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– Incroyable ! Et tellement commode ! Si nous n’avions démasqué Alexandre, ces gens-là jouaient sur le velours. Ils récupéraient leur complice et n’avaient plus qu’à s’en aller tranquillement partager le magot entre eux. Sans compter qu’on demanderait peut-être une rançon pour rendre, par la suite, l’ineffable cousin promu otage ?

– Votre imagination italienne vous emporte, mon cher prince, dit la vieille dame. Il est beaucoup plus profitable, pour ce malheureux, de continuer à jouer son rôle de parent affectueux puisqu’il caressait l’espoir d’épouser un jour Lisa.

– Il n’est pas question, coupa celle-ci, de vous laisser aller seule avec lui car c’est peut-être vous, Grand-mère, qu’on enlèverait, sachant bien quelle fortune mon père et moi serions prêts à payer pour votre libération...

– Soyez tranquille, elle n’ira pas seule, reprit Morosini. Puisque le rendez-vous est à quelques kilomètres, il faudra prendre une voiture. Votre grande limousine me paraît tout à fait indiquée : je pourrai m’y cacher...

– Et moi ? protesta Adalbert. Je fais quoi ? Je vais me coucher ?

– Il ne faut pas m’oublier non plus, dit Fritz.

– Je n’oublie personne. Je crois que nous sommes en nombre suffisant pour faire en sorte de sauver Mlle Hulenberg et ses joyaux tout en mettant fin aux activités d’un véritable bandit. Si j’ai bien compris, le lieu choisi pour l’échange est proche du lac de Saint-Wolfgang, donc pas tellement éloigné de la maison que nous avons repérée tout à l’heure.

– C’est ça, fit Lisa. Comme ils ignorent que nous savons où Elsa est cachée, ils préfèrent que ce ne soit près ni de la villa de la baronne, ni de chez nous. En outre et en cas de mauvaise surprise, les bords du lac permettent d’échapper d’un côté ou de l’autre, voire par bateau...

– Ne cherchez pas trop la petite bête, fit Mme von Adlerstein. Puisqu’on nous ramène Elsa, le mieux est de leur obéir.

Une grande lassitude se lisait sur ses traits, au point que Lisa proposa de jouer son rôle pour lui éviter l’épreuve ultime qu’elle allait devoir affronter ce soir-là mais elle refusa :

– Nous n’avons pas la même silhouette, ma chérie. Tu es beaucoup trop grande ! Je vais me reposer un peu et j’espère pouvoir jouer dignement ma partie dans cet affreux concert. Il faut, avant tout sauver Elsa... à n’importe quel prix ! Et tant pis si elle doit y perdre ses bijoux ! Cela vaut mieux que la vie et on la laissera peut-être enfin tranquille ! Retenez bien cela, prince, et ne prenez pas de risques inconsidérés.

– Tranquille ? Croyez-vous, Grand-mère, qu’elle le sera quand elle saura que Franz Rudiger est mort ?

– Elle l’a cru longtemps et nous ferons tout pour le lui cacher. Je suppose, ajouta la vieille dame avec une amère tristesse, qu’elle pourra désormais aller entendre le Rosenkavalier sans plus courir de danger...

Morosini pensa, qu’on n’en était pas encore là...

Dans l’après-midi, le chef de la police de Salzbourg se présenta au château, dans l’espoir de faire avancer une enquête que ses sous-ordres ne savaient pas par quel bout prendre à cause du silence absolu dont elle devait s’entourer. A la demande du bourgmestre de Hallstatt d’abord, de Mme von Adlerstein ensuite, la presse avait été tenue à l’écart et comme, au village, personne n’avait rien vu, chacun jugeait plus prudent de ne rien dire... en admettant que l’on eût quelque chose à dire.

Les espoirs du haut fonctionnaire reposaient donc sur Lisa, témoin de premier plan. Elle le reçut dans le petit salon de sa grand-mère, étendue sur la chaise longue, la mine dolente et une couverture sur les genoux mais il ne put pas en tirer grand-chose. Elle se sentait mieux, certes, mais ne pouvait que répéter ce qu’elle avait déjà dit : séjournant chez une ancienne amie de sa mère qui vivait fort retirée, elle avait eu l’affreuse surprise de voir la maison envahie par des hommes armés et masqués qui avaient abattu les serviteurs de Fraulein Staubing et s’étaient enfui en enlevant celle-ci après l’avoir laissée elle-même pour morte. Pareille aventure dépassait son entendement et elle n’arrivait pas à comprendre d’où venait une attaque aussi brutale qu’inattendue.

– Ces gens sont venus pour voler, mais pourquoi avoir enlevé cette pauvre femme ? larmoya-t-elle en conclusion.

– Sans doute dans l’espoir d’une rançon puisque cette dame passait pour riche. Vous n’avez reçu aucune nouvelle ?

– Aucune. Ma grand-mère vous en dirait tout autant. Elle est souffrante, elle aussi, et je vous demanderai de ne pas troubler le repos qu’elle prend en ce moment. Nous sommes toutes les deux dans le brouillard le plus complet. Nous sommes aussi désolées l’une que l’autre, Herr Polizeidirektor. Et fort inquiètes.

– Ne vous tourmentez plus, je suis là ! affirma le gros homme qui était aussi large que haut. Il bombait le torse, ravi d’opérer dans la haute aristocratie. Lisa craignit qu’il ne plantât des hommes dans tous les coins de la maison, mais il se contenta d’offrir sa carte de visite portant son numéro de téléphone privé en recommandant de ne pas hésiter à l’appeler si le moindre événement se produisait. Cependant, la jeune fille le vit partir avec un réel soulagement...

Il était plus de onze heures du soir quand la Mercedes de la comtesse, conduite par un Golozieny plus mort que vif, quitta Rudolfskrone plongé dans l’obscurité. Profitant de ce qu’un vent violent s’était levé en fin d’après-midi, Mme von Adlerstein avait ordonné que tout fût éteint dès que les domestiques auraient regagné leurs quartiers.

Peu après, au volant de la Fiat d’Aldo, Adalbert sortait à son tour en compagnie de Fritz. Tous deux allaient prendre position en un heu dont ils avaient longuement débattu avant le dîner avec Morosini. Seule Lisa demeurait au logis, bien à contrecœur, sous la garde de Josef. Étonnante sagesse obtenue non sans peine : il avait fallu qu’Aldo déploie des trésors d’éloquence pour la convaincre de rester à l’écart mais devant l’inquiétude qu’il manifestait, Lisa avait fini par capituler.

– J’ai besoin d’avoir l’esprit clair, supplia-t-il en désespérant de voir s’effacer le pli d’un front buté et les nuages d’un regard orageux, et je ne l’aurai jamais si je dois me tourmenter pour vous. Ayez pitié de moi, Lisa, et comprenez que vous n’êtes pas encore en état de courir une aventure aussi dangereuse !

Elle céda brusquement mais il ne devina pas que sa main ferme et chaude posée à cet instant sur l’épaule de la jeune fille venait de la convaincre beaucoup mieux qu’une longue plaidoirie.

Le point de rencontre se trouvait en lisière de forêt : une croisée de chemins marquée par l’une de ces petites chapelles de plein vent comme on en rencontre en pays de montagne : un pieu de bois dressé à la verticale et soutenant un petit auvent où s’abritait une image pieuse ou un crucifix. Là, c’était une statue de saint Joseph, patron de l’Autriche, régnant sur un vaste paysage. A l’écart de toute habitation, le lieu était désert...

La grosse voiture noire s’arrêta. On éteignit les phares que l’on avait rallumés en atteignant la route.

Golozieny laissa glisser ses mains du volant, ôta ses gants et se mit à frotter ses doigts glacés sans pour autant faire cesser leur tremblement. Le silence et la nuit l’environnaient à présent, sans lui apporter le moindre apaisement. Comment oublier la vieille dame vêtue de noir qui occupait la banquette arrière, aussi droite et fière que si elle se rendait à une réception de cour ? Comment oublier surtout que, abrité par la couverture étendue sur ses genoux, le prince Morosini, armé jusqu’aux dents, était tapi à ses pieds, prêt à l’abattre, lui Alexandre, au moindre geste suspect, au moindre mot...