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Et, quand les caravanes repartaient sous le ciel brûlant, ceux qui avaient entendu les histoires du garçon voyaient une autre Afrique, du haut de leurs chameaux. Le sable y était doux, le soleil une fontaine, ils n’étaient plus seuls : la petite voix du garçon les accompagnait partout dans le désert.

« Afrique ! »

Ce fut au cours d’une de ces nuits qu’un vieux chef touareg (il avait au moins cent cinquante ans) déclara :

— Toa, ce garçon, nous l’appellerons « Afrique » !

Lorsque Afrique racontait, Toa se tenait à l’écart, assis dans son manteau. Mais, à la fin de chaque histoire, il se levait, une écuelle de fer-blanc à la main, pour récolter les pièces de bronze ou les vieux billets.

— Il fait même payer les histoires de l’enfant !

— Toa le Marchand, tu te vendrais toi-même, si quelqu’un voulait de toi.

— Je suis le Marchand, grommelait Toa, je fais mon métier de marchand…

C’est vrai que Toa aurait tout vendu. D’ailleurs, un beau matin, il vendit tout.

Cela se passa dans une ville du Sud, là où le désert cesse d’être de sable. Une autre Afrique. Grise. Cailloux brûlants, buissons d’épineux, et, plus au sud encore, grandes plaines d’herbes sèches.

— Attends-moi là, avait ordonné Toa. Garde la tente.

Et il avait disparu dans la ville en tenant son chameau par la bride. Afrique n’avait plus peur d’être abandonné. Il savait que Casseroles ne quitterait pas la ville sans lui.

Pourtant, quand Toa revint, il était seul.

— J’ai vendu le chameau !

— Comment ? Tu as vendu Casseroles ? À qui ?

— Ça ne te regarde pas.

Il avait un drôle de regard en coin.

— D’ailleurs, je t’ai vendu, toi aussi. Et il ajouta :

— Te voilà berger, maintenant.

5

Après le départ de Toa, Afrique avait passé des heures à chercher Casseroles. En vain.

— Mais il n’a pas pu quitter la ville, il n’aurait pas fait un seul pas sans moi ! Il me l’avait promis !

Il interrogeait les passants. On lui répondait :

— Petit, ici, des chameaux, on en vend deux mille tous les jours !

Il interrogeait les enfants de son âge :

— Vous n’auriez pas vu un droma qui rêve ?

Les enfants riaient :

— Tous les dromas rêvent !

Il questionnait les chameaux eux-mêmes :

— Un dromadaire grand comme une dune !

Les chameaux le regardaient de très haut :

— Pas de petits dromadaires parmi nous, mon gars, rien que de belles bêtes…

Et, bien sûr, il s’adressait aussi aux acheteurs de chameaux :

— Un beau dromadaire couleur de sable, vendu par Toa le Marchand…

— Combien ? demandaient les acheteurs qui ne s’intéressaient à rien d’autre.

Jusqu’au moment où le Roi des Chèvres se mit en colère :

— Dis-donc, Afrique, tu n’es pas ici pour chercher un dromadaire, mais pour garder mes troupeaux !

C’était au Roi des Chèvres que Toa avait vendu Afrique. Pas un méchant homme, le Roi des Chèvres. Seulement, il aimait ses troupeaux plus que tout au monde. D’ailleurs, il avait des cheveux bouclés de mouton blanc, ne mangeait que du fromage de chèvre, ne buvait que du lait de brebis et parlait d’une voix chevrotante qui faisait frétiller sa longue et soyeuse barbiche de bouc. Il n’habitait pas de maison, mais une tente, en souvenir du temps où il gardait lui-même ses troupeaux, et il ne quittait jamais son immense lit de laine noire et bouclée.

— Oui, moi je suis trop vieux, sinon je n’aurais pas besoin de berger.

La moindre brebis malade, la moindre patte de mouton cassée, une chèvre disparue, il renvoyait le berger.

— Tu as bien compris, Afrique ?

Le garçon fit signe qu’il avait compris.

— Alors, assieds-toi et écoute.

Le Roi des Chèvres tendit au garçon un gros morceau de fromage et une écuelle de lait encore chaud, et il lui apprit le métier de berger.

Afrique resta deux années entières au service du Roi des Chèvres. Les habitants de l’Afrique Grise n’en revenaient pas.

— D’habitude, le vieux ne garde pas un berger plus de quinze jours. Tu as un secret ?

Afrique n’avait aucun secret. C’était un bon berger, voilà tout. Il avait compris une chose très simple : les troupeaux n’ont pas d’ennemis. Si le lion ou le guépard mange une chèvre de temps en temps, c’est qu’il a faim. Afrique avait expliqué cela au Roi des Chèvres.

— Roi, si tu ne veux pas que les lions attaquent tes troupeaux, il faut leur donner à manger toi-même.

— Nourrir les lions ?

Le Roi des Chèvres tortillait sa barbe.

— D’accord, Afrique, ce n’est pas une mauvaise idée.

Et, partout où Afrique emmenait paître les chèvres, il disposait de gros morceaux de viande qu’il apportait de la ville.

— Voilà ta part, Lion, ne touche pas à mes brebis.

Le Vieux Lion de l’Afrique Grise flairait les quartiers de viande sans se presser.

— Tu es un drôle de type, berger, vraiment un drôle de type.

Et il se mettait à table.

Avec le Guépard, Afrique eut une conversation plus longue. Un soir où celui-ci s’approchait en rampant du troupeau, avec mille précautions, Afrique dit :

— Ne fais pas le serpent, Guépard, je t’ai entendu.

Stupéfait, le guépard sortit sa tête de l’herbe sèche.

— Et comment tu as fait, berger ? Personne ne m’entend jamais !

— Je viens de l’Afrique Jaune. Là-bas, il n’y a que le silence, ça rend l’oreille fine. Tiens, je peux te dire que deux puces se disputent sur ton épaule.

D’un coup de dent, le guépard croqua les deux puces.

— Bien, dit Afrique, il faut que je te parle.

Impressionné, le Guépard s’assit et écouta.

— Tu es un bon chasseur, Guépard. Tu cours plus vite que tous les animaux et tu vois plus loin. Ce sont aussi des qualités de berger.

Silence. On entendit barrir un éléphant, très loin. Puis des coups de fusil.

— Chasseurs étrangers… murmura Afrique.

— Oui, ils sont revenus, dit le Guépard, je les ai vus hier.

Il y eut un moment de tristesse.

— Guépard, si tu faisais le berger avec moi ?

— Qu’est-ce que j’y gagnerais ?

Afrique regarda longuement le Guépard.

Deux larmes anciennes avaient laissé des traces noires jusqu’aux coins de ses lèvres.

— Tu as besoin d’un ami, Guépard, et moi aussi.

Voilà, c’est ainsi que cela s’était passé avec le Guépard. Afrique et lui étaient devenus inséparables.

6

Les plus jeunes chèvres ne pouvaient suivre le troupeau quand les pâturages étaient trop éloignés. Elles se fatiguaient. Elles traînaient en route, et les hyènes, qui n’étaient jamais loin, se léchaient les babines en rigolant. Le Guépard en avait assez de faire des aller et retour pour chasser les hyènes. Les chevrettes les plus fragiles étaient aussi les plus belles et les plus rares, c’était une race spéciale que le Roi des Chèvres appelait « mes Colombes d’Abyssinie ». Il passait des nuits blanches à l’idée qu’il pût leur arriver quelque chose.

— Roi, j’ai une idée pour protéger tes Colombes.

Afrique expliqua.

— Il faut laisser les plus jeunes en arrière.

Le Roi des Chèvres s’en arracha trois poils de barbe.