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Étant donné sa situation, on pouvait s’attendre à n’importe quelle manifestation du prisonnier sauf à l’entendre rire. Un rire, il est vrai, plutôt caverneux :

– Allez-y et vous risquez de déclencher une catastrophe. La maison est piégée...

– Piégée ? fit Adalbert. Comment l’entendez-vous ?

– De la manière la plus simple : si la police fait mine d’approcher ou encore des visiteurs trop curieux, les gens qui gardent votre Elsa la feront sauter au moyen d’une bombe à retardement qui leur laissera le temps de fuir par le lac...

Le sentiment d’horreur qui s’empara de tous se traduisit par un profond silence. Les deux femmes regardaient cet homme qui leur était apparenté avec une sorte de répulsion.

– Comment se fait-il, alors, qu’on ne nous en ait pas avisées avec la demande de rançon ?

– Mais on va vous le dire, sans préciser l’endroit, dans le message que vous allez recevoir demain soir... ou plutôt ce soir...

– Message que vous allez nous délivrer, sans doute ?

– Que je suis chargé de déposer, en effet, après l’avoir récupéré à certain endroit. Je crois que vous allez avoir encore besoin de moi.

Le ton devenait insolent, goguenard même. L’homme reprenait de l’assurance, décidé à marchander ce qui pouvait lui rester d’avenir. Tous le comprirent fort bien mais ce fut la vieille dame qui se chargea de la réponse.

– A vous de voir de quel côté il pourrait rester un peu de beurre sur vos tartines.

– Et je peux déjà vous assurer, reprit Morosini, que du côté de vos amis il n’y en a plus du tout ! Si tant est qu’il y en eût jamais dès l’instant où vous avez affaire à Solmanski.

– En attendant, gémit Apfelgrüne en bâillant à se décrocher la mâchoire, est-ce qu’on doit finir la nuit ici ?

– Non, décida la comtesse. Nous allons ramener cet homme au château où il sera gardé à vue jusqu’à la fin de ce drame. Messieurs, ajouta-t-elle en se tournant vers l’Italien et le Français, j’aimerais, si cela vous est possible, que vous demeuriez avec nous. Puisque nous ne pouvons pas encore le remettre à la police, je crois que votre aide nous est indispensable.

Tout en s’inclinant et en se déclarant à son entière disposition, Aldo pensa que, si l’on avait besoin d’une reine quelque part en Europe ou ailleurs, cette femme pourrait en assumer le rôle beaucoup mieux qu’une autre née sur les marches d’un trône. Elle dégageait ce fluide souverain qui attire le dévouement, au point qu’en ce qui le concernait il en venait à oublier l’opale pour ne plus songer qu’à complaire en toutes choses à cette très grande dame. Adalbert devait éprouver le même sentiment car, lorsqu’il partit pour rejoindre l’hôtel, signaler leur absence et prendre le nécessaire à un bref séjour, il murmura à son ami :

– Voilà une nuit qui comptera dans ma vie. J’ai l’impression d’avoir changé de siècle et de me retrouver dans la peau d’un paladin des temps anciens. Je me verrais assez bien en armure d’argent, chevauchant un blanc destrier et brandissant une épée flamboyante ! Nous devons délivrer une princesse captive... et perdre toute chance de récupérer l’opale ! Mais cela m’est curieusement égal...

Dans la matinée du lendemain, Morosini résolut d’aller repérer la maison que Fritz prétendait pouvoir désigner, et ce en dépit du temps affreux installé depuis quatre heures du matin. Un véritable déluge noyait le paysage, brouillant formes et couleurs ; circonstance qui allait permettre à sa petite Fiat grise à la capote relevée de passer inaperçue. De même pour les passagers : vêtus de cuir avec serre-tête et grosses lunettes, Fritz et lui étaient impossibles à reconnaître :

– Tâchez de bien ouvrir les yeux ! recommanda Aldo à son compagnon, parce que nous ne passerons sur la route qu’une seule fois. J’ai repéré un chemin peut-être un peu cahotant mais qui nous permettra de revenir ici sans trop de difficulté.

Ravi en son for intérieur de l’atmosphère tendue, mystérieuse, qui régnait à Rudolfskrone, et plus encore de la partager avec Lisa, le jeune homme assura qu’il ne lui en fallait pas davantage. Et, en effet, passé Strobl, il désigna sans hésiter un bâtiment construit en partie sur pilotis et situé à l’amorce de la pointe de Pùrglstein :

– Tenez, c’est là ! Impossible de se tromper. Cette baraque a été bâtie, il y a un moment déjà, par un pêcheur enragé qui se serait installé en plein milieu du lac s’il l’avait osé.

– Disons que c’était aussi un homme de goût ! Il a choisi l’un des plus jolis coins d’un lac qui n’en manque pas.

Le lac de Saint-Wolfgang est peut-être le plus aimable parmi ceux qui émaillent l’arrière-pays de Salzbourg et, en dépit des rafales de pluie qui obligeaient Aldo à sortir régulièrement un bras pour essuyer son pare-brise, son charme restait intact. Quant à la maison brune et trapue, assise les pieds dans l’eau et le derrière au milieu des marguerites d’automne et des petits chrysanthèmes jaunes, elle était de celles qui donnent envie de s’y arrêter un moment.

– Curieux endroit pour tenir quelqu’un en prison ? pensa-t-il à haute voix. On attendrait quelque chose de moins aimable. J’aurais plutôt cru que la baronne l’enfermerait dans sa cave...

Il put constater alors qu’il arrivait à Fritz de raisonner convenablement :

– Si c’est pour y mettre aussi une bombe, il vaut mieux choisir d’aller un peu plus loin. Et puis, ici, c’est isolé et on ne doit pas pouvoir approcher de la maison sans être vu. Il n’y a même pas un buisson dans le jardin...

– C’est on ne peut plus vrai et j’aurais dû y penser. Je dois commencer à vieillir...

– Ah ça, malheureusement on n’y peut rien ! soupira le jeune homme avec une conviction qui lui aurait valu un regard noir si Morosini n’avait été contraint de garder les yeux sur une route sinueuse, glissante et truffée de nids de poule.

– Rentrons ! grogna-t-il. Il faut savoir s’il y a des nouvelles.

Il y en avait.

Le système de correspondance usité par Golozieny et ses complices était des plus simples et remontait à la nuit des temps : un creux dans un arbre à la lisière du parc où il était on ne peut plus facile de déposer un billet ou d’en récupérer un. Le diplomate étant venu pour chasser, c’était ainsi qu’il avait trouvé le billet déposé et, le soir, au cours de sa promenade nocturne, il avait pu annoncer à ses complices aussi que les choses se passaient au mieux sans imaginer un seul instant quel gros nuage allait prochainement éclater sur sa tête.

Comme il n’était pas question, depuis qu’il était prisonnier, de le laisser gambader à travers le parc un fusil à l’épaule, Adalbert emprunta sa tenue de chasse, enfonça jusqu’aux sourcils le chapeau orné d’un blaireau, et releva le col, maintenu serré par une écharpe, du vaste loden imperméable qui emballait le tout. Il était peu probable, par cette pluie battante, que quelqu’un se donnât la peine d’observer ses faits et gestes mais un surcroît de précautions était toujours bon à prendre. Lisa, qui connaissait l’arbre en question depuis son enfance, lui servit de guide, habillée en garçon, jouant le rôle d’un valet chargé de porter les fusils.

L’expédition fut brève. Ils ne rencontrèrent pas âme qui vive, trouvèrent ce qu’ils étaient venus chercher et, comme la pluie redoublait de violence, se hâtèrent de remonter au château en jouant les chasseurs dégoûtés par un si mauvais temps.

Le message, destiné à être déposé sur le secrétaire de Mme von Adlerstein, était un peu plus explicite que le premier et contenait, cette fois, le rendez-vous attendu. Plus une surprise : c’était Golozieny escortant sa cousine Valérie qui devait apporter la rançon contre laquelle on remettrait Elsa à sa protectrice. Ce dernier détail eut le don de mettre Aldo hors de lui :