Выбрать главу

– Je ne vois pas comment nous aurions pu faire autrement, dit Adalbert. Vous nous voyez lui conter sur le ton de la conversation de salon que, durant près de deux heures, nous avons épié, à plat ventre sur la loggia de cette maison, l’entretien secret qu’elle avait avec un certain Alexandre...

– Golozieny ? Le cousin ? Et en quoi cela vous intéressait-il ?

– Nous allons y venir, reprit Aldo, mais avant d’aller plus loin nous aimerions savoir ce que vous pensez de lui, quels sont vos sentiments à son égard ?

Pour mieux réfléchir sans doute, Lisa leva vers le plafond ses grands yeux sombres et soupira :

– Rien ! Ou pas grand-chose ! Il est l’un de ces diplomates toujours à court d’argent mais tirés à quatre épingles, sachant baiser avec âme les métacarpes patriciens mais incapable d’atteindre les sommets de sa carrière. Des gens dans son genre, il y en a toujours deux ou trois qui traînent dans les chancelleries et les milieux gouvernementaux. L’argent l’intéresse beaucoup...

– A merveille ! fit Aldo soudain épanoui. A présent, Adalbert va se sentir beaucoup plus à l’aide pour vous raconter notre équipée, ce que nous avons surpris et ce que nous avons vu ensuite. C’est un conteur-né !

Ce fut au tour de Vidal-Pellicorne d’éclore comme un tournesol touché par les tendres rayons du soleil. Le regard qu’il offrit à Morosini était empreint de gratitude, puisqu’il lui donnait l’occasion de briller devant celle qui le captivait de plus en plus. Ainsi encouragé, il fut parfait, retraçant la scène nocturne sans oublier le moindre détail et surtout ce qui l’avait suivie : l’étrange et courte visite rendue par Alexandre à la toute récente villa Hulenberg.

Lisa écouta avec attention mais ne put s’empêcher de remarquer avec un demi-sourire :

– Écouter aux fenêtres, c’est nouveau ça ! Je ne vous connaissais pas cette curieuse façon de traiter vos amis ?

– Puis-je vous rappeler que, jusqu’à ce jour, la comtesse ne nous traitait pas vraiment en amis. Maintenant, si ce qu’on vient de vous dire vous paraît sujet d’amusement...

La main de la jeune fille vint se poser sur celle de Morosini :

– Ne vous fâchez pas ! Mon accès d’ironie, hors de saison, tient surtout à ce que j’éprouve une véritable angoisse. Ce que vous avez découvert me paraît des plus graves et il faut en avertir Grand-mère. Quant à moi, je ne suis qu’à moitié surprise : je n’ai jamais aimé ce cousin-là !

D’un mouvement vif, elle se levait pour aller vers la porte mais Adalbert la retint par un pan de sa robe d’intérieur :

– Ne soyez pas si pressée ! Il y a peut-être mieux à faire.

– Et quoi, mon Dieu ? Je veux que cet individu quitte la maison sur-le-champ !

– De façon à ce qu’il nous file entre les doigts et qu’on ait toutes les peines du monde à le rattraper ? persifla Aldo. Ne raisonnez pas comme une gamine impulsive ! Tant qu’il est ici, on l’a au moins sous la main. Quelque chose me dit qu’il pourrait bien nous conduire à Elsa !

– Vous rêvez ? Il n’est pas d’une intelligence extrême mais il est rusé comme un vieux renard...

– Peut-être, mais les vieux renards se laissent quelquefois prendre au sourire d’une jolie fille, dit Aldo. Alors vous allez être charmante avec lui, ma mignonne, même si...

Les yeux sombres noircirent de colère :

– Un, je ne suis pas votre « mignonne » et, deux, vous n’obtiendrez pas de moi que je sois aimable avec ce vieux bouc ! Imaginez-vous qu’à son âge il prétend m’épouser ?

– Encore un ? Vous êtes un vrai danger public !

– Ne soyez pas grossier ! Si mon charme personnel ne vous paraît pas suffisant, sachez que la fortune de mon père me pare de toutes les séductions. Au fond... je n’ai jamais été aussi heureuse que durant ces deux années où je me suis cachée sous la défroque de Mina, ajouta-t-elle avec une amertume qui toucha Morosini, parce que c’était un aspect de la question qui lui avait échappé jusqu’à présent.

Désolé d’avoir peiné Lisa, il allait s’emparer de sa main quand, dans les profondeurs de la maison, un son de cloche annonça le dîner :

– Allez à table ! soupira Lisa. On se reverra plus tard...

– Vous ne venez pas ?

– J’ai une trop bonne excuse pour éviter Golozieny. Souffrez que j’en profite !

– C’est très compréhensible, dit Adalbert, mais vous avez peut-être tort. Avec un homme tel que lui trois paires d’yeux et autant d’oreilles ne seraient peut-être pas de trop ?

– Arrangez-vous des vôtres, mais ne manquez pas de venir me dire bonsoir avant de partir ! ...

Si Lisa pensait jouir tranquillement d’un moment de réflexion solitaire, elle se trompait. Elle finissait de parler quand sa grand-mère pénétra chez elle en trombe. La vieille dame semblait sous le coup d’une grande émotion. Alexandre la suivait comme son ombre.

– Regarde ce que Josef vient de trouver ! s’écria-t-elle en tendant à Lisa un papier. C’était sur la table du dîner, près de mon couvert. En vérité, l’audace de ces misérables ne connaît pas de bornes, ils osent s’introduire jusque sous mon toit ! ...

La jeune fille tendit la main vers le billet mais Morosini fut plus rapide et l’intercepta. Un coup d’œil lui suffit pour déchiffrer le message aussi bref que brutal :

« Si vous voulez revoir Mlle Hulenberg en vie, vous devrez obéir à nos ordres et ne prévenir la police sous aucun prétexte. Tenez-vous prête à déposer les joyaux demain soir à un endroit qui vous sera indiqué ultérieurement. »

– Avez-vous une idée de la façon dont ceci est arrivé jusqu’à vous ? demanda Morosini en donnant le billet à Lisa.

– Aucune ! Je réponds de mes serviteurs comme de moi-même, dit la comtesse. Cependant, l’une des fenêtres de la salle à manger était entrouverte et Josef pense...

– Que le papier est entré par là ? A moins d’être doué d’une vie propre, il faut qu’on l’ait déposé. Voulez-vous me permettre d’aller jeter un coup d’œil ? Reste avec ces dames, Adalbert, ajouta-t-il en posant sur Golozieny un regard dénué de toute expression. Je devrais suffire à la tâche...

Guidé par le vieux majordome, il gagna la grande salle où tout était disposé pour quatre personnes sur une longue table capable d’en accueillir une trentaine, et vit que le couvert de la maîtresse de maison était, en effet, le plus proche de la fenêtre restée ouverte.

Sans mot dire, Morosini examina l’endroit avec soin, se pencha au-dehors pour apprécier la hauteur et finalement quitta la pièce après avoir prié Josef de lui trouver une lampe électrique. Ensemble, ils firent le tour de la maison jusqu’à se trouver à l’aplomb de la salle à manger.

Celle-ci était au même niveau que la loggia mais sans communication avec elle, ce qui en rendait l’accès extérieur beaucoup plus difficile. A l’aide de sa lampe, Aldo put constater qu’aucune trace d’escalade n’apparaissait – avec l’humidité du temps, des pieds plus ou moins boueux auraient laissé leur marque. Aucun signe de dérangement non plus dans les massifs défleuris cernant la villa. La conviction de l’enquêteur était faite dès qu’il avait tenu le billet dans ses mains : il avait été déposé par quelqu’un de la maison et, puisque les serviteurs ne pouvaient être soupçonnés, il ne restait qu’une seule personne dont la complicité ne faisait aucun doute : Golozieny.

– Avez-vous trouvé quelque chose ? demanda la comtesse quand il la rejoignit dans le petit salon.

– Rien, madame ! Il faut croire que vos ennemis ont à leur disposition quelque génie ailé... ou alors un complice ?

– C’est une idée à laquelle je refuse de m’arrêter !