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— Ce n’est pas une histoire, je ne mens jamais. Elle avait une fourrure d’or, c’est vrai. Elle ne l’a plus. Elle s’est éteinte.

— Éteinte ?

— Parfaitement. Une nuit, elle est partie avec un de ses frères, personne n’a jamais su pour où, et, le matin, elle est revenue seule. Sa fourrure s’était éteinte. Elle ne brillait plus au soleil. Jaune paille ! On dit qu’elle porte le deuil de son frère.

— On dit ça ?

— On dit des tas de choses sur elle. Et tout ce qu’on dit est vrai, je la connais bien. On dit que les loups n’ont jamais eu de meilleur chasseur, c’est vrai ! On dit que ni elle ni les siens ne se feront jamais attraper par les hommes, c’est vrai !

— Qu’est-ce que tu en sais ? demanda Loup Bleu qui sentait une grosse boule de fierté gonfler dans sa poitrine.

Alors, Perdrix raconta. C’était en été. Trois familles de loups s’étaient rassemblées autour d’un étang où les canards pullulaient. Parmi elles, la famille de Paillette et celle de Perdrix. Tous à l’affût. Silencieux. Quand, tout à coup, « flop, flop, flop », un battement de l’air au-dessus d’eux, qu’ils reconnaissent tous. L’hélicoptère ! (Oui, ils se sont mis à nous chasser avec des hélicoptères, maintenant !) Et, bang ! bang ! les premiers coups de feu. Panique générale ! Les loups s’enfuyaient de tous côtés, comme s’ils étaient dispersés par le vent des hélices. Heureusement, les chasseurs tiraient mal. C’étaient des amateurs, des qui chassent pour se distraire. Du coup, voilà l’hélicoptère qui descend, de plus en plus près. L’herbe se couchait sous lui. Mais dans l’herbe, justement, il y avait Paillette, impossible à repérer, la même couleur, exactement ! Et tout à coup, un bond : hop ! la jambe du pilote : clac ! l’hélicoptère qui remonte, qui fait une drôle de pirouette, et plouf ! au milieu de l’étang !

Perdrix s’était alors précipitée vers Paillette : « Comment as-tu réussi ça, Paillette, dis, comment ? »

— Et tu sais ce qu’elle m’a répondu ?

— L’œil !

— Comment le sais-tu ?

— Je t’expliquerai. Raconte la suite.

— Oui, la suite. Bon, alors voilà l’hélicoptère au milieu de l’étang, les hommes parmi les canards (furieux, les canards !) et les loups assis tout autour, sur la rive, à rire, rire…, une rigolade, tu ne peux pas imaginer ! Il n’y avait que Paillette qui ne riait pas.

— Elle ne riait pas ?

— Non, elle ne rit jamais.

8

Voilà. Ce fut après cette conversation que Loup Bleu accepta la compagnie de Perdrix. Elle était gaie. Ils échangèrent leurs souvenirs. Les années passèrent. La semaine dernière, Perdrix est morte. C’est ainsi qu’on arrive au présent. À ce moment présent, justement, où Loup Bleu est assis dans son enclos vide. Assis en face de ce garçon.

* * *

Œil dans l’œil, tous les deux. Avec le grondement de la ville en guise de silence. Depuis combien de temps se regardent-ils ainsi, ce garçon et ce loup ? Le garçon a vu le soleil se coucher bien des fois dans l’œil du loup. Non pas le froid soleil de l’Alaska (celui-là, avec sa lumière si pâle, on ne sait jamais s’il se couche ou s’il se lève…), non, le soleil d’ici, le soleil du zoo qui disparaît chaque soir quand les visiteurs s’en vont. La nuit tombe alors dans l’œil du loup. Elle brouille d’abord les couleurs, puis elle efface les images. Et la paupière du loup glisse enfin sur cet œil qui s’éteint. Le loup reste là, assis face au garçon, bien droit.

Mais il s’est endormi.

Alors le garçon quitte le zoo, sur la pointe des pieds, comme on sort d’une chambre.

* * *

Mais, tous les matins, lorsque Flamme Noire, Cousin Gris, les rouquins, Paillette et Perdrix se réveillent dans l’œil du loup, le garçon est là, debout devant l’enclos, immobile, attentif. Le loup est content de le revoir.

— Bientôt tu sauras tout de moi.

Le loup rassemble maintenant ses plus petits souvenirs : tous ces jardins zoologiques, tous ces animaux de rencontre, prisonniers comme lui, si tristes, tous ces visages d’hommes qu’il faisait semblant de ne pas regarder, pas très gais, eux non plus, les nuages des saisons qui passent, la dernière feuille de son arbre qui tombe, le dernier regard de Perdrix, le jour où il décida de ne plus toucher à sa viande…

* * *

Jusqu’à ce moment précis où se présente le tout dernier souvenir de Loup Bleu.

C’est l’arrivée de ce garçon, justement, devant son enclos, un matin, au début de l’hiver.

— Oui, mon dernier souvenir, c’est toi. C’est vrai. Le garçon voit sa propre image apparaître dans l’œil du loup.

— Ce que tu as pu m’agacer, au début !

Le garçon se voit, debout dans cet œil tout rond, immobile comme un arbre gelé.

— Je me disais : Qu’est-ce qu’il me veut ? N’a jamais vu de loup, ou quoi ?

La respiration du garçon fait de la buée blanche dans l’œil du loup.

— Je me disais : Il se lassera avant moi, je suis plus patient que lui, je suis le loup !

Mais, dans l’œil du loup, le garçon n’a pas l’air de vouloir s’en aller.

— J’étais furieux, tu sais !

En effet, la pupille du loup se rétrécit et s’élance comme une flamme autour de l’image du garçon.

— Et puis tu as fermé ton œil. Vraiment gentil, ça…

Tout est calme, maintenant. Il se met à neiger doucement sur ce loup et sur ce garçon. Les derniers flocons de l’hiver.

— Mais toi ? toi ? Qui tu es, toi ? Hein ? Qui es-tu ? Et d’abord, comment t’appelle-t-on ?

CHAPITRE III

L’ŒIL DE L’HOMME

1

Ce n’est pas la première fois qu’on demande son nom au garçon. Les autres enfants, au début…

— Eh, toi, tu es nouveau par ici ?

— D’où viens-tu ?

— Qu’est-ce qu’il fait, ton père ?

— T’as quel âge ?

— T’es en quelle classe ?

— Tu sais jouer au Belvédère ? Des questions d’enfants.

Mais la plus fréquente était justement celle que le loup venait de poser à l’intérieur de sa tête :

— Comment tu t’appelles ?

Et personne ne comprenait jamais la réponse du garçon.

— Je m’appelle Afrique.

— Afrique ? C’est pas un nom de personne, ça, c’est un nom de pays !

On riait.

— C’est pourtant comme ça que je m’appelle : Afrique.

— Sans blague ?

— Tu rigoles ?

— Tu te moques de nous ou quoi ?

Le garçon choisissait un regard bien particulier et demandait calmement :

— Est-ce que j’ai l’air de rigoler ?

Il n’en avait pas l’air.

— Excuse-nous, on plaisantait…

— On ne voulait pas te…

— On ne…

Le garçon levait la main et souriait doucement pour montrer qu’il acceptait les excuses.

— Bon, je m’appelle Afrique, c’est mon prénom. Et mon nom de famille, c’est N’Bia.

Je m’appelle Afrique N’Bia.

* * *

Mais le garçon sait bien qu’un nom ne veut rien dire sans son histoire. C’est comme un loup dans un zoo : rien qu’une bête parmi les autres si on ne connaît pas l’histoire de sa vie.

— D’accord, Loup Bleu, je vais te raconter mon histoire.

Et voilà que l’œil du garçon se transforme à son tour. On dirait une lumière qui s’éteint. Ou un tunnel qui s’enfonce sous la terre. C’est ça, un tunnel dans lequel Loup Bleu s’engage comme dans un terrier de renard. On y voit de moins en moins à mesure qu’on avance. Bientôt, plus une goutte de lumière. Loup Bleu ne voit même pas le bout de ses pattes. Pendant combien de temps s’enfonce-t-il ainsi dans l’œil du garçon ? Difficile à dire. Des minutes, qui paraissent des années. Jusqu’au moment où une petite voix retentit au fond de l’obscurité pour annoncer :