J’essayais d’avoir l’air détendu, mais j’avais conscience de respirer la culpabilité.
— Un petit conseil. (Ses lèvres roses et brillantes s’écartèrent en un sourire, mais ses grands yeux bleus et clairs restaient froids comme le cristal.) Évitez de trop vous balader tout seul. Les gars de la sécurité n’aiment pas beaucoup ça.
— Compris.
Je lui ai rendu son sourire.
Il y a eu un petit crissement de semelles de caoutchouc sur le bois poli, tandis que Lang gravissait l’escalier à une vitesse incroyable, prenant deux ou trois marches à la fois. Il avait une serviette autour du cou et la figure empourprée. Ses cheveux, épais et souples, étaient mouillés et assombris par la transpiration. Il semblait en colère.
— Vous avez gagné ? a demandé Amelia.
— Pas de tennis en fin de compte. (Il a soufflé, s’est laissé tomber sur le canapé et s’est penché en avant pour s’essuyer vigoureusement la tête avec la serviette.) Gym.
De la gym ? Je l’ai dévisagé avec stupéfaction. N’avait-il pas déjà couru avant que j’arrive ? Qu’est-ce qu’il préparait ? Les jeux Olympiques ?
Prenant une voix enjouée destinée à montrer à Amelia que rien ne pouvait me perturber, j’ai demandé :
— Alors… êtes-vous prêt à vous remettre au travail ?
Il a lancé vers moi un regard furieux et m’a lancé :
— Vous appelez ça du travail ?
C’était la première fois que je le voyais afficher une trace de mauvaise humeur, et j’ai eu brusquement une sorte de révélation : ce n’était pas du tout pour s’entraîner qu’il courait et soulevait des poids ; il ne le faisait pas par plaisir non plus. C’était simplement nécessaire à son métabolisme. Il était semblable à ces spécimens marins rares pêchés dans les profondeurs de l’océan et qui ne peuvent survivre que sous des pressions extrêmes. Échoué sur la rive, exposé à l’air trop rare de la vie ordinaire, Lang risquait constamment de mourir d’ennui.
— Pour moi, c’est indubitablement du travail, ai-je répondu avec raideur. Et ça vaut pour tous les deux. Mais si vous pensez que ce n’est pas assez exigeant pour vous sur le plan intellectuel, nous pouvons arrêter tout de suite.
J’ai eu peur d’être allé trop loin, mais alors, avec un gros effort de maîtrise de soi — si gros qu’on pouvait pratiquement voir le mécanisme compliqué de ses muscles faciaux, tous ces petits leviers, câbles et poulies, se mettre en branle —, il est parvenu à ramener un sourire las sur ses traits.
— C’est bon, vieux, a-t-il dit d’une voix atone. Vous avez gagné. Je plaisantais, a-t-il ajouté en me gratifiant d’un petit coup de serviette. On y retourne.
SEPT
« Très souvent, surtout si vous l’aidez à écrire des mémoires ou une autobiographie, l’auteur fond en larmes tout en vous racontant son histoire… votre tâche, en ces circonstances, est de lui passer les mouchoirs, de vous taire et de continuer à enregistrer. »
— Vos parents étaient-ils politisés ?
Nous étions revenus dans le bureau et avions repris nos positions respectives. Il se tenait affalé dans le fauteuil, toujours en survêtement, la même serviette toujours en écharpe autour du cou. Il émanait de lui un léger parfum de sueur. J’étais assis en face de lui avec mon cahier et ma liste de questions, l’enregistreur à minidisques posé sur le bureau, à côté de moi.
— Non, pas du tout. Je ne suis même pas sûr que mon père allait voter. Il disait qu’ils étaient tous aussi nuls les uns que les autres.
— Parlez-moi de lui.
— Il était maçon. À son compte. Il avait une cinquantaine d’années quand il a rencontré ma mère. Il avait deux fils adolescents d’un premier mariage — sa première femme l’avait quitté en le laissant avec les gosses quelque temps auparavant. Ma mère était institutrice et avait vingt ans de moins que lui. Très jolie, très timide. On raconte qu’il était venu faire des réparations sur le toit de l’école et qu’ils ont commencé à discuter, et puis, une chose en amenant une autre, ils ont fini par se marier. Il a construit une maison dans laquelle ils se sont installés tous les quatre. Je suis arrivé l’année d’après, et je crois que ça lui a fait un choc.
— Pourquoi ?
— Il pensait en avoir fini avec les petits.
— J’ai eu l’impression, en lisant ce qui a été écrit jusqu’ici, que vous n’étiez pas très proche de lui.
Lang a pris tout son temps pour répondre.
— Il est mort quand j’avais seize ans. Il était en préretraite, à cause de ses problèmes de santé, et mes demi-frères étaient adultes, mariés, installés de leur côté. C’est donc la seule fois où je me souviens de l’avoir vu beaucoup à la maison. En réalité, je commençais tout juste à le connaître quand il a eu sa crise cardiaque. Enfin, je m’entendais plutôt bien avec lui. Mais si vous voulez dire que j’étais plus proche de ma mère… alors c’est oui, de toute évidence.
— Et vos demi-frères ? Vous vous entendiez avec eux ?
— Oh non, pas du tout ! s’est exclamé Lang, riant pour la première fois depuis la pause déjeuner. Sérieusement, vous devriez effacer ça. On ne peut pas faire l’impasse sur eux, si ?
— C’est votre livre.
— Alors, laissez-les de côté. Ils ont tous les deux fait carrière dans le bâtiment, et ni l’un ni l’autre n’a jamais perdu une occasion de dire à la presse qu’il ne voterait pas pour moi. Je ne les ai pas vus depuis des années. Ils doivent avoir dans les soixante-dix ans, maintenant.
— Comment est-il mort exactement ?
— Pardon ?
— Pardon… votre père ? Je me demandais comment il était mort. Où est-il mort ?
— Oh, dans le jardin. En essayant de déplacer une dalle trop lourde pour lui. Les vieilles habitudes…
Il a consulté sa montre.
— Qui l’a trouvé ?
— C’est moi.
— Vous pourriez me décrire ça ?
C’était difficile — bien plus difficile que pendant la matinée.
— Je venais de rentrer du lycée. Je me souviens que c’était vraiment une belle journée de printemps. Maman était sortie, sûrement pour s’occuper de ses bonnes œuvres. J’ai pris à boire dans la cuisine et, sans même retirer mon uniforme scolaire, je suis allé dans le jardin pour taper dans un ballon, ou ce genre de chose. Et puis il était là, au milieu de la pelouse. Juste une écorchure au visage, à l’endroit où il était tombé. Les médecins nous ont dit qu’il avait certainement succombé avant même de toucher le sol. Mais je les soupçonne de toujours dire ça, pour rassurer les familles. Qui sait ? Ça ne peut pas être si facile, n’est-ce pas… de mourir ?
— Et votre mère ?
— Tous les fils ne pensent-ils pas que leur mère est une sainte ? a-t-il lancé, cherchant ma confirmation du regard. Eh bien, la mienne en était une. Elle a quitté l’enseignement à ma naissance, et elle était toujours prête à se mettre en quatre pour tout le monde. Elle venait d’une famille quaker très croyante. C’était l’altruisme même. Elle était tellement fière de me voir entrer à Cambridge, même si cela impliquait qu’elle allait rester seule. Pas une fois, elle ne m’a dit qu’elle était malade… elle ne voulait pas me gâcher mon séjour là-bas, surtout quand j’ai commencé à monter sur les planches et à être vraiment débordé. C’était typique d’elle. Je n’ai commencé à savoir qu’elle allait mal qu’à la fin de ma deuxième année.
— Parlez-moi de ça.