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Rycart s’est assis. Il paraissait sonné.

— Mais est-ce que c’est vraisemblable ? ai-je demandé. Je ne sais pas comment ces choses fonctionnent. Quelqu’un peut-il entrer à la CIA et être envoyé aussitôt après faire des recherches pour son doctorat dans un pays étranger ?

— Je dirais que c’est tout à fait plausible. Comment trouver meilleure couverture ? Et quoi de mieux qu’une université pour repérer les meilleurs éléments de demain ?

Il a tendu la main.

— Remontrez-moi cette photo. Lequel est Emmett ?

— Ce ne sont peut-être que des conneries, ai-je averti en désignant Emmett. Je n’ai aucune preuve. Mais j’ai trouvé son nom sur un ou deux de ces sites web paranoïaques. Ils prétendent qu’il a été recruté par la CIA à sa sortie de Yale, ce qui doit faire environ trois ans avant que cette photo ait été prise.

— Oh, je veux bien le croire, a commenté Rycart en examinant Emmett intensément. En fait, maintenant que vous en parlez, je crois avoir entendu un jour des bruits de couloir à ce propos. Mais il y en a tellement qui circulent dans ce monde des tournées de conférences internationales. J’appelle ça « le complexe industrialo-militaro-universitaire ».

Son trait d’esprit l’a fait sourire, puis il a repris son air grave.

— Mais ce qui est réellement suspect est qu’il ait pu connaître Lang.

— Non, ai-je rétorqué, ce qui est réellement suspect, c’est que quelques heures à peine après que McAra a pisté Emmett jusqu’à chez lui, non loin de Boston, il a été retrouvé mort, échoué sur une plage de Martha’s Vineyard.

* * *

Après cela, je lui ai raconté tout ce que j’avais découvert. Je lui ai parlé de l’histoire des courants marins et des lumières de torches sur la plage de Lambert’s Cove, et de la façon curieuse dont l’enquête de police avait été menée. Je lui ai répété ce que m’avait dit Ruth au sujet de la dispute entre Lang et McAra, la veille de sa mort, et je lui ai fait part de la répugnance de Lang à aborder ses années à Cambridge, ainsi que de la façon dont il avait essayé de dissimuler que son engagement politique datait de son départ de l’université et non de deux ans plus tard. Je lui ai décrit comment McAra, avec la minutie acharnée qui le caractérisait, avait fini par tout découvrir, exhumant un détail après l’autre qui démontait peu à peu le récit donné par Lang de ses années de jeunesse. C’était sans doute ce qu’il avait voulu dire en annonçant que la clé de tout se trouvait dans le début de l’autobiographie de Lang. Je lui ai parlé du GPS de la Ford, qui m’avait conduit à la porte d’Emmett, et du comportement étrange de ce dernier.

Et, bien entendu, plus je parlais, plus Rycart s’agitait. J’imagine que c’était Noël pour lui.

— Supposons, a-t-il avancé en faisant à nouveau les cent pas dans la chambre, que ce soit Emmett qui ait au départ suggéré à Lang d’envisager une carrière politique. Regardons les choses en face, il faut bien que quelqu’un lui ait mis cette idée dans sa jolie petite tête. Moi, je suis dans les jeunesses du parti depuis mes quatorze ans. En quelle année Lang a-t-il pris sa carte ?

— 1975 !

— Soixante-quinze ! Vous voyez, c’est parfaitement logique. Vous vous souvenez comment était la Grande-Bretagne en soixante-quinze ? Les forces de sécurité étaient devenues incontrôlables et espionnaient le Premier ministre. Des généraux en retraite constituaient des armées privées. L’économie s’effondrait. Il y avait des grèves, des émeutes. Ce ne serait pas vraiment une surprise si la CIA avait décidé de recruter quelques jeunes éléments brillants puis les avait encouragés à faire carrière dans des secteurs utiles : l’administration, les médias, la politique. C’est ce qu’ils font partout ailleurs, après tout.

— Mais pas en Grande-Bretagne, sûrement pas, ai-je protesté. Nous sommes leur allié.

Rycart m’a regardé avec mépris.

— À l’époque, la CIA espionnait les étudiants américains. Vous pensez vraiment qu’ils auraient eu le moindre scrupule à espionner les nôtres ? Évidemment qu’ils étaient actifs en Grande-Bretagne ! Ils le sont encore. Ils ont un chef d’antenne à Londres et un énorme personnel. Je pourrais vous donner là, tout de suite, le nom d’une demi-douzaine de députés qui sont en contact régulier avec la CIA. En fait… (il s’est arrêté de marcher et a claqué des doigts)… ça c’est une idée !

Il a pivoté sur lui-même pour me dévisager.

— Le nom de Reg Giffen vous évoque-t-il quelque chose ?

— Vaguement.

— Reg Giffen — sir Reginald Giffen puis, plus tard, lord Giffen, et à présent feu le regretté Giffen, Dieu soit loué — passait tellement de temps à prononcer des discours devant la Chambre des communes pour le compte des Américains qu’on l’appelait « le député du Michigan ». Il a annoncé sa démission en tant que député la première semaine de la campagne des élections législatives de 1983, ce qui a pris tout le monde par surprise, sauf un jeune membre du parti photogénique et très entreprenant qui venait justement de passer dans sa circonscription électorale six mois plus tôt.

— Et qui a obtenu l’investiture pour devenir le candidat du parti, avec le soutien de Giffen, ai-je continué, et qui a remporté l’un des sièges les plus sûrs du pays alors qu’il n’avait pas encore trente ans.

L’histoire était légendaire. Elle marquait le début de la carrière politique nationale de Lang.

— Mais vous ne pouvez quand même pas penser que c’est la CIA qui a demandé à Giffen de faire en sorte que Lang puisse entrer au Parlement ? ai-je poursuivi. Ça paraît complètement tiré par les cheveux.

— Oh, je vous en prie ! Servez-vous de votre imagination ! Dites-vous que vous êtes le professeur Emmett, de retour à Harvard, qui écrit des foutaises illisibles sur l’alliance des peuples de langue anglaise et la nécessité de combattre la menace communiste. N’avez-vous pas potentiellement entre les mains l’agent le plus incroyable de l’histoire ? Un type dont on commence déjà à parler comme d’un futur chef du parti ? Un Premier ministre possible ? N’allez-vous pas chercher à convaincre qui de droit à l’Agence de faire tout son possible pour pousser la carrière de cet homme ? J’étais déjà au Parlement quand Lang a débarqué. Je l’ai vu surgir de nulle part et nous laisser tous derrière.

Il s’est rembruni à ce souvenir.

— Bien sûr qu’il avait de l’ aide. Il n’avait aucun lien réel avec le parti. Ce type était un mystère pour nous tous.

— C’est certainement ce qui le distingue, ai-je dit. Il n’avait pas d’idéologie.

— Il n’avait peut-être pas d’idéologie, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il avait un programme.

Rycart s’est à nouveau assis. Il s’est penché vers moi.

— D’accord. Je vais vous poser une question : pouvez-vous me citer une seule décision prise par Adam Lang en tant que Premier ministre qui n’ait pas été dans l’intérêt des États-Unis d’Amérique ?

Je suis resté muet.

— Allons, a-t-il insisté. Ce n’est pas une question piège. Citez-moi juste une décision à son actif qui aurait pu ne pas recevoir l’aval de Washington. Réfléchissons, a-t-il dit avant de lever le pouce. Un : le déploiement des troupes britanniques au Moyen-Orient, contre l’avis d’à peu près tous les généraux de nos armées et de tous les ambassadeurs britanniques qui connaissent bien la région. Deux (il a levé l’index de la main droite) : échec complet de la demande faite auprès de la Maison-Blanche d’obtenir des contreparties sous forme de contrats de reconstruction pour des entreprises britanniques ou de quoi que ce soit d’autre. Trois : le soutien inconditionnel à la politique étrangère américaine au Moyen-Orient, alors que c’est pour nous de la pure démence de nous mettre tout le monde arabe à dos. Quatre : l’installation sur le sol britannique de missiles de défense américains qui ne servent en rien notre sécurité — en fait, ce serait même plutôt le contraire dans la mesure où cela fait de nous une cible de première frappe plus évidente — et ne peuvent protéger que les États-Unis. Cinq : l’achat, pour cinquante milliards de dollars, d’un système de missiles nucléaires américains que nous prétendons « indépendant » mais que nous ne pourrions même pas déclencher sans l’accord des Américains, soumettant ainsi pendant encore vingt ans tous les Premiers ministres ultérieurs à une politique de défense totalement asservie à Washington. Six : un traité qui autorise les États-Unis à extrader nos citoyens pour qu’ils soient jugés aux États-Unis, mais qui ne nous permet pas la réciproque. Sept : une collusion en matière d’enlèvement illégal, de torture, d’emprisonnement et même de meurtre de nos citoyens. Huit : le limogeage régulier de tout ministre — je suis bien placé pour en parler — qui ne soutient pas à cent pour cent l’alliance avec les États-Unis. Neuf…