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Lorsque j’en ai eu assez des mêmes vieilles infos sur des séminaires et congrès d’été, j’ai modifié ma recherche en « Institution Arcadia Adam Lang », et j’ai trouvé un article sur le site du Guardian concernant la réception commémorative d’Arcadia et la présence du Premier ministre. Je suis passé sur Google Images, où l’on m’a proposé une mosaïque d’illustrations bizarres : un chat, un couple d’acrobates en justaucorps, un dessin humoristique qui représentait Lang en train de souffler dans un ballon avec, en légende : « Bientôt humilié ». Si j’en crois mon expérience, c’est toujours le problème, avec internet. La proportion de ce qui est utile par rapport à ce qui fait perdre son temps chute brutalement dès qu’on effectue une recherche, comme quand on tente de retrouver quelque chose qu’on a fait tomber entre les coussins d’un canapé et qu’on ne ressort que des poignées de vieux boutons, pièces de monnaie, poussières agglomérées et vieux bonbons sucés. L’important, c’est de poser la bonne question, et, d’une certaine façon, j’avais l’impression de prendre la mauvaise voie.

Je me suis accordé une pause pour masser mes yeux endoloris. Puis j’ai commandé un autre café et un autre beignet et j’ai examiné la clientèle. Il n’y avait pas grand monde, si l’on considérait que c’était l’heure du déjeuner : un homme âgé avec un journal, un homme et une femme de moins de trente ans qui se tenaient la main, deux mères — ou, plus vraisemblablement, des nounous — qui bavardaient pendant que leurs trois petits jouaient sans surveillance sous la table, et deux jeunes types aux cheveux coupés en brosse, qui auraient pu être dans l’armée, ou dans un service d’urgence quelconque (j’avais repéré une caserne de pompiers toute proche) : ils étaient installés sur des tabourets, au comptoir, et me tournaient le dos, plongés dans une conversation intense.

Je suis retourné sur le site de l’institution Arcadia et j’ai cliqué sur le conseil d’administration. Et ils ont tous surgi tels des esprits invoqués des vastes profondeurs transatlantiques : Steven D. Engler, ancien ministre de la Défense américain ; lord Leghorn, ancien ministre des Affaires étrangères britannique ; sir David Moberly, GCMG, KCVO, ancien ambassadeur britannique millénaire à Washington ; Raymond T. Streicher, ancien ambassadeur américain à Londres ; Arthur Prussia, président-directeur général du groupe Hallington ; le professeur Mel Crawford, de l’École d’administration John-F.-Kennedy ; Unity Chambers, de la Fondation des études stratégiques, décorée de l’ordre de la Chevalerie ; Max Hardaker, des Godolphin Securities ; Stéphanie Cox Morland, directrice principale du Manhattan Equity Holdings ; sir Milius Rapp, de l’école d’économie de Londres ; Mars Iremonger, des industries Cordesman, et Franklin R. Dollerman, principal associé de McCosh & Associés.

Laborieusement, j’ai entrepris d’entrer leurs noms ainsi que celui d’Adam Lang dans le moteur de recherche. Engler avait loué le courage inébranlable de Lang dans les colonne du New York Times. Leghorn avait prononcé un discours plein de compassion à la Chambre des lords, déplorant la situation au Moyen-Orient mais décrivant le Premier ministre comme « un homme de sincérité ». Moberly avait eu une attaque, aussi ne disait-il rien. Streicher n’avait pas ménagé son soutien à l’époque où Lang était allé chercher sa médaille de la Liberté présidentielle à Washington. Je commençais à me lasser de toute la procédure lorsque j’ai tapé « Arthur Prussia » et ai obtenu une coupure de presse datant d’un an plus tôt.

Londres — Le groupe Hallington a le plaisir de vous annoncer qu’Adam Lang, l’ancien Premier ministre de Grande-Bretagne, va intégrer la société en tant que consultant stratégique.

M. Lang, qui ne travaillera pas pour nous à plein temps, sera chargé de donner conseils et avis aux principaux investisseurs professionnels du groupe Hallington dans le monde.

D’après Arthur Prussia, président-directeur général de Hallington, « Adam Lang est l’un des hommes d’État les plus expérimentés et respectés au monde, et nous sommes honorés de pouvoir profiter de cette mine de compétences ».

Adam Lang a déclaré : « Je suis heureux de relever le défi de travailler avec une société dont l’influence planétaire, l’engagement pour la démocratie et l’intégrité sont aussi réputés que ceux du groupe Hallington. »

Je n’avais jamais entendu parler du groupe Hallington, aussi ai-je vérifié. Six cents employés, vingt-quatre bureaux dans le monde ; pas plus de quatre cents investisseurs, principalement saoudiens — et trente-cinq milliards de dollars de fonds à sa disposition. Le portefeuille de sociétés sous son contrôle semblait avoir été conçu par Darth Vador en personne. Les filiales de Hallington fabriquaient des bombes à fragmentation, des mortiers mobiles, des missiles d’interception, des hélicoptères antichars, des bombardiers à géométrie variable, des chars, des centrifugeuses nucléaires, des porte-avions. Le groupe possédait une société qui assurait la sécurité des entrepreneurs au Moyen-Orient, une autre qui effectuait des opérations de surveillance et de vérification de données sur le territoire américain et dans le reste du monde, et une entreprise de construction spécialisée dans l’édification de pistes d’aviation et bunkers militaires. Deux des membres de son comité directeur avaient été directeurs généraux de la CIA.

Je sais qu’internet donne corps à tous les cauchemars de paranoïaque. Je sais qu’internet a tendance à tout mettre dans le même panier — Lee Harvey Oswald, la princesse Diana, l’Opus Dei, Al-Qaïda, Israël, le MI6, les cercles dans les champs de blé — et à tout envelopper du beau ruban bleu des liens hypertextes pour en faire une vaste conspiration internationale. Mais je connais aussi la sagesse du vieux dicton qui veut qu’un paranoïaque soit simplement quelqu’un d’un peu plus informé que les autres, et, tandis que je tapais « Institution Arcadia », « Groupe Hallington », « CIA », j’avais l’impression que, tels les contours d’un vaisseau fantôme, quelque chose commençait à émerger du brouillard des données sur l’écran.

Washingtonpost. com : Hallington renvoie à CIA « vols de torture ».

La société dément avoir connaissance du programme de « livraison extraordinaire » à la CIA… membre du comité directeur de la prestigieuse institution Arcadia a…

www.washingtonpost.com/ac2 ;wp-dyn/A27824-2007Dec261angue= — en cache — pages similaires.

J’ai cliqué sur l’article et suis allé directement à la partie qui m’intéressait :

Le 18 février, le Gulfstream 4 de Hallington a fait l’objet de photographies clandestines — sans son logo d’entreprise — sur la base militaire de Stare Kiejkuty en Pologne, où l’on pense que la CIA a conservé un centre de détention secret.

C’était deux jours après l’enlèvement présumé de quatre citoyens britanniques — Nasir Ashraf, Shakeel Qazi, Salim Khan et Faruk Ahmed — par des agents de la CIA à Peshawar, au Pakistan. M. Ashraf aurait succombé à une crise cardiaque après la procédure d’interrogatoire connue sous le nom de waterboarding.

Entre février et juillet de la même année, le jet a effectué cinquante et un atterrissages à Guantanamo et s’est rendu quatre-vingt-deux fois sur la base militaire de l’aéroport international Dulles de Washington. Il s’est également posé sur la base militaire d’Andrews, tout près de la capitale, et sur les bases aériennes américaines de Ramstein et de Rhin-Main, en Allemagne.