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— Bien, ai-je récapitulé, vous n’êtes pas sur la défensive, mais vous ne faites pas le malin, vous n’êtes pas en colère, mais vous n’êtes pas content ?

— C’est ça.

— Qu’est-ce que vous êtes, alors, exactement ? Curieusement, vu les circonstances, tout le monde a ri.

— Je t’avais dit qu’il était drôle, a commenté Ruth. Amelia a brusquement levé la main et nous a fait signe de nous taire.

— J’ai Adam Lang pour Sidney Kroll, a-t-elle annoncé. Non, je n’attendrai pas.

* * *

Je suis descendu avec Alice et me suis tenu derrière son épaule tandis qu’elle prenait place devant le clavier, attendant patiemment que les paroles de l’ex-Premier ministre jaillissent de mes lèvres. Ce n’est que lorsque j’ai commencé à imaginer ce que Lang pourrait dire que je me suis aperçu que je n’avais pas posé la question essentielle : avait-il réellement ordonné la remise des quatre hommes ? J’ai su alors qu’il n’avait pu en être autrement, sans quoi il aurait simplement tout nié en bloc dès le week-end, quand l’affaire était sortie dans les journaux. J’ai eu à nouveau l’impression d’être complètement dépassé par les événements. Je me suis lancé :

— J’ai toujours été un ardent, non… effacez ça… j’ai toujours été un grand… non, un défenseur convaincu du travail de la Cour pénale internationale. (L’avait-il été ? Je n’en avais aucune idée. Je supposais que oui. Ou plutôt, je supposais qu’il avait toujours prétendu l’être.) Et je ne doute pas que la CPI ne se laissera pas abuser par des dénonciations pernicieuses aux motivations purement politiciennes.

Je me suis interrompu. Il fallait, me semblait-il, encore une ligne : quelque chose qui soit d’une portée plus large, plus digne d’un homme d’État. À sa place, qu’est-ce que je dirais ?

— La lutte internationale contre le terrorisme, ai-je dicté, saisi par une soudaine inspiration, est trop importante pour être utilisée à des fins de vengeance personnelle.

Lucy a imprimé, et, quand j’ai rapporté la feuille dans le bureau, j’éprouvais une étrange fierté d’écolier rendant timidement son devoir. J’ai feint de ne pas voir la main tendue d’Amelia et ai montré d’abord mon texte à Ruth (j’apprenais enfin le protocole de cette cour en exil). Elle m’a gratifié d’un signe de tête approbateur et l’a tendu à Lang par-dessus le bureau. Il l’a lu en silence, m’a prié d’un geste de lui donner mon stylo et a griffonné un seul mot. Puis il m’a rendu le tout et a levé les pouces. S’adressant au combiné, il a dit :

— C’est très bien, Sid. Qu’est-ce qu’on sait de ces trois juges ?

— J’ai le droit de voir ? a demandé Amelia alors que nous descendions au rez-de-chaussée.

En lui remettant la feuille, j’ai remarqué que Lang avait ajouté le terme « intestine » à la dernière phrase. « La lutte internationale contre le terrorisme est trop importante pour être utilisée à des fins de vengeance personnelle intestine. » Le contraste brutal entre « internationale » et « intestine » faisait apparaître Rycart plus mesquin encore.

— C’est très bien, a commenté Amelia. Vous pourriez devenir le nouveau Mike McAra.

Je l’ai dévisagée. Je pense que dans sa bouche, c’était un compliment. Mais avec elle, c’était toujours difficile à déterminer. D’ailleurs, je m’en moquais. Pour la première fois de ma vie, je découvrais l’adrénaline de la politique. Je comprenais maintenant pourquoi Lang supportait aussi mal sa retraite. Je soupçonnais que la compétition sportive de haut niveau devait procurer un peu la même sensation. C’était comme de jouer au tennis sur le court central de Wimbledon. Rycart avait servi au ras du filet, et nous avions foncé sur la balle pour la renvoyer à la volée, avec une vitesse accrue. Un par un, les téléphones ont été rebranchés et se sont mis instantanément à sonner, réclamant l’attention de tous. Alors, j’ai entendu les secrétaires transmettre mon texte aux journalistes avides — « J’ai toujours été un défenseur convaincu du travail de la Cour pénale internationale. » J’ai regardé mes phrases partir par courriel aux agences de presse, puis, quelques minutes plus tard, j’ai commencé à les voir apparaître sur l’écran de l’ordinateur et à la télévision. (« Il y a quelques minutes à peine, l’ancien Premier ministre a fait une déclaration disant que… ») Le monde semblait devenu notre chambre d’écho.

Au milieu de l’agitation générale, mon propre portable a sonné. J’ai collé l’écouteur contre mon oreille et ai dû me boucher l’autre oreille avec mon index pour entendre qui était au bout du fil. Une voix étouffée a demandé :

— Vous m’entendez ?

— Qui est à l’appareil ?

— C’est John Maddox, de Rhinehart à New York. Mais où êtes-vous donc ? On vous croirait dans une maison de fous.

— Vous n’êtes pas le premier à utiliser cette expression. Attendez, John. Je vais essayer de trouver un endroit plus calme.

Je suis sorti dans le couloir et l’ai emprunté jusqu’à l’arrière de la maison.

— C’est mieux comme ça ?

— Je viens d’entendre les infos, a dit Maddox. Ça ne peut qu’être très bon pour nous. On devrait commencer là-dessus.

— Quoi ? me suis-je exclamé sans cesser de marcher.

— L’affaire de crime de guerre, là. Vous l’avez interrogé là-dessus ?

— Pour vous parler franchement, John, je n’en ai pas eu beaucoup l’occasion, ai-je répondu en m’efforçant de ne pas paraître trop sarcastique. Là, tout de suite, il est un peu débordé.

— D’accord, et qu’est-ce que vous avez vu pour l’instant ?

— Les premières années — l’enfance, l’université…

— Non, non, a coupé Maddox avec impatience. Laissez donc ces foutaises. C’est ce qui se passe maintenant qui est important. Faites en sorte qu’il se concentre là-dessus et n’en parle à personne d’autre. Nous devons absolument en conserver l’exclusivité dans ses mémoires.

J’avais abouti dans le solarium où j’avais parlé à Rick pendant la pause déjeuner. Même avec la porte fermée, j’entendais toujours le son diffus des téléphones qui sonnaient de l’autre côté de la maison. L’idée que Lang puisse ne rien dire sur l’enlèvement illégal et la torture des quatre Britanniques avant la sortie du livre n’était qu’une plaisanterie. Naturellement, ce n’est pas exactement ainsi que j’ai présenté les choses au directeur de la troisième plus grosse maison d’édition du monde.

— Je vais transmettre, John, ai-je assuré. Mais vous feriez certainement mieux d’en parler à Sidney Kroll. Cela donnerait peut-être la possibilité à Adam de dire que son avocat lui a conseillé de se taire.

— Bonne idée. J’appelle Sid tout de suite. En attendant, je voudrais que vous comprimiez le calendrier.

— Le comprimer ? a fait ma voix, creuse et ténue dans la salle vide.

— C’est ça. Le comprimer. Activer un peu les choses si vous préférez. Aujourd’hui, Lang fait vendre. Les gens s’intéressent à nouveau à lui. On ne peut pas se permettre de laisser passer cette chance.

— Êtes-vous en train de dire que vous voulez ce livre dans moins d’un mois ?

— Je sais que c’est dur. Et que cela signifie sans doute se contenter de revoir la plus grande partie du manuscrit au lieu de le réécrire, mais qu’est-ce qu’on en a à foutre ? Personne ne va en lire la moitié, de toute façon. Plus tôt on le sortira, plus on en vendra. Vous pensez pouvoir y arriver ?

La réponse était non. Non, pauvre connard de chauve, espèce de salaud psychopathe… vous avez vraiment lu cette merde ? Vous avez complètement pété les plombs. J’ai dit :