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Qui nous contrôlaient. Oui.

J’avais toujours jugé Shimbo comme une création artificielle, un conditionnement inculqué à mon esprit par les Pei’ens, une personnalité alternée que j’assumais pour concevoir des mondes à fabriquer. Il n’y avait jamais eu conflit de volontés. Il venait quand je l’invoquais et me quittait une fois son rôle rempli.

Il ne s’était jamais emparé spontanément de moi, ne m’avait jamais soumis à une emprise quelconque. Peut-être au fond de moi désirais-je qu’il soit un dieu, parce que je souhaitais l’existence d’un principe divin quelque part ; et peut-être ce désir était-il la force qui m’animait, et que mes pouvoirs paranormaux mettaient en œuvre. Je n’en sais rien. Je n’en sais rien… Il y a eu une explosion de lumière quand il est arrivé, si brillante que j’ai crié sans comprendre pourquoi. Non, il n’existe pas de réponse. Je ne sais rien, voilà tout.

Nous nous tenions l’un face à l’autre, deux ennemis manipulés par deux autres ennemis plus anciens. J’imaginais la surprise de Mike devant la tournure prise par les événements. J’essayais de le contacter, mais ma faculté télépathique était entièrement bloquée. Je supposais toutefois qu’il se souvenait lui aussi de cette étrange confrontation qui avait eu lieu auparavant.

Puis j’ai vu les nuages s’amasser dans le ciel, et j’ai compris ce que cela voulait dire. Sous mes pieds le sol a été agité par une légère secousse. De cela aussi je connaissais la signification.

L’un de nous deux allait mourir, alors qu’aucun ne le souhaitait.

J’ai ait intérieurement : Shimbo, Shimbo, Seigneur de la Tour de l’Arbre Noir, doit-il en être ainsi ?

Et, tout en formulant ces mots, je savais qu’il n’y avait pas de réponse – pas d’autre réponse que ce qui allait suivre.

Le roulement long du tonnerre était comme un lointain tambour.

La lumière s’intensifiait sur les eaux.

Nous étions debout aux deux extrémités d’un champ clos en enfer, au milieu des vagues de lumière, des nuées de brume, des mouchetures de cendre ; et Flopsus à la face dissimulée teintait de sang les nuages.

Il faut aux puissances le temps de s’ébranler, une fois que le moment de leur déchaînement est atteint. Je les sentais passer en moi comme un flot et me balayer. Je ne pouvais remuer un muscle et j’étais incapable de détourner mes yeux du regard de l’autre. Dans la lumière dénaturée qui baignait ma vision, je voyais par instants les contours de sa silhouette se diluer, pour laisser paraître à la place celui que je savais être Belion.

J’avais l’impression de diminuer et de grandir tout à la fois ; de longs moments passèrent avant que je me rende compte que c’était moi. Sandow, qui devenait de plus en plus inerte, passif et minuscule. Et je sentais en même temps les éclairs prendre racine au bout de mes doigts, tandis que leurs faisceaux se balançaient au-dessus de moi dans le ciel, prêts à basculer pour être projetés vers la terre avec fracas. Moi : Shimbo de l’Arbre Noir, le Semeur de Tonnerre…

À ma gauche le cône gris du volcan se renversait de côté, et le sang orange s’écoulait dans l’Achéron en faisant crépiter les eaux bouillonnantes, et les doigts de flamme se tordaient en rougeoyant dans la nuit. Alors j’ai fendu la paroi du ciel avec mes lignes de chaos et je les ai précipitées sous moi dans un déluge de lumière, pendant que tonnaient les canons du ciel et que déferlaient la pluie et le vent.

Il n’était qu’une ombre, un néant, il était encore là quand la lumière disparut, mon ennemi. Le chalet flambait derrière lui et une voix criait :

— Kathy !

— Frank ! Reviens ! criait l’homme vert.

Le nain s’accrochait à mon bras, mais, le repoussant, j’ai fait le premier pas vers mon ennemi.

Une conscience a touché la mienne, puis celle de Belion – car je percevais le réflexe de ce dernier. L’homme vert a entraîné le nain à l’écart tout en poursuivant ses cris.

Mon ennemi lui aussi a effectué son premier pas, et le sol a tremblé, en se fissurant et s’effondrant par endroits.

Le vent l’a assailli lors de son second pas, et il est tombé à terre dans un étoilement de fissures ouvertes autour de lui. J’ai fait à mon tour un second pas, et le sol en cédant sous moi m’a également renversé.

Puis tout le pan de rocher sur lequel nous étions couchés a vacillé en s’affaissant, tandis que des fumerolles sortaient des fentes qui se creusaient à sa surface.

Nous nous sommes relevés, et notre troisième pas nous a amenés en terrain presque plat. J’ai fracassé les rocs autour de lui avec mon quatrième pas ; et avec le sien, il les a fait crouler au-dessus de ma tête. Le cinquième de mes pas fut le vent et le sixième la pluie ; et les siens furent le feu et la terre.

Les volcans illuminaient le bas du ciel et, dans sa partie supérieure, luttaient avec mes éclairs. Les vents fouettaient les eaux vers lesquelles nous continuions de glisser à chaque secousse de l’île. J’entendais leur clapotis, parmi le vent, le tonnerre, les explosions, le flic flac de la pluie. Derrière mon ennemi, le chalet à demi effondré brûlait toujours.

À mon douzième pas, les cyclones se sont levés ; et au sien, l’île entière s’est mise à tanguer et à craquer, au milieu des fumées de plus en plus denses et délétères.

Puis j’ai ressenti un contact qui n’aurait pas dû avoir lieu, et j’ai cherché quelle était son origine.

L’homme vert était debout au flanc d’un rocher, une arme à la main. Cette arme, un moment plus tôt, pendait à mon côté, inutile dans un pareil combat.

Il l’a d’abord braquée vers moi. Puis sa main a hésité et, avant que j’aie pu le frapper, elle a dévié vers la droite.

Un trait lumineux a fusé, et mon ennemi est tombé.

Mais le mouvement de l’île l’avait sauvé. Car une secousse avait renversé l’homme vert en lui faisant lâcher l’arme. Mon ennemi s’est relevé, en laissant sa main droite par terre derrière lui. Tenant dans la main gauche son poignet sectionné, il s’est avancé vers moi.

Des crevasses s’ouvraient tout autour de nous. Et, derrière l’une d’elles, j’ai aperçu soudain Kathy.

Elle avait quitté le chalet en flammes et avait assisté, pétrifiée, à notre lente progression l’un vers l’autre. Maintenant, en la voyant devant ce gouffre béant, je sentais brusquement ma poitrine se nouer, car je savais qu’il m’était impossible de la sauver.

Alors la crevasse s’est élargie. Avec un frisson d’horreur je me suis élancé en avant, car Shimbo n’était plus avec moi.

J’ai hurlé : « Kathy ! » tandis qu’elle chancelait au bord du gouffre et s’inclinait pour y tomber.

Au même instant, surgi de nulle part, Nick bondissait sur le rebord pour la retenir par le poignet. J’ai cru un moment qu’il arrêterait sa chute.

Un moment seulement.

Non qu’il n’eût pas la force nécessaire. C’était une question de poids, d’élan et d’équilibre.

J’ai entendu le juron de Nick au moment où ils s’enfonçaient ensemble.

J’ai relevé la tête en me tournant vers Shandon, possédé par une fureur de mort qui me brûlait l’épine dorsale. J’ai voulu dégainer mon pistolet et me suis rappelé, comme en rêve, ce qu’il était devenu.

Puis une chute de pierres s’est abattue sur moi pendant qu’il faisait un autre pas, et je me suis retrouvé cloué au sol avec l’impression d’avoir une jambe cassée. J’ai dû m’évanouir un instant, mais la douleur m’a fait reprendre conscience. J’ai vu qu’il s’était encore avancé d’un pas. Il était très près de moi désormais, et le monde alentour se déchaînait. J’ai regardé le moignon au bout de son bras, et ses yeux de forcené, et sa bouche qui s’ouvrait pour jeter une parole ou un rire. Alors j’ai levé la main gauche en prenant appui sur la droite et j’ai fait le geste qu’il fallait. J’ai crié en ressentant la brûlure qui m’incendiait l’extrémité du doigt et j’ai vu sa tête, détachée de ses épaules, rebondir en roulant sur elle-même – avec ses yeux toujours grands ouverts – avant de suivre ma femme et mon meilleur ami dans le précipice. Le reste du corps s’est effondré auprès de moi sur le sol, et j’ai gardé longtemps les yeux fixés sur le cadavre, jusqu’à ce que les ténèbres m’engloutissent.