Le policier s’écarta pour donner des ordres tandis qu’Aldo reprenait avec amertume :
– Le troisième c’était Solmanski, j’en suis sûr. Il doit être quelque part dans la nature avec le sac aux joyaux. Sa bonne amie a dû le débarquer dans un coin tranquille...
– Il est possible qu’il ait emprunté la voie du chemin de fer qui longe le Wolfgangsee et franchit deux tunnels avant d’arriver à Ischl. Celui du Kalvarienberg mesure 670 mètres. De toute façon je le fais fouiller, mais sans grand espoir, dit Schindler qui avait entendu. Il a pu s’y dissimuler un moment puis gagner le large. Si c’est un sportif...
– C’est un homme d’une cinquantaine d’années mais je le crois bien entraîné. Vous devriez tout de même interroger la baronne puisque, à ce qu’il paraît, elle est sa sœur ? En tout cas, ajouta Morosini acerbe, aucun de vous ne paraît se soucier de l’otage de ces gens ?
– D’après ce que je vois, on te l’a rendue ? fit Adalbert en adressant un petit salut à la comtesse assise à l’arrière et soutenant Elsa qui semblait dormir.
– Ce fut moins simple que tu ne le crois ! Au fait, Herr Schindler, n’avez-vous pas entendu une explosion tout à l’heure ?
– Si et j’ai déjà envoyé quelqu’un. C’était vers Strobl ?
– C’était la maison dans laquelle cette malheureuse femme était retenue prisonnière. Grâce à Dieu, on a pu l’en tirer à temps ! Messieurs, si ça ne tous ennuie pas, je vais reconduire Mme von Adlerstein et sa protégée à Rudolfskrone. L’une comme l’autre ont besoin de repos et Lisa doit être folle d’inquiétude...
– Allez-y ! On se reverra plus tard ! Mais il me faudrait une description minutieuse de ce Solmanski ?
– Monsieur Vidal-Pellicorne vous en fournira une des plus précises. Et puis, la baronne possède peut-être une photo ?
– Oh, ça m’étonnerait, dit Adalbert. Un homme qui est déjà recherché par Scotland Yard ne doit pas laisser traîner ses effigies dans les salons...
Sans en entendre davantage, Morosini repartit et, quelques minutes plus tard, la voiture atteignait le château qui, cette fois, était éclairé comme pour une fête. Lisa, enveloppée dans une grande cape verte, faisait les cent pas devant la maison. Elle semblait très calme, pourtant, quand Aldo s’arrêta et descendit, elle se jeta dans ses bras en sanglotant...
CHAPITRE 10 UNE ENTREVUE ET UN ENTERREMENT
Adalbert repoussa sa tasse de café, alluma une cigarette et s’accouda après avoir relevé sa mèche rebelle d’un geste machinal :
– Et maintenant qu’est-ce qu’on fait ?
– On réfléchit, fit Aldo.
– Jusqu’à présent, ça ne nous mène pas loin...
Les deux compagnons étaient rentrés à leur hôtel aux petites heures du matin. Leur présence à Rudolfskrone, où Mme von Adlerstein avait obtenu que l’on rapporte le corps de son cousin après autopsie, n’était plus de mise et aurait peut-être encombré. Il y avait aussi Elsa, dont l’état nerveux nécessitait des soins attentifs avant qu’elle puisse répondre aux questions du commissaire Schindler.
Aldo fit signe à un serveur pour obtenir un autre café et, en l’attendant, alluma lui aussi une cigarette :
– Non, fit-il, et c’est bien dommage. La logique voudrait que nous courions sus à Solmanski, mais à condition de savoir de quel côté le chercher.
Jusqu’à présent, on n’avait retrouvé ni le comte ni les bijoux, et c’était ce dernier point qui les tourmentait le plus : l’opale était désormais entre les mains du pire ennemi de Simon Aronov !
– On peut toujours patienter un peu, soupira Adalbert en exhalant une longue volute de fumée bleue. Ce Schindler nous est reconnaissant de l’avoir prévenu. On glanera peut-être quelque chose de son enquête.
– Peut-être.
Il n’y croyait guère, Aldo. Son moral était à l’étiage. Bien qu’il ait eu la chance de sauver Elsa, il éprouvait un pénible sentiment d’échec : le Boiteux lui avait presque mis dans la main la gemme recherchée ; il la lui avait désignée en lui faisant confiance pour la cueillir et il s’en était montré incapable. Pis encore ! C’étaient peut-être leurs recherches sur Hallstatt, à Vidal-Pellicorne et à lui, qui avaient montré aux assassins le chemin de la maison du lac ? Et cette idée-là lui était insupportable. Mais comment aurait-il pu savoir que Solmanski était déjà au cœur de l’affaire ? Et par sa sœur, encore ! Il fallait que cet homme soit le diable !
– N’exagérons rien ! dit Adalbert qui semblait avoir suivi sur le visage de son ami le cheminement de sa pensée. Ce n’est jamais qu’un mécréant doué et capable du pire mais ça, on le savait déjà...
– Comment sais-tu que je pensais à Solmanski ?
– Pas difficile à deviner ! Quand ton œil vire au vert, ce n’est pas en général quand tu évoques un ami... ou une amie. Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi tu fais cette tête ? L’accueil de Lisa, cette nuit, était plutôt... réconfortant non ?
– Parce qu’elle m’est tombée dans les bras ? Oh ! ... ses nerfs étaient à bout et je suis arrivé le premier. Si Fritz ou toi m’aviez précédé, c’est vous qui auriez bénéficié de cette défaillance...
– La première chose à faire est de prévenir Simon. Il arrivera peut-être, lui, à dénicher Solmanski. Je vais aller télégraphier à sa banque zurichoise.
Il se levait de table pour mettre son projet à exécution quand un groom s’approcha de leur table et tendit à Aldo une lettre sur un plateau d’argent. A l’intérieur, il n’y avait pas plus de cinq mots : " Venez. Elle vous réclame. Adlerstein. »
– Tu iras plus tard à la poste, dit-il, en tendant le billet à son ami.
– C’est toi qui es appelé. Pas moi, dit celui-ci avec une nuance de regret qui n’échappa pas.
– Nous sommes deux dans l’esprit de la comtesse. Quant à... la princesse – depuis qu’il avait vu son visage, Aldo n’arrivait plus à l’appeler Elsa ! – tu mérites sa gratitude autant que moi. On y va !
En arrivant au château, ils trouvèrent Lisa en haut du grand escalier. Sa stricte robe noire les surprit :
– Vous allez porter le deuil ? Pour un cousin éloigné ?
– Non, mais, jusqu’aux funérailles qui auront peu demain, c’est plus correct. Le pauvre Alexandre n’a pas de famille, nous exceptées. Aussi grand-mère lui offre-t-elle une tombe au cimetière... Adalbert, vous allez être obligé de me tenir compagnie, ajouta-t-elle en souriant à l’archéologue. Elsa veut voir seul celui qu’elle appelle Franz. C’est bien naturel...
Il y avait dans ses paroles une note de tristesse qui n’échappa pas à Morosini :
– C’est surtout insensé ! D’après votre grand-mère, je ne ressemble pas à cet homme. Pourquoi ne l’avoir pas détrompée ?
– Parce qu’elle a trop souffert, murmura la jeune fille avec des larmes dans les yeux. Si j’osais même vous demander de jouer le jeu, de ne pas lui apprendre son erreur ? ...
– Vous voulez que je me comporte comme si j’étais son fiancé ? fit Aldo abasourdi. Mais je ne saurai jamais !
– Essayez ! Dites-lui... que vous êtes obligé de retourner à Vienne, que... que vous devez subir une opération ou... accomplir une nouvelle mission mais, par pitié, ne lui dites pas qui vous êtes. Grand-mère et moi craignons le moment où elle apprendra sa mort, elle est si faible ! Quand elle aura repris des forces, ce sera plus facile ! Vous comprenez ?