Выбрать главу

— Non, Sid, est intervenue Ruth.

Elle était très concentrée, le regard fixé sur le tapis tout en secouant la tête énergiquement.

— C’est juridique aussi. Les deux sont indissociables. Le passage que cette jeune femme vient de nous lire montre parfaitement pourquoi les juges vont devoir autoriser une enquête, puisque Richard Rycart a fourni des preuves documentaires qui suggèrent qu’Adam a bien fait toutes ces choses : contribué, encouragé, facilité. C’est un risque juridique, a-t-elle poursuivi en levant les yeux. N’est-ce pas l’expression que vous employez ? Et cela conduit inévitablement à un risque politique. Parce qu’il ne s’agira plus au bout du compte que de l’opinion publique et que nous sommes déjà bien assez impopulaires comme ça en Angleterre.

— Eh bien, si cela peut vous rassurer, Adam ne court certainement aucun risque tant qu’il reste ici, parmi ses amis.

La vitre épaisse a vibré légèrement. L’hélicoptère revenait examiner les choses de plus près. Le faisceau de son projecteur a rempli la pièce. Mais, sur l’écran de télévision, tout ce qu’on pouvait voir sur la grande baie vitrée, c’était le reflet de la mer.

— Attendez une seconde, a soudain réagi Lang en portant la main à sa tête pour empoigner sa chevelure, comme s’il entrevoyait la situation pour la première fois. Êtes-vous en train de dire que je ne peux pas quitter les États-Unis ?

— Josh, a appelé Kroll en faisant signe à son autre assistant.

— Monsieur, a commencé Josh avec gravité, je voudrais, si cela ne vous dérange pas, vous lire l’introduction de l’article 58, qui couvre les mandats d’arrêt.

Il a fixé son regard solennel sur Adam Lang.

— « À tout moment après l’ouverture d’une enquête, la chambre préliminaire délivre, sur requête du procureur, un mandat d’arrêt contre une personne si, après examen de la requête et des éléments de preuve ou autres renseignements fournis par le procureur, elle est convaincue qu’il y a des motifs raisonnables de croire que cette personne a commis un crime relevant de la compétence de la Cour et que l’arrestation de cette personne apparaît nécessaire pour garantir que la personne comparaîtra. »

— Bon sang ! s’est exclamé Lang. Qu’entend-on par « motifs raisonnables » ?

— Cela n’arrivera pas, a assuré Kroll.

— Vous n’arrêtez pas de répéter ça, a dit Ruth avec irritation, mais c’est possible.

— Ça n’arrivera pas, mais ça pourrait arriver, a déclaré Kroll en écartant les bras. Ces deux états de fait ne sont pas incompatibles.

Il s’est autorisé un de ses petits sourires et s’est tourné vers Adam pour ajouter :

— Néanmoins, en tant qu’avocat, jusqu’à ce que toute cette affaire soit réglée, je vous conseille fortement de ne vous rendre dans aucun pays qui reconnaît la juridiction de la Cour pénale internationale. Il suffirait que deux de ces trois juges décident de se mettre dans les bonnes grâces de la clique des droits de l’homme et émettent un mandat pour que vous vous fassiez arrêter.

— Mais pratiquement tous les pays du monde reconnaissent la CPI, a protesté Lang.

— Pas l’Amérique.

— Qui d’autre ?

— L’Irak, a énuméré Josh. La Chine, la Corée du Nord, l’Indonésie.

Nous avons attendu la suite ; elle n’est pas venue.

— Et c’est tout ? s’est exclamé Lang. Tous les autres pays la reconnaissent ?

— Non, monsieur. Pas Israël. Ni certains des régimes les plus corrompus d’Afrique.

— Je crois qu’il se passe quelque chose, est intervenue Amelia.

Elle a dirigé la télécommande vers l’écran.

* * *

Nous avons donc regardé la procureur espagnole, toute en masse de cheveux noirs et rouge à lèvres éclatant, aussi séduisante qu’une star de cinéma sous les flashes argentés des appareils photo, annoncer qu’on lui avait accordé ce matin le pouvoir d’ouvrir une enquête concernant l’ancien Premier ministre britannique Adam Peter Benet Lang, en vertu des articles 7 et 8 du Statut de Rome de 1998 de la Cour pénale internationale.

Ou plutôt, les autres ont tous regardé la procureur pendant que moi, je regardais Lang. Tout en feignant de prendre en note les propos de la procureur, mais en étudiant en réalité mon client afin de trouver des idées que je pourrais utiliser par la suite, j’ai noté sur mon calepin : « AL — intense concentration. Tend la main vers R : elle ne réagit pas. Se tourne vers elle. Seul, dépassé. Retire sa main. Se concentre à nouveau sur l’écran. Secoue la tête. La P dit : “S’agissait-il d’un incident isolé ou cela faisait-il partie d’un plan systématique de comportement criminel ?” AL accuse le coup. En colère. La P : “La justice doit être la même pour les riches et pour les pauvres, pour les faibles et pour les puissants.” Cris en direction de l’écran. “Et les terroristes ?” »

Je n’avais jamais assisté à une période de crise dans la vie d’aucun de mes auteurs et, en examinant Lang, j’ai peu à peu pris conscience que ma question passe-partout fétiche — « Qu’avez-vous ressenti ? » — était en fait un outil bien grossier, tellement vague qu’il en devenait presque inutile. Au cours de ces quelques minutes, alors que l’on expliquait la procédure judiciaire, le visage taillé à coups de serpe de Lang a reflété une succession rapide d’émotions, aussi fugitives que les ombres des nuages filant à flanc de montagne au printemps — le choc, la fureur, la souffrance, le défi, la consternation, la honte… Comment démêler les unes des autres ? Et s’il ne savait pas précisément ce qu’il ressentait maintenant, au moment même où il le ressentait, comment voudrait-on qu’il le sache dans dix ans ? Il faudrait que je fabrique jusqu’à sa réaction en cet instant même. Je devrais même la simplifier pour la rendre plausible. Je devrais piocher dans ma propre imagination. Dans un certain sens, je serais obligé de mentir.

La procureur a terminé sa déclaration, répondu brièvement à deux ou trois questions qu’on lui criait, puis a quitté l’estrade. Au milieu de la salle, elle s’est arrêtée une fois encore pour les photographes, et il y a eu une nouvelle tempête de phosphore avant qu’elle ne se tourne, offrant ainsi au monde son superbe profil aquilin avant de disparaître. L’écran est revenu à l’image aérienne de la maison de Rhinehart dans son décor de forêt, d’étang et d’océan, tandis que le monde guettait l’apparition de Lang.

Amelia a baissé le son. En bas, les téléphones ont commencé à sonner.

— Eh bien, a lâché Kroll, rompant le silence, il n’y avait rien là-dedans que nous ne sachions déjà.

— Oui, a commenté Ruth. Bravo.

Kroll a fait semblant de ne rien remarquer.

— Adam, il faut que nous vous conduisions tout de suite à Washington. Mon avion attend à l’aéroport.

Lang n’avait pas quitté l’écran des yeux.

— Quand Marty a proposé que nous utilisions sa maison de vacances, je ne me doutais pas qu’elle était aussi coupée du monde. Nous n’aurions jamais dû venir. Maintenant, nous donnons l’impression de nous cacher.

— C’est exactement mon sentiment. Vous ne pouvez pas rester terré ici, du moins pas aujourd’hui. J’ai passé quelques coups de fil. Je peux me débrouiller pour que vous rencontriez le chef de la majorité en place pour le déjeuner, et nous pourrons organiser une séance photo avec le secrétaire d’État cet après-midi.

Lang a fini par arracher son regard de la télévision.

— Je ne sais pas si je dois me prêter à tout ça. On pourrait avoir l’impression que je panique.

— Non, pas du tout. Je leur ai déjà parlé. Ils sont avec vous : ils sont prêts à faire tout leur possible pour vous aider. Ils diront tous les deux que les rendez-vous étaient programmés depuis des semaines, pour discuter de la fondation Adam-Lang.