas une mince affaire. Si les charges ne propulsaient pas assez d’énergie dans la station, la surface risquait de refroidir suffisamment pour laisser la possibilité à quelqu’un d’y faire débarquer une équipe de scientifiques avant que la pénombre du soleil l’avale ainsi que les débris du Nauvoo qui y adhéreraient encore. Même avec le concours des meilleurs cerveaux de Tycho, il subsistait toujours un risque que les détonations ne soient pas synchronisées. Si les vagues de pression parcourant la roche s’amplifiaient selon des schémas qu’ils n’avaient pas envisagés, la station risquait de s’ouvrir comme un œuf et de répandre la protomolécule dans l’immensité du système solaire comme on disperse une poignée de poussière dans l’air. La différence entre la réussite et le désastre tenait littéralement à une question de mètres.

Miller sortit du sas et passa sur la surface de la station. La première vague de techniciens installait les sismographes à résonance, et l’éclat des projecteurs et des écrans constituait le phénomène le plus lumineux de l’univers. Miller posa les pieds sur une large plaque en alliage céramique-acier et laissa la rotation éliminer les crispations dans son dos. Après des jours entiers passés sur la couchette anti-crash, cette liberté était euphorisante. Une des techniciennes leva les deux mains, le geste ceinturien traditionnel pour demander l’attention. Miller rehaussa le volume sonore de sa radio.

— … insectes rampant sur ma peau…

D’un geste impatient, il bascula des émissions d’Éros au canal comm de l’équipe.

— Il faut bouger, dit une voix féminine. Trop de panneaux de protection ici. Nous devons aller à l’autre extrémité des quais.

— Les quais s’étendent sur près de deux kilomètres, fit-il remarquer.

— Exact, répondit-elle. Nous pouvons nous désamarrer et déplacer le vaisseau grâce à ses moteurs, ou bien le remorquer. Nous avons assez de filins de treuillage.

— Quelle méthode est la plus rapide ? Nous ne disposons pas de beaucoup de temps.

— Le remorquage.

— Alors remorquez.

Lentement, le vaisseau s’éleva, et vingt petits drones de transport s’accrochèrent aux filins comme s’ils tiraient un grand dirigeable en métal. L’appareil allait rester avec lui ici, sur la station, attaché à la roche tel un sacrifice fait aux dieux. Miller accompagna l’équipe qui traversa les larges portes closes de la soute. Les seuls sons audibles étaient le claquement de ses semelles quand les électroaimants collaient à la surface, puis un déclic sec quand elles s’en séparaient ; les seules odeurs, celles de son propre corps et la senteur de plastique neuf du recycleur d’air. Le métal sous ses pieds luisait comme si quelqu’un l’avait briqué. Tout grain de poussière, tout gravier avait été précipité dans l’infini depuis longtemps.

Ils s’affairèrent à placer le vaisseau, à armer les bombes et à régler les codes de sécurité, et chacun était conscient que le missile géant qui avait été le Nauvoo se ruait vers eux.

Si un autre appareil se posait et tentait de désamorcer le dispositif nucléaire, le vaisseau enverrait des signaux synchronisés à toutes les autres unités piégées de l’APE qui parsemaient la surface du satellite. Et trois secondes plus tard, la surface d’Éros serait totalement nettoyée.

Les réserves d’air et de provisions furent débarquées, attachées ensemble et préparées pour leur récupération. Il n’y avait aucune raison de gaspiller ces ressources.

Aucune abomination ne surgit en rampant d’un sas pour attaquer l’équipe, ce qui au final rendit totalement superflue la présence de Miller pendant cette mission. Ou peut-être pas. Peut-être avait-il simplement profité du transport.