– Avez-vous une idée de qui a pu commettre un pareil crime ? Tout ce sang... ce massacre ?
– Non. Pauvre Mathias et pauvre Marietta ! De si braves gens ! Des réfugiés hongrois dont Mme la comtesse s’est occupée mais, ce qui m’intrigue, c’est qu’ils vivaient ici avec leur fille... une pauvre déséquilibrée qui ne se montrait jamais et se prenait pour une princesse. Or il n’y a que trois corps...
– Elle aurait disparu ? Elle se cache peut-être ? Quand les assassins ont fait irruption, elle a dû être terrifiée ? ...
– En tout cas, il n’y a personne là-haut ! dit Adalbert qui revenait avec de l’alcool, du coton hydrophile et des pansements. S’il y avait eu quelqu’un je l’aurais vu.
Ni lui ni Aldo n’eurent le temps de donner à Lisa les premiers soins, le médecin arrivait. Dans son accoutrement montagnard, il ressemblait assez à Guillaume Tell. En un rien de temps, il eut examiné la blessure, effectué un bandage sommaire mais efficace pour arrêter le sang et déclaré qu’il fallait emmener Lisa chez lui afin qu’il puisse extraire la balle...
– Chez vous ? reprit Morosini inquiet. Vous avez une clinique ?
L’autre le considéra d’un œil sans tendresse :
– Si je dis qu’on l’emmène chez moi, c’est que j’ai ce qu’il faut pour opérer. Je soigne tout un district de montagnes plus les ouvriers des mines. Les accidents ne sont pas rares... Bon ! On va essayer de la ranimer !
– Comment se fait-il qu’elle soit encore inconsciente ? dit Adalbert alarmé lui aussi par la longueur de l’évanouissement. C’est une jeune fille solide, sportive...
– ... mais elle a derrière la tête une bosse grosse comme un œuf de poule ! Elle a dû s’assommer en tombant dans l’escalier !
Quelques instants plus tard, Lisa revenait à l’univers conscient. Ses yeux s’ouvrirent démesurément tandis qu’elle gémissait :
– Elsa ! ... Ils ont... enlevé Elsa !
Deuxième partie TROIS PAS HORS DU TEMPS...
CHAPITRE 8 LE MESSAGE
Ce qui s’était passé était d’une affligeante simplicité : vers dix heures, alors que Lisa conduisait Elsa à sa chambre pour l’aider à se coucher, Marietta, qui se préparait à éteindre les lampes tandis que Mathias remettait au râtelier les deux fusils dont il venait de passer la minutieuse inspection, entendit une voix de femme qui l’appelait en pleurant. Pensant qu’une voisine était en difficulté, elle n’hésita et sans même attendre l’avis de son époux, ouvrit la porte déjà verrouillée et sortit pour revenir aussitôt, poussée brutalement à l’intérieur par quatre personnages vêtus de noir, masqués et tout alla très vite : Mathias qui avait repris l’un des fusils fut abattu par la hache lancée d’une main experte ; Marietta, terrifiée, reçut une balle de revolver pour l’empêcher de crier, tandis que les bandits commençaient à tout bouleverser dans la pièce. C’est alors que Lisa attirée par le bruit descendit l’escalier. Elle tenait un pistolet à la main et s’apprêtait à faire feu quand une balle l’atteignit : – Tu n’aurais pas dû tirer ! reprocha l’homme qui paraissait le chef. Il nous faut les bijoux et s’il n’y a plus personne pour répondre à nos questions...
– Reste la folle ! Elle saura bien nous dire où ils sont ! Montons !
Quand ils atteignirent les marches, Lisa, qui était tombée et faisait semblant d’être évanouie, rassembla ses forces malgré la douleur et s’agrippa à leurs jambes au passage. Un seul tomba : l’autre assomma la jeune fille d’un violent coup de crosse et, cette fois, elle s’évanouit pour de bon. Elle avait juste eu le temps d’apercevoir l’un des meurtriers arrachant Elsa à sa chambre.
– Je n’en sais pas plus mais j’ai très peur pour elle, murmura Lisa quand, deux heures plus tard, elle se retrouva, la balle extraite et l’épaule bandée, dans l’une des chambres de Maria Brauner en compagnie de celle-ci, d’Aldo et d’Adalbert Ces gens veulent les bijoux et sont capables de la torturer pour savoir où elle les cache. Or elle ne sait rien !
– Comment cela ! fit Morosini. Vous m’avez dit que l’aigle était son plus cher trésor avec la rose d’argent ? N’en avait-elle pas la disposition ?
– La rose, oui. Quant à l’aigle, on la lui donnait lorsqu’elle en exprimait le désir mais c’était elle qui souhaitait qu’on la range sans lui dire où. N’oubliez pas qu’elle se croit archiduchesse ! Oh, mon Dieu, que vont-ils lui faire ?
– Je ne pense pas qu’elle craigne quelque chose dans l’immédiat, dit Adalbert. Ces gens la croient folle, n’est-ce pas ?
– C’est ce qu’a dit l’un d’eux.
– S’ils ont une once d’intelligence, ils vont d’abord essayer de la calmer. Ensuite ils l’interrogeront. C’est pour ça qu’ils l’ont enlevée au lieu de la tuer.
– Et quand ils s’apercevront qu’elle ne sait rien ?
– Lisa, Lisa, je vous en prie ! intervint Aldo en prenant une main où battait la fièvre. Il faut penser un peu à vous et vous reposer. Frau Brauner va veiller sur vous...
– Ça, vous pouvez en être sûr ! approuva celle-ci. On ne peut pas faire grand-chose à présent. Notre bourgmestre a téléphoné à Ischl. La police arrivera au matin mais, pour trouver des traces, ce ne sera pas facile. Hans, le pêcheur qui est sur le lac par tous les temps, a vu une barque qui s’éloignait du rivage mais, avec le brouillard, ce n’était pas facile de distinguer sa route. Il lui a semblé que c’était vers Steg... Allez, Fraulein Lisa ! Il faut dormir ! ... Et vous, messieurs, dehors !
Ils se levèrent et gagnèrent la porte mais soudain Morosini entendit :
– Aldo !
Il se retourna : c’était la première fois que Lisa usait de son prénom. Il fallait que l’ex-Mina fût vraiment bouleversée pour abaisser ainsi sa garde :
– Oui, Lisa ?
Ce fut elle qui chercha sa main, la pressa en levant sur lui des yeux suppliants :
– Grand-mère ! ... Il faut aller la prévenir... et surtout veiller sur elle ! Ces gens sont prêts à tout ! Quand ils s’apercevront qu’ils n’obtiennent rien de leur prisonnière, Grand-mère sera en danger. Ils penseront à elle...
Ému devant l’angoisse que traduisait le mince visage, il se pencha pour effleurer de ses lèvres les doigts crispés sur les siens :
– J’y vais !
– Ne dites pas de sottises ! Il faut attendre le bateau... et le train...
– Vous voulez rire ? fit Adalbert qui s’était bien gardé de sortir. Il y a combien de kilomètres jusqu’à Steg par le chemin du lac ? Environ huit. Et une fois là, on trouvera bien un moyen de transport pour les dix derniers. Sinon on continuera à pied...
– Vingt kilomètres ? Vous arriverez rompus !
– Cessez de nous prendre pour des vieillards, ma chère ! Quatre ou cinq heures de marche ne nous tueront pas ! Tu viens, Aldo ?
– Oui. Encore un mot, Lisa ! Comment m’avez-vous dit que s’appelait votre pauvre amie ? Le vrai nom.
– Elsa Hulenberg. Pourquoi ?
– Plus tard, je vous expliquerai !
Il gagna sa propre chambre en se traitant de tous les noms ! Lui qui était si fier de sa mémoire, comment un déclic ne s’était-il pas produit quand Lisa lui avait raconté l’histoire d’Elsa ? Etait-il fasciné par son ex-secrétaire au point de n’avoir pas fait le rapprochement ? Après leur séparation, il avait bien emporté la vague impression d’avoir manqué quelque chose mais il n’avait pu trouver quoi. Et c’était si simple pourtant !