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J’ai fait non de la tête, trop stupéfait par sa tirade pour prononcer un mot.

— C’était dans l’éditorial du Times le jour où j’ai annoncé ma démission. Le titre en était « Veuillez quitter la scène ».

Il a regagné lentement son fauteuil et lissé ses cheveux en arrière avant de conclure :

— Alors non, si ça ne vous ennuie pas, nous ne nous appesantirons pas sur mes années de théâtre étudiant. Laissez-les exactement telles que Mike les a décrites.

Pendant un instant, nous n’avons parlé ni l’un ni l’autre. J’ai feint de rectifier mes notes. Dehors, un des policiers avançait avec peine dans les dunes, tête baissée contre le vent, mais l’insonorisation de la maison était telle qu’il avait l’air d’un mime. Les paroles de Ruth Lang à propos de son mari me sont revenues : « Il ne va pas très bien en ce moment et j’ai un peu peur de le laisser. » Je commençais à comprendre ce qu’elle entendait par là. J’ai entendu un déclic, et je me suis penché pour vérifier l’enregistreur.

— Il faut que je change le disque, ai-je annoncé, soulagé d’avoir une excuse pour m’éloigner. Je descends ça à Amelia. J’en ai pour une seconde.

Lang avait retrouvé son humeur sombre et il regardait par la fenêtre. Il m’a fait un petit geste vaguement dédaigneux de la main pour me signifier d’y aller. Je suis descendu dans la salle où les secrétaires transcrivaient le texte sur ordinateur. Amelia se tenait près d’un classeur. Elle s’est retournée à mon arrivée. Je suppose que c’est l’expression de mon visage qui m’a trahi.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? a-t-elle demandé.

— Rien, ai-je dit avant de céder aussitôt à l’envie de partager mon malaise. En fait, il a l’air un peu à cran.

— Vraiment ? Ça ne lui ressemble pas. De quelle façon ?

— Il vient juste de se mettre en boule pour rien. J’imagine que ce doit être à cause de tout cet exercice à l’heure du déjeuner, ai-je ajouté pour essayer de tourner la chose à la plaisanterie. Ça ne peut pas être bon.

J’ai remis le minidisque à l’une des secrétaires — je crois que c’était Lucy — et j’ai récupéré les dernières transcriptions. Amelia continuait de me dévisager, la tête légèrement penchée de côté.

— Quoi ? ai-je questionné.

— Vous avez raison. Il doit y avoir quelque chose qui le perturbe. Il a reçu un coup de fil juste après votre séance de ce matin.

— De qui ?

— C’était sur son portable. Et il ne m’a rien dit. Je me demande… Alice, mon chou — tu permets ?

Alice s’est levée, et Amelia s’est glissée à sa place devant l’écran d’ordinateur. Je ne crois pas avoir jamais vu des doigts filer aussi vite sur un clavier. Le crépitement des touches ne formait plus qu’un grondement continu, semblable au bruit que feraient un million de dominos en tombant les uns sur les autres. Les images sur l’écran défilaient presque aussi rapidement. Puis le crépitement s’est réduit à quelques coups secs staccato lorsque Amelia a trouvé ce qu’elle cherchait.

— Merde !

Elle a orienté l’écran vers moi et s’est redressée sur sa chaise avec incrédulité. Je me suis penché pour lire. La page web affichait « Dernières nouvelles » :

27 juin, 14 h 57 (Heure côte Est)

NEW YORK (AP) — L’ancien ministre des Affaires étrangères britannique Richard Rycart a demandé à la Cour pénale internationale de La Haye d’ouvrir une instruction : suivant certaines rumeurs, l’ex-Premier ministre britannique Adam Lang aurait en effet ordonné la remise illégale de suspects à la CIA, laquelle les aurait torturés.

M. Rycart, qui a été remercié du cabinet par Adam Lang voilà quatre ans, est aujourd’hui émissaire spécial des Nations unies pour les questions humanitaires, et il ne ménage pas ses critiques sur la politique étrangère américaine. À l’époque où il a quitté le gouvernement Lang, M. Rycart a soutenu qu’il avait été limogé pour ne pas s’être montré assez proaméricain.

Dans une déclaration émanant de son bureau de New York, M. Rycart a annoncé qu’il avait transmis des documents à la CPI il y a déjà plusieurs semaines. Les documents — sur le contenu desquels il y a eu quelques fuites dans un journal anglais de ce week-end — montreraient que M. Lang, alors Premier ministre, aurait autorisé personnellement la capture de quatre ressortissants britanniques au Pakistan voilà cinq ans.

M. Rycart a continué ainsi : « J’ai à maintes reprises demandé en privé au gouvernement britannique d’enquêter sur cet acte illégal. J’ai proposé de témoigner et de répondre à toutes les questions. Cependant, le gouvernement n’a cessé de refuser ne serait-ce que de reconnaître l’existence d’une opération Tempête. J’ai donc le sentiment de n’avoir d’autre choix que de remettre les preuves qui se trouvent en ma possession à la CPI. »

— Le petit salaud, a murmuré Amelia.

Le téléphone s’est mis à sonner sur le bureau. Puis un autre a carillonné sur une toute petite table près de la porte. Personne n’a bougé. Lucy et Alice ont questionné Amelia du regard. Le portable qu’Amelia rangeait dans un étui fixé à sa ceinture a émis lui aussi sa sonnerie électronique. L’espace d’une fraction de seconde, je l’ai vue paniquer — ce devait être l’une des rares occasions de sa vie où elle ne savait pas quoi faire. En l’absence d’instructions, Lucy s’est avancée vers le téléphone du bureau.

— Non ! a crié Amelia. Laisse. Nous devons d’abord déterminer la position à tenir.

Deux autres téléphones retentissaient à présent dans d’autres parties de la maison. On se serait cru à midi dans une fabrique de pendules. Elle a sorti son portable pour vérifier le numéro d’appel.

— La meute est en route, a-t-elle commenté en éteignant son appareil.

Durant quelques secondes, elle a tambouriné du bout des doigts sur la table.

— Bon, débranche toutes les lignes, a-t-elle commandé à Alice d’une voix qui semblait avoir recouvré une partie de son assurance. Et ensuite, cherche sur les principaux sites d’information du web si tu peux dénicher d’autres déclarations de Rycart. Lucy… trouve une télévision et jette un coup d’œil sur les chaînes d’information. (Elle a consulté sa montre.) Ruth est-elle encore dehors ? Merde ! Elle n’est pas rentrée, si ?

Amelia a saisi son cahier noir et rouge et s’est engouffrée dans le couloir en claquant des talons. Comme je ne savais pas trop ce que j’étais censé faire, ni de quoi il s’agissait exactement, je me suis dit qu’il valait mieux la suivre. Elle appelait l’un des agents des Services spéciaux :

— Barry ! Barry !

Il a sorti la tête de la cuisine.

— Barry, trouvez Mme Lang et ramenez-la ici le plus vite possible.

Elle a pris l’escalier qui menait au salon.

Cette fois encore, Lang était assis, immobile, exactement là où je l’avais laissé. La seule différence était qu’il tenait son petit téléphone portable à la main. Il l’a refermé lorsque nous sommes entrés.

— Tous ces coups de fil signifient sans doute qu’il a balancé sa déclaration, a-t-il dit.

— Pourquoi ne m’en avez-vous pas parlé ? s’est écriée Amelia, exaspérée, en écartant les bras.

— Vous en parler avant d’avoir prévenu Ruth ? Je ne crois pas que cela aurait été très avisé, si ? Et puis, j’avais envie de garder ça un moment pour moi. Pardonnez-moi, a-t-il ajouté en se tournant vers moi, de m’être emporté.

J’ai été touché par ses excuses. Je me suis dit que c’était le charme dans l’adversité. J’ai répondu :