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Apparemment, la seule solution constituait en des filtres nasaux, se dit-il comme il refaisait en sens inverse le chemin qu’il venait de parcourir.

Dans le sas, il fut accueilli par un son semblable à celui qu’aurait émis une petite corne de brume. Cela retentissait en explosions longues et discordantes qui ne laissaient entre elles qu’un laps de temps à peine suffisant pour faire redouter l’arrivée de la suivante. Un examen rapide révéla l’apparition de plaques nues de peau sous la dernière couche de nourriture, et O’Mara en déduisit que son petit protégé avait à nouveau faim. Il retourna chercher le pistolet pulvérisateur.

Lorsqu’il eut couvert environ trois mètres carrés d’épiderme, il dut interrompre son travail. Le Dr. Pelling arrivait.

Le médecin n’ôta que son casque et ses gants, puis il assouplit ses doigts gourds et grommela :

— Votre jambe doit vous faire souffrir. Voyons un peu …

Pelling n’aurait pu être plus doux, en examinant la jambe blessée de O’Mara, mais il était visible qu’il ne faisait que son devoir et que son patient ne lui inspirait aucune compassion. Sa voix était distante, lorsqu’il expliqua :

— Des contusions sérieuses et deux tendons froissés, c’est tout. Vous avez eu de la chance. Il vous faut du repos. Je vais vous donner de quoi vous faire des massages. Vous repeignez votre intérieur ?

— Quoi ? … commença O’Mara avant de suivre le regard du médecin. Oh, c’est de la nourriture. Le petit n’a pas arrêté de bouger, tandis que je l’aspergeais. Mais à propos du gosse, est-ce que vous pourriez me dire …

— Non, je regrette. Mon cerveau est déjà suffisamment surchargé par les maux et les remèdes de ma propre espèce, sans que j’essaye de le bourrer avec les bandes physiologiques FROB. De plus, ces êtres sont tellement robustes que rien ne peut leur arriver ! ( Il renifla bruyamment, puis il fit une grimace. ) Pourquoi ne le laissez-vous pas à l’extérieur ?

— Certaines personnes ont le cœur trop tendre, répondit O’Mara avec amertume. Elles sont horrifiées à la vue de certains actes de cruauté apparente, comme lorsqu’on soulève un chaton par la peau du dos …

— Humpf, dit le docteur qui semblait presque compatir. Eh bien, c’est votre problème, pas le mien. Je vous reverrai dans deux semaines.

— Attendez ! cria O’Mara qui boitillait derrière lui. Et s’il se passe quelque chose ? Il doit bien exister des règles concernant les soins à apporter à ces créatures, de simples règles. Vous ne pouvez pas me laisser …

— Je vois ce que vous voulez dire, dit Pelling qui réfléchit un instant avant d’ajouter : je dois avoir un bouquin quelque part, une sorte de manuel de première urgence hudlarien. Mais il est écrit en universel, et …

— Je lis l’universel, répondit O’Mara.

Pelling sembla surpris.

— Vous êtes doué. C’est bon, je vais vous le faire parvenir.

Il hocha rapidement la tête et sortit.

O’Mara ferma la porte de la chambre dans l’espoir que cela pourrait atténuer l’intensité de l’odeur de la nourriture, puis il s’installa précautionneusement sur le divan de la pièce de séjour pour ce qui, se dit-il, était un repos bien mérité. Il installa sa jambe de façon que la douleur fût presque supportable, puis il essaya de se faire une raison. Il ne parvint qu’à un calme philosophique et agité.

Mais il était à présent si las qu’il ne pouvait même plus ressentir de la colère. Ses paupières se fermèrent et un engourdissement bienfaisant commença à grimper lentement le long de ses pieds et de ses mains.

O’Mara soupira, changea de position, et s’apprêta à dormir …

Le son qui le fit jaillir hors de sa couchette avait la même urgence autoritaire et stridente que toutes les sirènes d’alarme de l’univers, et un volume qui menaçait de faire sauter la porte de la chambre hors de ses guides. O’Mara saisit instinctivement sa combinaison spatiale, avant de la lâcher en poussant un juron, comme il comprenait ce qui se passait. Il alla chercher le pulvérisateur.

Bébé avait encore faim !

Durant les dix-huit heures qui suivirent, il comprit à quel point il savait peu de choses sur les nourrissons hudlariens. Il avait souvent conversé avec ses parents, à l’aide du traducteur, et le bébé avait été mentionné à maintes reprises, mais ils n’avaient jamais abordé les sujets importants. Le sommeil, par exemple.

À en juger d’après ses récentes observations et expériences, les bébés FROB ne dormaient pas. Durant les pauses, bien trop courtes, qui séparaient chaque repas, l’enfant se déplaçait maladroitement dans la cabine en écrasant tous les meubles et objets qui n’étaient pas métalliques et rivés au sol — et encore ces derniers étaient-ils déformés et rendus méconnaissables et inutiles — ou bien il se pelotonnait dans un angle de la pièce pour nouer et dénouer ses tentacules. Cette vision d’un bébé qui, en quelque sorte, jouait avec ses doigts, aurait sans aucun doute transporté de joie un Hudlarien adulte, mais cela donnait plutôt la nausée à O’Mara.

Et toutes les deux heures, à quelques minutes près, il devait nourrir la créature. S’il avait de la chance, elle restait tranquille, mais la plupart du temps il devait la poursuivre avec le pulvérisateur. Normalement, les FROB de son âge étaient trop faibles pour se déplacer, en raison de la gravité et de la pression écrasante d’Hudlar. Mais ici, sous une gravité quatre fois moindre que celle considérée comme normale pour un enfant de cette espèce, le bébé pouvait bouger. Et il ne s’en privait pas.

O’Mara, lui, trouvait cela bien moins amusant que son petit protégé. Son corps lui faisait penser à une éponge maladroite, épaisse, saturée de fatigue. Après chaque repas, il s’écroulait sur la couchette et laissait cette éponge plonger dans une inconscience bienfaisante. Il était si profondément épuisé, se disait-il après chaque pulvérisation, qu’il ne pourrait certainement pas entendre la créature la prochaine fois qu’elle geindrait. Mais, chaque fois, cette corne de brume hurlante et discordante le réveillait en sursaut et l’envoyait en vacillant comme un pantin ivre effectuer les mouvements machinaux qui mettraient provisoirement fin à cet horrible vacarme qui détruisait l’esprit.

Au bout d’une trentaine d’heures, O’Mara comprit qu’il ne pourrait supporter cela plus longtemps. Que l’enfant fût récupéré par les siens dans deux jours ou dans deux mois, le résultat ( en ce qui le concernait, tout au moins ) serait le même : il serait fou à lier. À moins que, dans un moment de faiblesse, il n’aille faire un tour à l’extérieur sans prendre la peine d’enfiler sa combinaison spatiale. Il savait que Pelling n’aurait jamais permis qu’il soit soumis à une pareille torture, mais le médecin ignorait tout des formes de vie FROB. Et Caxton, à peine moins ignorant, était un homme simple et direct qui s’amusait de ce genre de plaisanterie cruelle, surtout lorsqu’il estimait que la victime méritait son sort.

Mais, et en supposant que le chef de section fût un personnage plus sadique que O’Mara ne se l’imaginait ? Et en supposant qu’il ait su exactement à quoi il le condamnait, en laissant le nourrisson hudlarien à sa charge ? O’Mara jura avec lassitude, mais il l’avait fait tant de fois durant les dix ou douze dernières heures, que les écarts de langage n’agissaient plus comme une soupape de sécurité émotionnelle. Il secoua coléreusement la tête dans une vaine tentative pour chasser la lassitude qui pesait sur son cerveau.