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Le suivi de vol de l’appareil fait également état de voyages en Afghanistan, au Maroc, à Dubaï, en Jordanie, en Italie, au Japon, en Suisse, en Azerbaïdjan et en République tchèque.

Le logo de Hallington apparaît sur des photos prises lors d’un meeting aérien à Schenectady, État de New York, le 23 août, soit huit jours après le retour à Washington du Gulfstream, qui venait d’effectuer un vol autour du monde avec escales à Anchorage en Alaska, Osaka au Japon, Dubaï et Shannon.

Le logo n’était pas visible quand le Gulfstream a été photographié lors d’une escale de ravitaillement à Shannon, le 27 septembre. Mais quand l’appareil atterrit à l’aéroport Centennial de Denver en février de cette année, une photo montre qu’il arborait non seulement le logo de Hallington, mais un nouveau numéro d’enregistrement.

Un porte-parole de Hallington confirme que le Gulfstream est fréquemment loué à d’autres opérateurs, mais il insiste sur le fait que la société n’a absolument pas connaissance de l’usage qui en est fait alors.

Le waterboarding ? la planche à eau ? Je n’en avais jamais entendu parler. Ça paraissait plutôt inoffensif, comme une sorte de sport américain pour tous, un croisement entre la planche à voile et le skateboard. J’ai effectué une recherche internet.

Le waterboarding consiste à attacher fermement un prisonnier sur un plan incliné de façon que les pieds de la victime soient plus élevés que sa tête et que tout mouvement soit impossible. Le visage du prisonnier est recouvert d’une étoffe ou de cellophane sur laquelle le tortionnaire verse un jet d’eau continu. Même si un peu de liquide pénètre dans les poumons de la victime, c’est la sensation psychologique d’être sous l’eau qui rend ce supplice si efficace. Un réflexe de nausée se déclenche, le prisonnier sent littéralement qu’il se noie et supplie presque instantanément d’être délivré. Les agents de la CIA qui ont été soumis à cette pratique durant leur formation ont tenu une moyenne de quatorze secondes avant de céder. Khalid Sheik Mohammed, membre d’Al-Qaïda et cerveau présumé des attentats du 11 septembre, prisonnier le plus coriace de la CIA, a gagné l’admiration de ses interrogateurs en se montrant capable de tenir deux minutes et demie avant de supplier de tout avouer.

Le waterboarding peut provoquer une souffrance intense et des lésions pulmonaires, des lésions cérébrales dues à la privation d’oxygène, des fractures et des dislocations des membres lorsque le sujet se débat avec trop de vigueur, ainsi qu’un traumatisme psychologique à long terme. En 1947, un officier japonais a été reconnu coupable d’avoir appliqué le supplice du waterboarding sur un citoyen américain, et condamné à quinze ans de travaux forcés pour crime de guerre. Selon une enquête d’ABC News, la CIA aurait autorisé l’utilisation de cette forme de torture depuis la mi-mars 2002, et recruté une équipe de quatorze interrogateurs formés à cette technique.

Il y avait une illustration du Cambodge de Pol Pot, montrant un homme couché sur le dos, attaché par les poignets et les chevilles sur une table inclinée, tête en bas. Celle-ci disparaissait dans un sac aspergé par un homme qui tenait un arrosoir. Sur une autre photographie, un suspect viêt-cong plaqué au sol subissait un traitement similaire administré par trois GI avec de l’eau minérale. Le soldat qui vidait la bouteille souriait. L’homme assis sur la poitrine du prisonnier tenait avec désinvolture une cigarette entre l’index et le majeur de la main droite.

Je me suis appuyé contre le dossier de ma chaise, plusieurs choses me revenant en mémoire. Je pensais particulièrement au commentaire d’Emmett sur la mort de McAra — comme quoi la noyade n’était pas indolore et que c’était en fait une mort horrible. J’avais trouvé sur le moment que c’était une réflexion curieuse pour un professeur. J’ai assoupli mes doigts comme un pianiste se préparant à exécuter un dernier mouvement particulièrement difficile, et j’ai tapé une nouvelle demande sur le moteur de recherche : « Paul Emmett CIA ».

L’écran s’est aussitôt rempli de résultats, aucun d’entre eux n’étant à première vue intéressant : des articles et des critiques de livres d’Emmett où il était fait mention de la CIA ; des articles signés par d’autres traitant de la CIA et qui se trouvaient contenir des références à Emmett ; des articles concernant l’institution Arcadia et où il était fait mention d’Emmett et de la CIA. J’ai dû en parcourir trente ou quarante avant de tomber sur quelque chose de prometteur :

La CIA à l’université

La Central Intelligence Agency emploie aujourd’hui plusieurs centaines d’universitaires américains… Paul Emmett…

www.espions-au-campus.org/Church/listK1897a/html — 11k.

La page web était intitulée « À qui Frank pensait-il ??? » et commençait par une citation du rapport sur le comité de sélection de la CIA rédigé par Frank Church et publié en 1976 :

La Central Intelligence Agency utilise à présent plusieurs centaines d’universitaires américains (le terme « universitaires » désignant aussi bien les administrateurs que les membres de la faculté et les étudiants diplômés chargés de dispenser des cours) qui, en plus d’ouvrir des pistes et, en certaines occasions, d’établir des contacts à des fins d’espionnage, écrivent éventuellement des livres et autres articles pouvant servir de propagande à l’étranger. Au-delà de ces recrues, des dizaines d’autres sont encore utilisées à leur insu pour des activités mineures.

Au-dessous, suivait par ordre alphabétique un lien hypertexte d’une vingtaine de noms, parmi lesquels celui d’Emmett. J’ai cliqué dessus, et j’ai soudain eu l’impression de basculer de l’autre côté d’une trappe.

Selon Frank Molinari, membre de la CIA qui a tiré la sonnette d’alarme, Paul Emmett serait entré à l’Agence entre 1969 et 1970, et il a été affecté à la division des ressources étrangères de la Direction des opérations. (Source : L’Agence de l’intérieur, Amsterdam, 1977.)

— Oh, non, ai-je fait à voix basse. Non, non, ce n’est pas possible.

J’ai dû fixer l’écran du regard durant une bonne minute avant d’être brutalement tiré de ma rêverie par un vacarme de vaisselle cassée. Je me suis retourné pour découvrir que c’était l’un des enfants qui jouaient sous la table voisine qui avait tout renversé. Alors qu’une serveuse se précipitait avec pelle et balayette, et que les nounous (ou les mères) grondaient les petits, j’ai remarqué que les deux types aux cheveux en brosse accoudés au bar ne prêtaient nullement attention à cette scène domestique : ils ne me quittaient pas des yeux. L’un d’eux avait un téléphone portable collé contre son oreille.

Avec un calme apparent — plus apparent, espérais-je, que ce que j’éprouvais —, j’ai éteint l’ordinateur et fait mine de terminer mon café. Le breuvage avait refroidi pendant que je travaillais et il m’a paru amer et glacé sur les lèvres. J’ai ensuite pris ma valise, et déposé un billet de vingt dollars sur la table. S’il m’arrivait quelque chose, la serveuse stressée se rappellerait l’Anglais solitaire qui avait pris la table la plus éloignée de la vitrine et avait laissé un pourboire si élevé que c’en était absurde. Qu’est-ce que ça aurait bien pu m’apporter ? Je n’en ai aucune idée, mais cela m’a paru intelligent sur le moment. J’ai soigneusement évité de regarder les deux boules à zéro en passant près d’eux.