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Aucune route ne menait à Hallstatt. Celle qui longeait la rive occidentale du lac dans sa partie nord tournait court au sud de Steg pour grimper sur Gosau.

Du pas lent de l’artiste cherchant un site, Aldo parcourut le village défleuri par l’automne bien que de courageux géraniums s’attardassent encore à quelques fenêtres. Il n’y avait plus de rumeur d’abeilles dans les mélèzes mais, dans presque toutes les maisons, les ménagères s’activaient pour aérer literies, rideaux et couvertures en un dernier grand nettoyage avant que vienne la première neige. Elles n’accordaient au promeneur qu’un regard distrait, habituées sans doute à ses semblables, juste un peu surprises peut-être que cet étranger eût choisi le mois le plus triste au heu du printemps qui ferait éclore les myosotis, les anémones et les renoncules au long des sentiers muletiers.

Après être resté un bon moment sur la terrasse soutenant la Pfarkirche – l’église paroissiale – à observer les toits épanouis sous ses yeux, Aldo pensa un instant que, si l’homme s’était évanoui aussi facilement, c’était peut-être parce qu’il était entré dans une maison proche de l’hôtel.

Pourtant, son instinct lui soufflait que c’était peu probable. La dame aux dentelles vivait cachée, et comment se dissimuler au cœur d’un village aussi resserré ? Alors, il redescendit vers l’unique rue pour aller vers l’extrémité nord de Hallstatt.

Là, il avisa un rocher d’où il pouvait observer les dernières habitations et s’y installa. Une maison attira son attention. D’où il était, elle avait l’air de sortir des eaux sombres. Son ample toit sommé d’un clocheton la faisait ressembler à une grosse poule aux ailes déployées protégeant des œufs blonds. Dans le petit jardin, une femme en Dimdl[vii] profitait de la sécheresse momentanée du temps pour étendre une lessive dont les draps et les taies d’oreiller étaient ornés de larges dentelles : du linge un peu trop luxueux pour une paysanne, même fortunée. C’était celui d’une « dame » et Aldo sut qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait...

Finalement, il craignit de se faire remarquer, plia bagage et prit le chemin du retour, non sans s’être assuré de certains repères, à commencer par la petite estacade de bois noir près de laquelle dansait une longue barque.

En pénétrant dans l’hôtel, il vit Georg Brauner qui faisait ses comptes, debout devant un pupitre à l’ancienne mode, et alla vers lui en se frottant les mains :

– Plutôt frais le vent, ce matin ! fit-il avec bonne humeur. J’ai fait quelques croquis et j’ai les doigts gourds. Si on buvait quelque chose avant le déjeuner ?

Par-dessus sa moustache roussâtre, Georg leva sur son client un regard gêné :

– Ce serait avec plaisir, Excellence, mais il me finit terminer ces comptes au plus vite. Cependant, je vous fais servir ce que vous voulez près du poêle. On l’a allumé tout à l’heure.

– Dans ce cas, j’attendrai le retour de mon ami : Je n’aime pas boire seul. J’espère qu’il ne tardera pas.

– Comme vous voudrez ! fit l’aubergiste en retournant à ses papiers.

Pas causant, décidément ! C’était d’autant plus étonnant qu’à leur arrivée, les Brauner s’étaient montrés plutôt loquaces. Pour passer le temps, Morosini, son matériel sous le bras, alla jusqu’à la cuisine où Maria, aidée d’une vieille femme et d’une jeune fille, était en train de rouler la pâte à Knödels, environnée d’une odeur de pain chaud et de chocolat. Elle accueillit le visiteur inattendu avec un beau sourire :

– Vous souhaitez quelque chose, monsieur le prince ?

– Rien du tout, Frau Brauner, mais il flotte jusque dans la rue des parfums si appétissants que je n’ai pas pu résister à l’envie de venir voir ce que vous faites de bon. Vous me pardonnez ?

– Bien sûr, puisque c’est ma pâtisserie qui vous attire. Je viens de préparer un Gugelhupf et une crème au chocolat pour le dessert. Vous avez fait une bonne promenade ?

– Très bonne. Ce village est magnifique. Il possède un charme...

– N’est-ce pas ? ... C’est dommage que vous le découvriez si tard en saison. Le temps est froid, humide, et nous allons devoir oublier le soleil jusqu’au printemps. C’est alors qu’il faudrait venir...

– On vient quand on peut. Je travaille beaucoup, et puis c’était une occasion de passer quelques jours en compagnie d’un vieil ami. Cela dit, le temps ne me dérange guère dès l’instant où il n’enlève pas son caractère à un endroit. J’aime dessiner des maisons et vous en avez de fort belles par ici. A commencer par la vôtre dont j’ai fait un croquis, ajouta-t-il en ouvrant son carnet de dessins sur lequel la jeune femme jeta un coup d’œil souriant :

– Mais vous avez du talent !

– Merci. J’aime bien celle-ci aussi.

Il avait tourné la page, découvrant, bien entendu, la maison de l’inconnue. Maria jeta un coup d’œil mais son sourire disparut.

– Elle me plaît beaucoup ! continua Morosini dont l’œil bleu-acier observait l’hôtelière. Si le temps me permet de planter un chevalet, j’en ferai un tableau. Cet endroit un peu écarté est tellement romantique !

Sans un mot, Maria essuya ses mains pleines de farine à un torchon, prit Aldo par le bras et l’entraîna au-dehors. Là, elle lâcha :

– Vous ne devriez pas peindre celle-là ! Il y en a d’autres, aussi belles !

– Je ne trouve pas. Mais pourquoi pas celle-là ? Le visage de Maria était devenu très grave.

– Parce que vous risquez de gêner, de blesser peut-être ceux qui vivent là ! Voir leur maison devenir sujet de peinture est la dernière chose qu’ils souhaitent parce cela signifie que vous allez les observer pendant des heures et des heures ?

Aldo se mit à rire :

– Diable ! Vous me faites peur ! Elle n’est tout de même pas hantée, cette maison ?

– Il ne faut pas rire. Il y a là... une grande malade, une femme qui a beaucoup souffert. N’aggravez pas son mal en lui faisant croire qu’elle est en butte à une curiosité étrangère.

Ayant dit, Maria allait le planter là pour rentrer dans sa cuisine mais il la rappela :

– Attendez un instant !

– J’ai à faire...

– Rien qu’un instant !

D’un geste vif, il arrachait la page du carnet de croquis resté ouvert et la tendit à la jeune femme :

– Tenez ! Faites-en ce que vous voulez ! Je ne peindrai pas cette maison...

Le sourire qu’elle lui offrit ressemblait à un rayon de soleil perçant un nuage noir :

– Merci, dit-elle. Vous comprenez, tout le monde ici les aime beaucoup... On ne veut pas qu’il leur arrive du mal.

Et cette fois, elle rentra. Morosini en fit autant mais d’un pas beaucoup plus lent et plutôt songeur. Si le village entier se dressait entre lui et celle qu’il voulait atteindre, les choses risquaient de se compliquer mais, d’autre part, c’était plutôt rassurant pour la sécurité de cette femme. Quant au geste qu’il venait d’offrir à Maria, il en avait un peu honte puisqu’il était né d’un mensonge – jamais il n’avait eu l’intention de « portraiturer » la maison – et ensuite il était toujours aussi décidé à en découvrir le secret.

L’estomac dans les talons, il attendit le retour d’Adalbert, et il était près de deux heures quand il se rendit aux instances de ses hôtes :

– Quand le Herr Professor est sur le site, il n’y a plus moyen de l’en arracher. Je suis certain qu’il a emporté avec lui des sandwichs et de la bière avec l’intention de les partager. C’est la tombée du jour qui les ramènera... annonça Georg.

– Il aurait pu le dire, bougonna Morosini, qui ne s’en attabla pas avec moins d’appétit devant des beignets de jambon, un goulash de veau à la hongroise puis une crème au chocolat accompagnée d’une part de Gugelhupf, le tout arrosé d’une bouteille de klosterneuburger que Georg compatissant et peut-être reconnaissant – Maria avait dû lui raconter l’histoire du dessin – alla lui tirer de sa cave. Mais quand ce fut fini, il se demanda ce qu’il allait faire de son temps.