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– Nous y étions depuis quelques jours, dit Vidal-

Pellicorne. Je désirais depuis longtemps visiter les vestiges d’une très ancienne civilisation. Ce petit voyage m’a permis de rencontrer un confrère éminent, le professeur Schlumpf avec qui j’ai eu de passionnants entretiens... Mon ami Morosini a souhaité m’accompagner...

– Vraiment ? Vous me voyez surprise, prince, que vos affaires, dont je connais l’importance, ne vous aient pas déjà réclamé à Venise ?

– Mais je suis en affaire, madame, et vous le savez fort bien. De même que vous n’ignorez pas que Mlle Kledermann, sous le nom d’emprunt de Mina Van Zelden, a bien voulu se charger de mon secrétariat pendant deux ans.

– C’est elle qui vous a dit que je savais ?

– Qui d’autre l’aurait pu ?

– Vous a-t-elle dit aussi que je ne vous aime guère ? fit-elle avec une brutale franchise.

– Croyez que je le regrette. Est-ce parce que je ne suis pas tombé sous le charme de « Mina » ? Vous auriez dû la voir ! Son père lui-même lorsqu’il s’est trouvé en face d’elle à Londres a piqué une crise de fou rire.

– C’est cela que j’aurais aimé voir ! Mon gendre, la gravité même, se laissant aller à l’hilarité, cela aurait mérité le voyage mais nous laisserons pour le moment mes sentiments de côté. Jouons cartes sur table ! Vous n’avez pas perdu l’espoir de vous emparer de l’aigle à l’opale, n’est-ce pas ?

– L’aigle ne m’intéresse pas et pas davantage sa valeur marchande encore que je sois prêt à la payer un prix royal. C’est l’opale que je veux parce qu’elle représente trop pour trop de gens. Cela dit, il est vrai que je n’abandonne jamais quand je crois avoir raison...

Il y eut un silence que la comtesse employa à examiner avec une attention presque gênante l’homme qui lui faisait face, et Morosini eût sans doute été fort surpris s’il avait pu lire ses pensées. Elle le trouvait séduisant, avec ce visage sauvé de la fade perfection par l’arrogance du profil et l’ironie nonchalante de la bouche, avec ce regard étincelant dont l’acier bleu savait atteindre une nuance plus tendre ou se teinter d’un vert inquiétant. Elle pensait que, plus jeune, elle l’eût sans doute aimé et s’étonnait que Lisa ait résisté à ce charme au point d’avoir abdiqué pendant deux ans toute la grâce de sa féminité. Celle-ci avait agi comme un entomologiste qui souhaite observer en toute quiétude un insecte rare. Quel curieux comportement !

– Soit ! soupira-t-elle enfin. Me direz-vous à présent comment vous avez retrouvé ma petite-fille ? Le pur hasard, peut-être ? Le merveilleux hasard de l’archéologie ? ... N’est-ce pas un peu trop facile ?

Morosini échangea un coup d’œil avec Vidal-Pellicorne. Le moment difficile était venu.

– Un peu, en effet, dit-il avec un grand calme. Pourtant, le hasard n’est pas complètement étranger. A notre hôtel, nous avons lié connaissance avec M. von Apfelgrüne qui s’est enthousiasmé en apprenant la profession de mon ami. Il a tenu à l’accompagner à Hallstatt pour une première visite, tandis que j’errais, moi, dans le parc de la Villa impériale à la recherche de ses fantômes. Il vantait – avec raison d’ailleurs ! – ce site assez exceptionnel, ajoutant qu’il était le berceau des Adlerstein...

– Aussi, enchaîna Adalbert, ai-je été à peine surpris d’y apercevoir votre majordome. De là à penser qu’une dame à laquelle vous accordez amitié et protection pourrait n’en être pas éloignée, il n’y avait qu’un pas et nous l’avons franchi.

– Friedrich a toujours été trop bavard ! dit la vieille dame en s’adoucissant un peu. Cependant...

La phrase resta en suspens. La porte venait de s’ouvrir, livrant passage à un homme en tenue de chasse qui entra avec toute l’aisance d’un intime :

– On me dit que vous êtes déjà levée, ma chère Valérie. Aussi ai-je tenu à vous embrasser avant d’aller courir sus au gibier... mais peut-être suis-je indiscret ? fit le comte Golozieny en considérant les visiteurs avec curiosité.

– Nullement, mon cher Alexandre. J’allais vous faire chercher. Un drame s’est produit chez Elsa : il y a deux morts sans compter une blessure de Lisa, ma petite-fille, et l’enlèvement de notre amie. Mais que d’abord je vous présente ces messieurs qui m’apportent cette affreuse nouvelle !

Golozieny l’arrêta du geste, tandis que son regard pâle scrutait les deux hommes, avec une visible méfiance :

– Un instant ! Comment se fait-il que ces messieurs aient pu se trouver sur le théâtre du drame ? Connaissaient-ils donc ce secret que vous n’avez jamais voulu me confier ?

Sa mine disait assez qu’il était vexé, mais la comtesse n’eut pas l’air de s’en soucier outre mesure :

– Ne soyez pas ridicule ! Seul le hasard leur a permis d’être sur place ! M. Vidal-Pellicorne est un archéologue fort intéressé par notre époque hallstattienne. Il effectuait un séjour là-bas en compagnie de son ami, le prince Morosini, que voici. J’ajoute que tous deux sont des amis de Lisa et que, depuis quelques jours, ma petite-fille était venue rejoindre Elsa qu’elle aime beaucoup et... qui avait besoin d’aide.

– C’est donc à Hallstatt qu’elle habite ? ...

– Nous en parlerons plus tard si vous le voulez bien ! Messieurs, je vous présente mon cousin, le comte Golozieny, attaché au département des Affaires étrangères.

On échangea saluts et poignées de main, ce qui n’augmenta pas la sympathie mutuelle : le cousin offrait une main molle, chose dont Aldo comme Adalbert avaient une sainte horreur. Ils se contentèrent de presser des doigts inertes. Quant au regard du diplomate, il était plus aigu et plus froid que jamais : la découverte, dans l’entourage de sa cousine, de deux étrangers remplis d’énergie et plutôt séduisants ne lui causait aucun plaisir. Comme c’était tout à fait réciproque, Aldo choisit de prendre congé :

– Les autorités ne vont pas tarder à se manifester, dit-il en se tournant vers son hôtesse. Je pense qu’il vaut mieux vous laisser les recevoir en famille. Nous sommes au Kurhotel Elisabeth, si vous aviez besoin de nous.

– Ce n’est pas moi qui vous chasse, j’espère ? dit le comte avec une onctuosité quasi épiscopale.

– En aucune façon, mentit Morosini. Nous avons à faire et puis nous souhaitons aussi prendre un peu de repos puisque, grâce à votre présence, comte, nous pouvons espérer que Mme von Adlerstein ne coure plus aucun danger. Ce qui n’était pas le cas jusque-là. Veillez bien sur elle !

– Fiez-vous à moi ! Je veillerai.

Le ton, pompeux à souhait, répondait à ce qui était plus un ordre et un avertissement qu’un conseil.

– Revenez ce soir, s’il vous plaît ? pria la vieille dame avec un élan soudain qui traduisait peut-être son angoisse. Nous aurons des nouvelles et vous partagerez notre dîner ?

Les deux hommes acceptèrent, prirent congé et regagnèrent leur véhicule sans échanger un mot. Ce fut seulement quand ils se furent éloignés qu’Adalbert lâcha la bride à ses impressions :

– Quel foutu hypocrite ! Je mettrais ma main au feu et ma tête à couper que ce bonhomme trempe jusqu’au cou dans le complot contre cette malheureuse Elsa !

– Tu peux y aller sans crainte ! Ni l’une ni l’autre ne craignent rien.

– Est-ce bien prudent de laisser « Grand-mère » seule avec lui ?

– Tenter quoi que ce soit contre elle serait se démasquer. Je ne crois pas qu’il soit fou...

– Alors que vient-il faire ? Elle est un peu subite, cette envie de chasser qui l’a amené à Rudolfskrone ?

– Tout à fait adéquate, au contraire ! Ses entrées fibres dans la place représentent une garantie idéale pour ses complices : il est venu voir comment les choses se passaient chez la comtesse, contrôler ses réactions et peut-être glisser ici ou là un conseil... judicieux.