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— Est-ce que j’étais un roi mage ?

— Ça fait un peu prétentieux.

— Un mouton ?

— Pas assez prétentieux.

— Une petite étoile ?

— Parfait !

À l’heure du déjeuner, nous étions arrivés à ses dix-sept ans, âge auquel son interprétation du rôle-titre dans La Tragique Histoire du docteur Faust, de Christopher Marlowe, l’avait confirmé dans son désir de devenir acteur. Avec sa minutie coutumière, McAra avait déjà déterré le compte rendu du Leicester Mercury de décembre 1971 décrivant comment Lang avait « envoûté son public » avec sa dernière tirade tandis qu’il entrevoyait la damnation éternelle.

Pendant que Lang était parti jouer au tennis avec un des gardes du corps, je suis descendu vérifier la transcription au rez-de-chaussée. Une heure d’entretien produit en général entre sept et huit mille mots, et nous avions travaillé, Lang et moi, de neuf heures du matin à près de treize heures. Amelia avait affecté les deux secrétaires à la tâche. Elles avaient toutes les deux des écouteurs sur les oreilles, et leurs doigts filaient sur le clavier, emplissant la pièce d’un apaisant martèlement de touches de plastique. Avec un peu de chance, j’aurais obtenu une centaine de feuillets de quinze cents signes pour cette seule matinée de travail. Pour la première fois depuis mon arrivée sur l’île, j’ai senti la douce caresse de l’optimisme.

— Première nouvelle, a commenté Amelia, penchée par-dessus l’épaule de Lucy pour déchiffrer les propos de Lang à mesure qu’ils apparaissaient sur l’écran. Je ne l’ai jamais entendu raconter rien de tout ça.

— La mémoire humaine est une mine, Amelia, ai-je répliqué sans rire. Il suffit simplement de trouver la bonne clé.

Je suis allé dans la cuisine, à peu près aussi grande que mon appartement de Londres et avec assez de granit poli pour équiper un caveau familial. On avait préparé un plateau de sandwiches. J’en ai mis un sur une assiette et j’ai déambulé vers l’arrière de la maison jusqu’à ce que je tombe sur un solarium — je suppose que c’est comme ça que ça s’appelle — avec une grande porte vitrée qui donnait sur une piscine découverte. La piscine était recouverte d’une bâche grise creusée par la pluie et sur laquelle flottait une écume brunâtre de feuilles pourrissantes. Il y avait deux constructions cubiques en bois grisé à l’autre bout et, au-delà, les chênes de Bannister et le ciel blanc. Une petite silhouette sombre — tellement emmitouflée pour se protéger du froid qu’elle en était presque sphérique — ratissait des feuilles et les entassait dans une brouette. J’ai supposé qu’il devait s’agir du jardinier vietnamien, Duc. Je me suis dit qu’il faudrait vraiment que je voie cet endroit en été.

Je me suis assis sur une chaise longue qui dégageait une vague odeur de chlore et de crème solaire mêlés, et j’ai appelé Rick à New York. Il était pressé, comme d’habitude.

— Comment ça se passe ?

— La matinée a été plutôt bonne. C’est un vrai pro.

— Super. Je vais appeler Maddox. Il sera content de l’apprendre. Au fait, le premier versement de cinquante mille dollars vient de rentrer. Je te l’expédie. On se rappelle.

Il a raccroché.

J’ai fini mon sandwich et suis remonté dans le bureau, étreignant toujours mon téléphone silencieux.

Je venais d’avoir une idée, et ma confiance toute neuve me donnait le courage de la mettre à exécution. J’ai branché le flash drive d’Amelia sur mon ordinateur portable, puis j’ai relié l’ordinateur au téléphone par un cordon et j’ai composé le numéro de l’internet. Je me disais que je me simplifierais considérablement la vie — que le travail irait bien plus vite — si je pouvais écrire le soir dans ma chambre d’hôtel. Je ne ferais rien de mal. Les risques étaient minimes. Je ne me séparais pratiquement jamais de mon appareil et, si nécessaire, il était assez petit pour que je puisse le garder sous mon oreiller pendant mon sommeil. Dès que j’ai eu la ligne, je me suis adressé un mail à moi-même, avec le manuscrit en pièce jointe, et j’ai cliqué sur « envoi ».

Le chargement prenait un temps interminable. Amelia m’a appelé d’en bas. J’ai regardé vers la porte, et soudain, mes doigts m’ont semblé raides, comme engourdis par l’anxiété. « Votre dossier a été transféré », a fait la voix féminine qu’affectionne toujours mon fournisseur de services internet. « Vous avez un message », a-t-elle ajouté une fraction de seconde plus tard.

J’ai aussitôt arraché le cordon de l’ordinateur, et je venais juste de débrancher le flash drive quand, quelque part dans la grande maison, une alarme s’est déclenchée. Au même instant, il y a eu un bourdonnement et un bruit métallique au-dessus de la fenêtre, derrière moi. J’ai fait volte-face et j’ai vu un volet descendre du plafond. Il dégringolait à toute vitesse, occultant d’abord le ciel, puis la mer et les dunes, précipitant cet après-midi hivernal dans la nuit, réduisant le dernier trait de lumière au noir complet. Je me suis précipité pour ouvrir la porte, et le hurlement de la sirène est devenu alors si puissant que j’en ai eu des vibrations dans le ventre.

Il se produisait la même chose dans le salon : un, deux, trois volets tombaient tels des rideaux d’acier. J’ai trébuché dans l’obscurité et me suis fracassé le genou contre un rebord aigu. J’ai lâché mon téléphone. Au moment où je me baissais pour le récupérer, la sirène a hurlé une note plus aiguë encore puis s’est tue sur un gémissement. J’ai entendu des pas monter lourdement l’escalier, puis un faisceau de lumière a transpercé la grande pièce, me surprenant en position accroupie, furtive. Les bras levés pour me protéger le visage : une vraie parodie de culpabilité.

— Excusez-nous, monsieur, a fait la voix étonnée d’un policier dans l’obscurité. On ne savait pas qu’il y avait quelqu’un là-haut.

* * *

Il s’agissait d’un exercice. Ils s’y prêtaient une fois par semaine. Je crois qu’ils appelaient ça le « Verrouillage ». Les employés de Rhinehart chargés de la sécurité avaient installé ce système pour le protéger en cas d’attaque terroriste, d’enlèvement, d’ouragan, contre la Security and Exchange Commission ou n’importe quel autre cauchemar qui peuple en ce moment les nuits agitées des cinq cents personnalités les plus riches recensées par le magazine Fortune. Pendant que les volets se relevaient et que la lumière blême de l’Atlantique emplissait à nouveau la maison, Amelia est venue dans le living pour s’excuser de ne pas m’avoir prévenu.

— Ç’a dû vous faire sursauter.

— C’est le moins qu’on puisse dire.

— C’est que je ne savais pas où vous étiez passé, a-t-elle dit, une nuance de soupçon dans sa voix apprêtée.

— C’est une grande maison. Je suis un grand garçon. Vous ne pouvez pas avoir un œil sur moi en permanence.