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James White

L’hôpital des étoiles

Secteur Général — 1

« Hospital Station », 1962

Traduit de l’anglais par Jean-Pierre Pugi

Librairie des Champs-Elysées,

coll. Le Masque Science-Fiction n° 91,

2ème trimestre 1979

Illustration de Philippe Caza

ISBN : 2-7024-0899-0

PREMIÈRE PARTIE :

DOCTEUR

I

L’extra-terrestre qui se trouvait dans la cabine de O’Mara pesait approximativement une demi-tonne. Il possédait six courts appendices trapus qui lui servaient à la fois de bras et de jambes, et sa peau pouvait être comparée à une cuirasse flexible. Etant donné qu’il était originaire de Hudlar, un monde à la gravité quatre fois plus forte que celle de la Terre et à la pression atmosphérique près de sept fois plus importante, de telles caractéristiques physiques n’étaient guère surprenantes. Mais O’Mara savait que, malgré sa force, cette créature était sans défense. Elle n’avait que six mois et elle venait d’assister à la mort horrible de ses parents lors d’un accident sur le chantier de construction, et son cerveau était déjà suffisamment développé pour que cette vision l’eût traumatisé.

— J’ai a-a-amené le gosse, déclara Waring. ( L’opérateur de rayons tracteurs haïssait O’Mara à juste titre, mais il s’efforçait de ne pas exulter. ) C’est Ca-Ca-Caxton qui m’envoie. Il dit que comme vous ne pouvez pas effectuer votre travail habituel, à cause de votre jambe, vous pourrez surveiller le gosse jusqu’à ce qu’une autre de ces créatures arrive de sa planète natale. Elle est déjà en route, à pré-présent …

Waring n’acheva pas sa phrase. Il vérifiait les fermetures de sa combinaison spatiale et semblait impatient de s’en aller avant que O’Mara pût aborder le sujet de l’accident.

— J’ai apporté un peu de sa nourriture habituelle, ajouta-t-il rapidement. Elle se trouve dans le sas.

O’Mara hocha la tête sans rien dire. C’était un jeune homme accablé par un physique qui révélait qu’il avait été victorieux dans toutes les rixes auxquelles il avait été mêlé, et dont le nombre avait été fort important depuis quelques temps, et par un visage aussi carré, lourd, et dur, que son corps musclé. Il savait que s’il laissait apparaître à quel point cet accident l’avait affecté, Waring penserait sans doute qu’il jouait la comédie. O’Mara avait découvert depuis longtemps que les hommes ayant son physique ne sont pas censés avoir des sentiments humains.

Juste après le départ de Waring, il se rendit dans le sas pour y prendre le pistolet à peinture indispensable pour nourrir les Hudlariens se trouvant loin de leur planète d’origine. Alors qu’il vérifiait l’appareil ainsi que son réservoir de rechange, O’Mara essaya de se remémorer le récit qu’il devrait faire à Caxton, le chef de section, lorsqu’il arriverait. Depuis le sas, il fixait tristement les pièces du puzzle gigantesque qui s’étendait sur quatre-vingts kilomètres carrés d’espace extérieur, et il essayait de réfléchir. Mais son esprit ne parvenait pas à se concentrer sur l’accident, et ses pensées revenaient toujours à ce qui l’attendait dans un futur proche, ou lointain.

L’immense structure qui prenait lentement forme dans le secteur galactique numéro douze, à mi-chemin entre la bordure de cette Galaxie et les systèmes extrêmement peuplés du Grand Nuage de Magellan, deviendrait un hôpital — un hôpital qui supplanterait tous les hôpitaux déjà existants. Des centaines d’environnements différents y seraient soigneusement reconstitués, avec tous les extrêmes de chaleur et de froid, de pression et de gravité, de radioactivité ou d’atmosphère, nécessaires aux patients et aux équipes médicales qui s’y trouveraient. La construction d’une structure aussi démesurée et complexe nécessitait des moyens qu’aucune planète n’aurait pu fournir à elle seule, et des centaines de mondes avaient participé à la fabrication des sections de cet hôpital, et les avaient transportées jusqu’au point d’assemblage.

Mais reconstituer le puzzle n’était pas une tâche aisée.

Chaque monde concerné disposait de copies du plan d’ensemble. Mais en dépit de cela, et sans doute parce que les plans devaient être traduits en autant de langues et de systèmes de mesure différents, de nombreuses erreurs se produisaient. Des sections qui auraient dû parfaitement s’assembler devaient souvent être modifiées afin que leur jonction pût être effectuée convenablement : ce qui nécessitait d’innombrables réunions et séparations des éléments à l’aide des rayons tracteurs et presseurs. Le travail des opérateurs de rayons était très délicat, car bien que le poids des sections fût nul en apesanteur, leur masse et leur inertie étaient énormes.

Et un être suffisamment malchanceux pour se retrouver coincé entre les faces jointives de deux sections en cours d’assemblage devenait, quelle que fût la résistance de l’espèce à laquelle il appartenait, la représentation presque parfaite d’un corps à deux dimensions.

Les créatures qui avaient perdu la vie, lors de l’accident, appartenaient à une espèce robuste et résistante, de la classification FROB pour être exact. Les Hudlariens adultes pesaient environ deux tonnes terrestres et possédaient un tégument incroyablement résistant mais flexible qui, tout en les protégeant des pressions locales et étrangères, leur permettait de vivre et de travailler confortablement dans n’importe quelle atmosphère à la pression moindre, y compris dans le vide de l’espace. De plus, ces êtres possédaient le plus haut niveau connu de tolérance aux radiations, ce qui les rendait extrêmement précieux durant l’assemblage des générateurs nucléaires.

De toute façon, la perte de deux êtres aussi indispensables aurait rendu Caxton fou furieux. O’Mara soupira avec accablement, et il estima qu’il lui faudrait trouver un argument plus valable pour se sentir soulagé. Il jura, puis il prit le pistolet nourrisseur et revint dans sa chambre.

Normalement, les Hudlariens absorbaient directement leur nourriture par osmose, à travers leur peau, en la puisant dans l’atmosphère épaisse et dense de leur planète. Mais sur tous les autres mondes, et à plus forte raison dans l’espace, il fallait asperger à intervalles réguliers leur peau absorbante de nourriture concentrée. On pouvait voir sur les flancs du jeune extra-terrestre de grandes plaques nues, et en d’autres endroits la précédente couche de nourriture s’était considérablement réduite. O’Mara en déduisit que l’enfant avait à nouveau besoin d’être nourri. Il s’en approcha le plus près possible, tout en maintenant une certaine marge de sécurité entre lui et la créature, puis il commença à l’asperger méticuleusement.

Le jeune FROB parut trouver du plaisir à être ainsi peint de nourriture. Il cessa de se pelotonner dans l’angle de la pièce et, sous le coup de l’excitation, il commença à sautiller maladroitement dans la petite chambre. O’Mara dut alors s’efforcer d’atteindre un objet en mouvement rapide, tout en faisant des bonds violents pour l’esquiver, et ces manœuvres acrobatiques eurent pour résultat de faire encore augmenter les douleurs lancinantes qu’il ressentait dans sa jambe.

Toute la surface interne de sa cabine était pratiquement couverte par la bouillie visqueuse, à l’odeur âcre, ainsi que la peau du nourrisson extra-terrestre à présent apaisé, lorsque Caxton arriva.

— Qu’est-ce qui se passe, ici ? demanda le chef de section.

Les hommes qui travaillaient dans les chantiers de construction de l’espace étaient généralement des êtres simples, peu compliqués, dont les réactions étaient facilement prévisibles. Caxton appartenait à cette catégorie de personnes qui demandaient toujours ce qui se passait alors que ( comme à présent ) elles le savaient fort bien, surtout lorsque de telles questions inutiles agaçaient leur interlocuteur. O’Mara pensait qu’en d’autres circonstances il aurait pu trouver le chef de section très sympathique, mais entre Caxton et lui la situation s’était déjà irrémédiablement dégradée.