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Il était déjà parti. Force fut à Aldo de le suivre après une brève hésitation. Après tout, il serait peut-être intéressant de voir comment on allait le recevoir ?

Le compositeur, lui, le fut à merveille. La vieille dame l’accueillit d’un franc sourire. Et qui s’effaça lorsque Morosini fut à portée de regard. Il jugea nécessaire de prendre les devants :

– Vous êtes trop impétueux, mon cher maître, dit-il en s’inclinant devant la comtesse d’une façon qui eût satisfait une reine. J’ai déjà eu l’honneur d’être présenté à Mme von Adlerstein... et je ne suis pas certain qu’une nouvelle rencontre lui agrée ?

– Pourquoi pas, dès l’instant où vous ne demandez pas l’impossible, prince ? Après votre départ, j’ai éprouvé quelques remords mais j’étais nerveuse ce jour-là. Vous en avez fait les frais. Je le regrette.

– Il ne faut jamais rien regretter, madame. Surtout pas un élan généreux. Vous voulez protéger votre amie mais, sur mon honneur, je ne lui veux aucun mal, bien au contraire.

– Je me serai donc trompée du tout au tout, dit-elle en tirant de son manchon un fin mouchoir dont elle effleura son nez d’un geste désinvolte qui ôtait à ses paroles toute notion de repentir. Elle ajouta aussitôt : Vous pensez rester ici quelque temps ? Je vous croyais reparti avec votre ami archéologue...

Décidément, elle a très envie d’être débarrassée de toi ! pensa Morosini qui répondit néanmoins avec bonne humeur :

– C’est justement parce qu’il est archéologue que nous sommes encore ici : il se passionne pour l’antique civilisation dite de Hallstatt et, comme je ne l’ai pas vu depuis longtemps, je vais demeurer quelque temps en sa compagnie.

Il aurait juré qu’au nom de Hallstatt Mme von Adlerstein avait tressailli. Ce n’était peut-être qu’une impression, mais une chose était certaine, sa nervosité revenait :

– D’où vient que vous ne soyez pas ensemble alors ?

– Parce qu’il m’a abandonné, comtesse ! fit-il avec une amabilité accrue. Nous avons eu le plaisir de faire mieux connaissance avec votre petit-neveu, hier à l’hôtel. M. von Apfelgrüne a insisté pour faire les honneurs du site à mon ami et, comme il n’y a que deux places dans sa voiture, j’en suis réduit à errer dans Ischl. Avec un certain bonheur, je l’avoue.

– Seigneur ! Où allons-nous si cet hurluberlu se mêle à présent d’archéologie ! Il n’est même pas capable de faire la différence entre un fossile et une pierre de taille ! J’espère avoir, un de ces jours, le plaisir de vous revoir, prince, et vous, mon cher maître, venez à Rudolfskrone quand vous en aurez le loisir !

– Je profiterai bientôt de la permission, se hâta de dire le musicien un peu vexé de s’être trouvé mis à l’écart avec tant de légèreté. Je compte vous donner de bonnes nouvelles de votre parent, le comte Golozieny. Nous nous sommes trouvés ensemble à Bruxelles et...

Mais elle descendait déjà le chemin en pente menant à la Kaiser Villa. Cependant, elle se retourna :

– Alexandre ? Je l’ai vu il y a peu mais venez m’en parler tout de même autour d’une tasse de thé !

La comtesse reprit sa route et, cette fois, ne se retourna plus :

– Quelle attitude bizarre ? fit Lehar décontenancé. Une femme qui est toujours la grâce en personne !

– Tout est de ma faute, mon cher maître ! J’ai le malheur de lui déplaire, voilà tout ! Vous auriez dû me laisser dans mon coin. Mais vous venez de prononcer un nom qui ne m’est pas inconnu. Le comte...

– Golozieny ? compléta le compositeur sans se faire prier. Que vous l’ayez déjà rencontré ne m’étonne pas. Il est quelque chose dans le gouvernement actuel mais cela ne l’empêche pas de voyager beaucoup à l’étranger. Il aime Paris, Londres, Rome... et les jolies femmes ! Qui, je crois, lui coûtent fort cher mais n’en dites rien ! Surtout à la comtesse : il est hongrois comme elle et c’est son cousin...

– Je crains fort qu’elle ne m’offre pas beaucoup d’occasions de la revoir.

– J’arrangerais cela si j’en avais le temps mais je repars pour Vienne dans deux jours. Alors, si vous voulez visiter ma maison, il faut vous dépêcher ! Rentrez-vous à présent ?

– Non. Je vais m’attarder encore un peu... J’aime cet endroit.

– Je ne peux vous donner tort mais j’ai la gorge fragile et je sens un peu de frais. A bientôt n’est-ce pas ?

Quand le père de La Veuve joyeuse eut disparu entre les arbres, Aldo consulta sa montre, tourna deux ou trois fois autour du pavillon de l’Impératrice puis reprit tranquillement le chemin de la ville. Aussi bien, on approchait de cinq heures et les grilles n’allaient pas tarder à fermer pour la nuit qui déjà s’annonçait.

Lorsqu’il rejoignit Adalbert et son mentor autour des petits guéridons de marbre blanc de Zauner, dans une atmosphère à la fois vieillotte et chaleureuse embaumant le chocolat et la vanille, les deux voyageurs étaient en train de faire disparaître une incroyable quantité de pâtisseries variées en buvant force tasses de chocolat :

– On dirait que vous avez faim, tous les deux ?

– Le grand air faire des creusements dans l’appétit, le renseigna Apfelgrüne en engloutissant une énorme part de Linzertorte agrémentée de crème fouettée. Vous faire bon promenade ?

– Excellente ! Meilleure même que je ne le pensais, ajouta Aldo avec un sourire sardonique à l’adresse de son ami. Et votre excursion ?

– Merveilleuse ! répondit celui-ci en lui rendant son sourire. Tu n’as pas idée à quel point c’était intéressant. Passionnant, même, devrais-je dire. Je vais sans doute aller passer quelques jours là-bas. Tu devrais venir ?

De toute évidence lui aussi avait fait une découverte et Morosini voua mentalement à tous les diables le malencontreux Fritz qui les empêchait de parler librement. Il fallut attendre d’être rentrés à l’hôtel mais, à peine les deux hommes se trouvèrent-ils seuls, que les questions fusèrent :

– Alors ?

– Eh bien ?

– Je sais qui est Alexandre, dit Aldo. Quant à la maison de la nuit dernière, elle vient de changer de propriétaire et on n’a pas pu me renseigner. Là-dessus, j’ai rencontré Mme von Adlerstein et elle n’a pas eu l’air content du tout que Pomme Verte t’ait emmené visiter Hallstatt.

– Le contraire m’étonnerait. Hallstatt est un village extraordinaire, magnifique, hors du temps, et l’on y fait d’étranges rencontres. Sais-tu qui j’ai vu débarquer tandis que nous buvions une bière à l’auberge ? Le vieux Josef, le majordome de notre comtesse. Il a suivi un chemin filant à travers les maisons mais je n’ai pas pu le suivre, à cause de mon compagnon.

– Et il n’a rien pu t’apprendre, lui ?

– Non. Il n’a même pas eu l’air surpris. Selon lui, Josef a des copains dans le coin. Un point c’est tout !

– On ne peut pas dire que ce soit une lumière, celui-là ! grogna Morosini. Je suis d’avis qu’on transporte nos pénates là-bas dès demain mais qu’est-ce qu’on va faire de lui ?

– Écoute, mon vieux ! La chance nous a fait quelques sourires aujourd’hui. Elle ne va pas s’arrêter en si bon chemin.

– Tu crois qu’elle va nous en débarrasser ?

– Pourquoi pas ? Je suis de ceux qui croiront toute leur vie au Père Noël ! ...

CHAPITRE 6 LA MAISON DU LAC

En descendant dîner, les deux compères trouvèrent à la réception une lettre de leur nouvel ami : Tante Vivi venait de le rappeler d’urgence en lui envoyant sa voiture. Il devait se présenter à sa table, vêtu comme il convenait :