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Rassurés sur le sort de Lisa, Adalbert et lui quittèrent l’auberge un moment plus tard, équipés de vêtements de sport, de gros souliers, de sacs à dos contenant trousses de toilette et linge de rechange et prirent le chemin de terre qui rejoignait la route remontant vers Bad Ischl.

– On a le temps de causer, fit Adalbert quand ils eurent dépassé la maison du drame, gardée par quelques volontaires, en attendant la gendarmerie. Dis-moi un peu pourquoi tu as demandé à Lisa qu’elle te rappelle le nom d’Elsa ? Tu as fait alors une drôle de tête.

– Parce que je suis un imbécile et que c’est toujours affligeant à constater. Au fait, ça ne te rappelle rien, à toi, ce nom-là, Hulenberg ?

– N...on. Ça devrait ?

– Souviens-toi de ce que nous a dit le portier de l’hôtel à Ischl quand nous lui avons parlé de la villa où le mystérieux visiteur de tante Vivi a jugé bon de faire halte avant de rentrer à Vienne !

– C’était ça ?

– Tout juste ! La villa a été achetée « depuis peu » par la baronne Hulenberg ! Cette fois, je te garantis que rien ne m’empêchera d’aller y faire un tour. La nuit prochaine, par exemple !

– Et on dormira quand ?

– Ne me dis pas que tu t’arrêtes encore à ces viles contingences ? Quand on porte un si beau chapeau orné d’un blaireau et tout l’équipement d’un naturel du pays on doit se sentir taillé dans le granit. Alors ne commence pas à gémir, parce qu’on va avoir besoin d’un sacré courage tous les deux !

– Pour défendre la vieille dame ?

– Non, fit Morosini. Pour lui raconter l’agréable soirée que nous avons passée derrière ses fenêtres à épier ses petits secrets.

– Tu crois qu’il faut tout lui dire ?

– Pas moyen de faire autrement.

– Elle va nous jeter dehors ?

– Possible ! Mais avant il faudra qu’elle nous écoute.

En dépit de leur énergie, les deux hommes étaient éreintés lorsque, vers huit heures du matin, ils entrèrent dans Ischl et rejoignirent le Kurhotel Elisabeth où le portier leur réserva un accueil discrètement surpris de leur apparence mais sincèrement ravi de leur retour : les clients devaient se faire rares.

Ils commencèrent par s’attabler devant un solide petit déjeuner avant d’aller se mettre sous la douche et de changer de vêtements : ni l’un ni l’autre ne souhaitait s’attarder dans une chambre où s’offrait l’irrésistible tentation d’un lit moelleux. Il importait de se présenter au plus tôt à Mme von Adlerstein, même si la perspective ne les enchantait pas.

Adalbert n’en retrouva pas moins sa chère petite voiture avec une vive satisfaction et la ferme décision de ne plus s’en séparer :

– Quand on retourne à Hallstatt, on la prend, déclara-t-il. J’ai déjà fait le voyage avec Pomme Verte. On peut la garer dans une grange à environ deux kilomètres et je me demande même si je n’essaierai pas d’aller plus loin...

– Tu iras où tu veux pourvu que ce ne soit pas dans le lac, grogna Morosini, occupé à préparer ce qu’il allait dire. Tout dépendait, bien sûr, de l’accueil qui leur serait fait...

Lorsque la voiture et son bruit significatif s’arrêtèrent devant la haute porte de Rudolfskrone, il en eut une petite idée : un cordon de trois valets formant front derrière le vieux Josef barrait le passage.

– Mme la comtesse ne reçoit jamais le matin, messieurs ! déclara le majordome d’un ton sévère.

Sans s’émouvoir, Morosini tira de son portefeuille un bristol préparé à l’avance qu’il tendit au serviteur :

– Veuillez lui faire porter ceci. Je serais fort surpris qu’elle ne nous reçoive pas. Nous attendons !

Pendant que l’un des valets se chargeait de la commission, Adalbert et lui s’extirpèrent de leur véhicule et s’y adossèrent en contemplant le parc où l’automne étalait une superbe palette de couleurs allant du brun foncé au jaune pâle, relevé par le vert profond et immuable des grands conifères.

– Qu’est-ce que tu as écrit sur ta carte ? demanda Adalbert.

– Que Lisa est blessée et que nous avons à lui parler d’une affaire grave...

Le résultat fut des plus rapides. Le valet revint, dit un mot à l’oreille de Josef qui s’ébranla aussitôt :

– Si ces messieurs veulent bien me suivre... La comtesse les reçut dans la robe de chambre qu’elle avait dû passer en sortant de son lit mais sans perdre un pouce de sa dignité. Même si son visage pâle et tiré criait l’angoisse, même si sa main tremblait sur la canne où elle s’appuyait, elle n’en était pas moins debout et la tête haute, cette tête dont elle avait pris le temps de faire brosser et ramasser la chevelure blanche en un chignon lâche. H y avait quelque chose de royal dans cette vieille femme, et les deux hommes, plus impressionnés peut-être que la première fois, exécutèrent pour elle, avec un ensemble parfait, le même salut profond mais elle était bien au-delà des politesses de l’entrée :

– Qu’est-il arrivé à Lisa ? Je veux savoir !

– Elle a reçu cette nuit une balle dans l’épaule, mais rassurez-vous, elle a été soignée et à cette heure, elle repose au Seeauer sous la garde de Maria Brauner, dit Aldo. Malheureusement, nous avons d’autres nouvelles, beaucoup plus dramatiques, comtesse : Mlle Hulenberg a été enlevée, sa maison mise au pillage et l’on a tué ses serviteurs.

Le soulagement apparu sur le visage de la vieille dame fit place à une véritable peine :

– Mathias ? Marietta ? ... Morts ? Mais comment ?

– Lui a reçu une hache en plein front, elle un coup de revolver. Les assassins sont entrés par surprise. Ils ont abattu ceux qui se dressaient devant eux avant de se mettre à fouiller partout. Lisa était à l’étage : elle aidait son amie à se mettre au lit. Elle a pris une arme, est descendue. C’est dans l’escalier qu’elle a été frappée... Et nous, nous avons fait diligence afin que vous n’appreniez pas ce drame par les gendarmes ou la police...

– N’auriez-vous pas mieux fait de rester auprès de ma petite-fille ? Qui vous dit qu’elle n’est pas encore en danger ?

– Là où elle est, je pense qu’il faudrait passer sur le village entier pour l’atteindre. C’est elle qui a insisté pour que nous allions vers vous. Voyez-vous, elle craint que les ravisseurs ne s’en prennent à vous quand ils s’apercevront que leur otage ignore ce qu’ils veulent savoir. Alors elle nous a envoyés...

– Et, pour aller plus vite, nous sommes venus à pied, précisa Adalbert qui trouvait qu’on les recevait bien mal et aurait aimé s’asseoir. J’avais laissé ma voiture à l’hôtel et nous avions gagné Hallstatt par le train d’abord et le bateau ensuite, comme tout un chacun.

L’ombre d’un sourire flotta un instant sur les lèvres décolorées de la vieille dame :

– Je vous prie de m’excuser. Vous devez être très las. Prenez place, s’il vous plaît ! dit-elle en allant s’asseoir sur sa chaise longue. Désirez-vous un peu de café ?

– Non, merci, comtesse. Le siège suffira, bien que nous ne souhaitions pas vous importuner trop longtemps...

– Vous ne m’importunez pas. D’ailleurs, je crois que nous devrions parler un peu plus sérieusement que la dernière fois.

– Il m’est apparu que vous étiez pourtant très sérieuse ?

– Sans doute et je croyais vous avoir fait comprendre qu’il était inutile d’aborder certains sujets ? Je pensais même vous avoir incités à ne pas séjourner plus longtemps ici ? Comment se fait-il que vous vous soyez trouvés à Hallstatt cette nuit ?