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– On verra bien ! grogna Adalbert dont le regard en disait long sur ce qu’il pensait des bonnes idées d’Aldo. On se revoit quand ?

– A dîner, je pense ? Avec ce que tu viens d’avaler tu n’as pas l’intention de déjeuner ?

– Non, intervint Fritz. Nous se retrouver à cinq heures chez pâtisserie Zauner ! C’est là que battre le cœur de Bad Ischl et si vous désire écrire là-dessus vous doit pas contourner. Et vous voir, tout être pareil comme quand François-Joseph siéger ! ...

– Va pour Zauner ! conclut Aldo. À cinq heures !

Et laissant les deux autres encore à table, il remonta chez lui pour y prendre casquette et imperméable.

Les mains au fond de ses poches, le col de son Burberry’s relevé, Morosini partit au pas de promenade le long de la Traun. Le temps gris et frais n’était guère fait pour mettre en valeur une station thermale en sommeil où nombre de villas affichaient leurs volets clos, mais le charme de la petite ville, au creux de sa vallée, était tel qu’il trouva plaisant de la voir ainsi débarrassée des hordes de curistes.

Le pont franchi, il retrouva sans peine la grille aperçue dans la nuit. Elle fermait une allée bordée de hauts buissons menant à une assez vaste maison ocre sous un grand toit en accent circonflexe, largement débordant, qui lui donnait une vague allure de chalet corrigée par les ferronneries compliquées des balcons. De la route, on ne voyait que l’étage dont, à la surprise du promeneur, les volets étaient eux aussi fermés...

Perplexe, Aldo hésitait sur ce qu’il convenait de faire quand une femme portant le costume des paysannes du Salzkammergut – robe de laine sombre à manches bouffantes sous un châle de couleurs et chapeau de feutre orné d’une plume – s’approcha de lui :

– Vous cherchez quelque chose, monsieur ? demanda-t-elle avec la gentillesse instinctive des gens de ce pays. Elle était charmante, avec un visage rond et frais qui attirait tout naturellement le sourire.

– Oui et non, madame, dit Morosini en se découvrant, ce qui la fit rosir un peu plus. Il y a fort longtemps que je ne suis venu ici, je ne me retrouve plus tout à fait. Cette maison, c’est bien la villa du baron von Biedermann ? (il avait lancé le premier nom qui lui était venu à l’esprit.)

– Oh non, vous faites erreur. C’était celle du comte Auffenberg. Je dis c’était parce qu’elle vient d’être vendue mais je ne saurais vous donner le nom du nouveau propriétaire.

– C’est sans importance, madame, du moment que ce n’est pas ce que je croyais. Merci de votre obligeance !

Elle le quitta en esquissant une rapide petite révérence et poursuivit son chemin. Aldo en fit autant quand il eut constaté que la maison ne donnait aucun signe de vie. Curieuse demeure, en vérité, où l’on venait passer quelques instants en pleine nuit avant de reprendre une longue route ! Pour rendre visite à un fantôme ? Ou à quelqu’un qui ne tenait pas à ce que l’on sache sa présence ? Décidément, le rôle d’Alexandre devenait de plus en plus trouble.

Avec un rien de mélancolie, Aldo pensa que son propre chemin prenait des allures d’impasse, et c’était une situation qu’il détestait, mais comment faire pour en sortir ? Retourner voir la comtesse pour lui révéler la bizarre conduite d’un homme en qui elle semblait placer toute sa confiance ? Impossible à moins d’avouer que leur entretien avait été espionné par Adalbert et lui. Ce qui l’était encore plus. On imaginait sans peine avec quelle indignation elle recevrait les confidences d’un personnage qu’elle ne portait déjà pas dans son cœur.

L’idée qu’Apfelgrüne saurait peut-être quelque chose ne fit que l’effleurer. Ce garçon s’intéressait à lui-même et à sa chère Lisa. Sans plus !

En désespoir de cause, il se résolut à aller passer un moment dans une brasserie, après quoi il pousserait jusqu’à la Kaiser Villa. Il croyait beaucoup aux atmosphères, et se plonger dans celle de cette résidence estivale de la famille impériale lui apporterait peut-être une idée.

La grande demeure dont la propriétaire actuelle était l’archiduchesse Marie-Valérie, devenue princesse de Toscane par son mariage avec son cousin l’archiduc François-Salvator, pouvait être visitée en partie, pourtant Morosini ne franchit pas le portique de cette construction dont les murs, d’un jaune doux, rappelaient un peu Schônbrunn et mettaient une note ensoleillée au milieu des arbres dépouillés par l’automne. L’intérieur, il l’avait entendu dire, abritait quantité de trophées de chasse, massacres de cerfs, de sangliers et surtout de chamois dont on disait que François-Joseph avait abattu plus de deux milliers. Les exploits cynégétiques n’avaient jamais tenté Morosini et ceux-là moins que tous autres. Et puis, comment chercher la trace d’une femme qui adorait les animaux au milieu d’un mausolée à leur destruction ? Aussi pré-féra-t-il errer dans le parc, monter lentement vers le pavillon de marbre rose que l’impératrice avait fait construire en 1869 pour écrire, rêver, méditer, se donner l’impression d’être une châtelaine comme une autre, libre de laisser errer son regard sur les plantes et les arbres dont s’entourait son refuge et derrière lesquels aucun garde ne se dissimulait.

Appartenant à un peuple que l’Autriche avait tenu captif pendant de trop longues années, le prince Morosini n’éprouvait guère d’affection pour son impériale famille, mais en lui l’homme de cœur ne pouvait refuser l’hommage de son admiration à une souveraine dont la beauté illuminait encore les nombreux portraits, ni celui de sa compassion aux nombreuses blessures dont son cœur avait saigné. Et c’était son ombre douloureuse et fière qu’il cherchait à saisir pour lui ravir peut-être un secret...

Debout près d’un sapin, il contemplait avec une certaine déception la bâtisse composite fortement influencée par le style troubadour qu’il avait toujours détesté quand une voix aimable se fit entendre :

– Je n’ai jamais beaucoup aimé cette construction. On y retrouve un peu trop le goût des princes bavarois pour un Moyen Age dans le style de Richard Wagner. Sans aller jusqu’aux délires du malheureux roi Louis II, cela rappelle un peu que notre Elisabeth était sa cousine et qu’elle l’aimait beaucoup.

Enveloppé d’une cape de loden, un feutre à blaireau enfoncé sur la tête et une canne à la main, M. Lehar considérait son compagnon de voyage avec un sourire malicieux :

– Vous ne m’aviez pas dit, ajouta-t-il, que vous étiez un admirateur de Sissi ?

– Pas vraiment mais, lorsque l’on vient ici, il est presque impossible d’échapper à la magie qui s’attache à son souvenir. Surtout lorsque c’est lui que l’on recherche. Un haut personnage, qui est de mes clients, lui voue une sorte de passion posthume : il m’a chargé de retrouver des objets lui ayant appartenu...

– Il est certain que dans ce domaine il y en a beaucoup mais je serais fort étonné qu’on accepte de vous en vendre seulement un.

– Telle n’est pas non plus mon espérance. Encore que l’on ne puisse jamais savoir. Non, ce que j’aimerais rencontrer, ce sont d’anciens fidèles...

– Plus ou moins dans le besoin ? Ça c’est tout à fait possible et ils sont assez nombreux à hanter ce parc. Tenez, en voici une, ajouta le musicien en désignant discrètement une dame vêtue de velours noir qui venait de sortir du château de marbre et se tenait debout, les mains au fond de son manchon, sous la petite véranda où s’accrochait une vigne vierge d’un beau rouge profond dont les feuilles commençaient à joncher la terre.

– Elle n’a pas l’air dans le besoin, remarqua

Morosini qui avait reconnu la comtesse von Adlerstein.

– Elle ne l’est pas, en effet, et elle cherche même à soulager bien des misères mais elle vous sera peut-être utile. Venez, je vais vous présenter !