Выбрать главу

Alors le garçon fait une chose bizarre. Qui calme le loup, qui le met en confiance. Le garçon ferme un œil.

Et les voilà maintenant qui se regardent, œil dans l’œil, dans le jardin zoologique désert et silencieux, avec tout le temps devant eux.

CHAPITRE II

L’ŒIL DU LOUP

1

Un œil jaune, tout rond, avec, bien au centre, une pupille noire. Un œil qui ne cligne jamais. C’est tout à fait comme si le garçon regardait une bougie allumée dans la nuit ; il ne voit plus que cet œil : les arbres, le zoo, l’enclos, tout a disparu. Il ne reste qu’une seule chose : l’œil du loup. Et l’œil devient de plus en plus gros, de plus en plus rond, comme une lune rousse dans un ciel vide, avec, en son milieu, une pupille de plus en plus noire, et des petites taches de couleurs différentes qui apparaissent dans le jaune brun de l’iris, ici une tache bleue (bleue comme l’eau gelée sous le ciel), là un éclair d’or, brillant comme une paillette.

Mais le plus important, c’est la pupille. La pupille noire !

— Tu as voulu me regarder, eh bien, regarde-moi !

Voilà ce que semble dire la pupille. Elle brille d’un éclat terrible. On dirait une flamme. « C’est ça, pense le garçon : une flamme noire ! »

Et le voilà qui répond :

— D’accord, Flamme Noire, je te regarde, je n’ai pas peur.

La pupille a beau grossir, envahir l’œil tout entier, brûler comme un véritable incendie, le garçon ne détourne pas son regard. Et c’est quand tout est devenu noir, absolument noir, qu’il découvre ce que personne n’a jamais vu avant lui dans l’œil du loup : la pupille est vivante. C’est une louve noire, couchée en boule au milieu de ses petits, et qui fixe le garçon en grondant. Elle ne bouge pas mais, sous sa fourrure luisante, on la sent tendue comme un orage. Ses babines sont retroussées au-dessus de ses crocs éblouissants.

Les extrémités de ses pattes frémissent. Elle va bondir. Un petit garçon de cette taille, elle n’en fera qu’une bouchée.

— C’est bien vrai que tu n’as pas peur ?

C’est bien vrai. Le garçon reste là. Il ne baisse pas son œil. Le temps passe. Alors, très lentement, les muscles de Flamme Noire se détendent. Elle finit par murmurer entre ses crocs :

— Bon, d’accord, si tu y tiens, regarde autant que tu voudras, mais ne me dérange pas pendant que je fais la leçon aux petits, hein ?

Et, sans plus s’occuper du garçon, elle promène un long regard sur les sept louveteaux duveteux qui sont couchés autour d’elle. Ils lui font une auréole rousse.

« L’iris, pense le garçon, l’iris autour de la pupille… »

Oui, cinq louveteaux sont exactement du même roux que l’iris. Le pelage du sixième est bleu, bleu comme l’eau gelée sous un ciel pur. Loup Bleu !

Et la septième (c’est une petite louve jaune) est comme un éclair d’or. Les yeux se plissent quand on la regarde. Ses frères l’appellent Paillette.

Tout autour, c’est la neige. Jusqu’à l’horizon que ferment les collines. La neige silencieuse de l’Alaska, là-bas, dans le Grand Nord canadien.

La voix de Flamme Noire s’élève à nouveau, un peu solennelle dans ce silence tout blanc :

— Les enfants, aujourd’hui, je vais vous parler de l’Homme !

2

— L’Homme ?

— Encore ?

— Ah non !

— Tu n’arrêtes pas de nous raconter des histoires d’hommes !

— Y en a marre !

— On n’est plus des bébés !

— Parle-nous plutôt des caribous, ou des lapins des neiges, ou de la chasse aux canards…

— Oui, Flamme Noire, raconte-nous des histoires de chasse !

— Nous autres, les loups, on est des chasseurs, oui ou non ?

Mais ce sont les hurlements de Paillette qui dominent :

— Non, je veux une histoire d’Homme, une vraie, une qui fait bien peur, maman, je t’en supplie, une histoire d’Homme, j’adore !

Seul Loup Bleu reste silencieux. Celui-là n’est pas d’un naturel bavard. Plutôt sérieux. Vaguement triste, même. Ses frères le trouvent ennuyeux. Pourtant, quand il parle — c’est rare —, tout le monde l’écoute. Il a la sagesse, comme un vieux loup plein de cicatrices.

Bon. On en est là : les cinq rouquins se sont mis à se bagarrer, et que je t’attrape la gorge, et que je te saute sur le dos, et que je te mordille les pattes, et que je tourne comme un fou autour de ma propre queue… la pagaille complète. Paillette les encourage de sa voix perçante en sautant sur place comme une grenouille en folie. Tout autour d’eux, la neige vole en éclats d’argent.

Et Flamme Noire laisse faire.

« Qu’ils s’amusent…, ils connaîtront bien assez tôt la vraie vie des loups ! »

Tout en se disant cela, elle pose son regard sur Loup Bleu, le seul de ses enfants à ne jamais s’amuser. « Tout le portrait de son père ! »

Il y a de la fierté dans cette pensée, et de la tristesse, car Grand Loup, le père, est mort.

« Trop sérieux », pense Flamme Noire.

« Trop inquiet… »

« Trop loup… »

— Écoutez !

Loup Bleu est assis, immobile comme un rocher, ses pattes antérieures tendues et ses oreilles dressées.

— Écoutez !

La bagarre cesse aussitôt. La neige retombe autour des louveteaux. D’abord, on n’entend rien. Les rouquins ont beau dresser leurs oreilles fourrées, il n’y a que la plainte soudaine du vent, comme un grand coup de langue glacée.

Et puis, tout à coup, derrière le vent, un hurlement de loup, très long, très modulé, qui raconte un tas de choses.

— C’est Cousin Gris, murmure un des rouquins.

— Qu’est-ce qu’il dit ?

Flamme Noire jette un rapide coup d’œil à Loup Bleu. L’un et l’autre savent bien ce que Cousin Gris leur dit, du haut de la colline où il est placé en sentinelle.

L’Homme !

Une bande de chasseurs…

Qui les cherchent.

Les mêmes que la dernière fois.

— Fini de jouer, les enfants, préparez-vous, nous partons !

3

Alors, c’était ça, ton enfance, Loup Bleu : fuir devant les bandes de chasseurs ?

Oui, c’était ça.

On s’installait dans une vallée paisible, bordée de collines que Cousin Gris pensait infranchissables. On y restait une semaine ou deux, et il fallait s’enfuir à nouveau. Les hommes ne se décourageaient jamais. Depuis deux lunes, c’était toujours la même bande qui traquait la famille. Ils avaient déjà eu Grand Loup, le père. Pas facilement. Une drôle de bagarre ! Mais ils l’avaient eu.

On fuyait. On marchait à la queue leu leu.

Flamme Noire ouvrait la procession, immédiatement suivie de Loup Bleu. Puis venaient Paillette et les rouquins. Et Cousin Gris, enfin, qui effaçait les traces avec sa queue.

On ne laissait jamais de traces. On disparaissait complètement. Toujours plus loin dans le Nord. Il y faisait de plus en plus froid. La neige s’y changeait en glace. Les rochers devenaient coupants. Et pourtant les hommes nous retrouvaient.