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— Alors dites-moi ce que vous voulez et je vous répondrai, ai-je repris.

D’une poche il a sorti une enveloppe cachetée qu’il m’a tendue sans que j’y accorde une attention extrême.

— Si vous ne consentiez pas à venir sur Terre avec moi, je devais vous remettre ceci.

— Et si j’avais accepté de venir, qu’en auriez-vous fait ?

— Je l’aurais rendu à mon chef.

— Pour qu’il puisse me le donner lui-même ?

— Sans doute, a-t-il reconnu.

Déchirant l’enveloppe, j’en ai tiré une simple feuille de papier. Je l’ai regardée de près dans la lumière incertaine. C’était une liste de six noms. Je l’ai lue en conservant un visage impassible.

Tous ces noms appartenaient à des gens que j’avais aimés ou haïs, et qui reposaient chacun quelque part dans une tombe.

Et tous avaient fait l’objet d’une photographie récemment tombée sous mes yeux.

Tout en exhalant un nuage de fumée, j’ai replié la liste, l’ai remise dans l’enveloppe, et j’ai jeté celle-ci sur la table qui nous séparait.

— Qu’est-ce que ça signifie ? ai-je demandé au bout d’un moment.

— Ils sont tous potentiellement vivants, a-t-il répondu. Je vous demande de détruire cette liste le plus tôt possible.

— D’accord. Mais pourquoi sont-ils potentiellement vivants ?

— Parce que leurs bandes de rappel ont été volées.

— Comment ?

— Nous l’ignorons.

— Pourquoi ?

— Nous ne le savons pas non plus.

— Et vous êtes venu me voir… ?

— Parce que vous êtes le seul lien à notre connaissance. Toutes ces personnes étaient de vos intimes.

Ma première réaction était l’incrédulité, mais je la dissimulais. Les bandes de rappel sont la seule chose de l’univers que j’aie toujours considérée comme inviolable, inaccessible, durant leurs trente jours d’existence que suit une destruction définitive. J’avais essayé une fois de m’emparer de l’une d’elles, et j’avais échoué. Elles sont protégées par des gardiens incorruptibles et des chambres fortes impénétrables.

C’est en partie à cause d’elles que je ne visite plus guère la Terre. Je n’aime pas l’idée de porter, même temporairement, une plaque de rappel. Les Terriens d’origine en ont une implantée à la naissance, et la loi exige qu’ils la portent aussi longtemps qu’ils demeurent sur la planète. Les gens qui viennent sur Terre pour y résider doivent obligatoirement en recevoir une. Et on en fait porter même aux simples visiteurs pour la durée de leur séjour.

Leur action consiste à fournir la matrice électromagnétique du système nerveux. Elles enregistrent le flux changeant de chaque individu, aussi unique en son genre qu’une empreinte digitale. Leur fonction est de transmettre le tracé de ce flux au moment de la mort. La mort est le doigt qui presse la détente, le projectile est la psyché, et la cible est une machine. C’est une énorme machine, dont le rôle est de graver le résultat de cette transmission sur une bande magnétique qu’on tient dans la paume de la main : un objet de quelques dizaines de grammes, rassemblant tout ce qu’un homme a jamais été ou espéré être. Et au bout de trente jours, la bande est détruite. C’est prévu ainsi.

Au cours des siècles passés, il y a eu pourtant un petit nombre d’exceptions dans des cas bien déterminés. Car la raison d’être de cette étrange et coûteuse organisation est la suivante : certains individus importants, quand ils meurent subitement sur Terre à un moment crucial de leur existence, quittent cette vallée de larmes en possession d’informations vitales pour les intérêts économiques ou technologiques de la planète. Tout le système du rappel est conçu pour que ces renseignements ne soient pas perdus. Mais, si perfectionnée soit-elle, la machine ne peut pas tirer l’information de la seule matrice enregistrée. C’est pourquoi, pour chaque porteur de plaque, il y a aussi quelque part une culture tissulaire congelée provenant d’un prélèvement effectué sur lui. Cette culture, associée à la bande, est également maintenue pendant les trente jours qui suivent la mort, avant d’être détruite elle aussi. Mais si le rappel se révèle nécessaire, un nouveau corps tout entier est fabriqué à partir de la culture, dans un CCA (un caisson de croissance accélérée), et ce corps reproduit l’original fidèlement dans les moindres détails, excepté pour le cerveau qui est une cire vierge. Sur ce dernier on superpose alors la matrice enregistrée, ce qui fait que l’individu rappelé possède chaque pensée et chaque souvenir de son prototype au moment de sa mort. Il est donc en état de fournir les informations que le Congrès mondial a jugées suffisamment précieuses pour autoriser le rappel. Une installation de sécurité à toute épreuve protège l’ensemble du système, qui est abrité dans une forteresse de cinq cents mètres carrés de superficie à Dallas.

— Vous pensez que c’est moi qui ai volé les bandes ? ai-je demandé.

Il a décroisé les jambes sans me regarder :

— Vous admettrez qu’il y a un rapport entre ces noms et vous.

— Oui. Mais je ne suis pas l’auteur des vols.

— Vous admettrez aussi que vous avez jadis été accusé de tentative de corruption d’un fonctionnaire gouvernemental en vue d’obtenir la bande de votre première femme, Katherine.

— Je n’ai pas à m’en cacher, puisque l’affaire a été de notoriété publique. Mais elle s’est terminée par un non-lieu.

— Exact… parce que vous pouviez vous offrir les meilleurs avocats, et que votre plan avait échoué. Mais ça n’a pas empêché le vol de la bande d’avoir lieu ensuite, et il s’est passé des années avant que nous découvrions qu’elle n’avait pas été détruite comme prévu. On ne peut rien prouver contre vous, je sais, ni rien tenter à votre égard puisque cette planète ne relève pas de notre juridiction. Il n’y a aucun moyen de vous atteindre.

J’ai souri de sa façon de prononcer le mot atteindre. Moi aussi j’ai mon installation de sécurité.

— Et que pensez-vous que j’aurais fait de la bande si je l’avais obtenue ?

— Vous êtes riche, Mr Sandow. Vous êtes l’un des rares à avoir les moyens de reproduire la machine de rappel. Et votre formation…

— J’avoue avoir entretenu ce projet. Mais je n’ai pas eu la bande, donc je ne l’ai jamais mis à exécution.

— Dans ce cas comment expliquez-vous les autres vols ? Ces vols échelonnés sur des siècles et concernant toujours vos amis ou vos ennemis.

— Je n’ai rien à expliquer car je ne vous dois aucune explication. Je vous répète simplement que je n’en suis pas l’auteur. Je ne possède pas ces bandes, je ne les ai jamais possédées. J’ignorais jusqu’à maintenant qu’on les avait prises.