Выбрать главу

– Que voulez-vous... Il faut croire que j’étais stupide...

Elle relevait la tête, essuyait ses yeux avec un petit mouchoir puis, par habitude, arrangeait de nouveau l’écharpe de mousseline, mais elle souriait :

– Vous souvenez-vous de ce poème d’Henri Heine que vous me disiez quand nous nous promenions dans la forêt viennoise ?

– Ma mémoire n’est plus ce qu’elle était, soupira Morosini qui ne savait pas grand-chose de l’œuvre du romantique allemand, lui ayant préféré Goethe et Schiller... Je l’ai même perdue complètement pendant un temps.

– Vous ne pouvez pas l’avoir oublié ! Il était « notre » poète comme il était celui de la femme que je vénère le plus au monde, ajouta-t-elle en tournant son regard mouillé vers le buste de l’impératrice. Voyons ! Essayez avec moi !

Tu as des diamants, des perles Et tout ce que l’on peut souhaiter...

Eh bien ? La suite, si naturelle, ne vous vient même pas ?

A la torture, Aldo eut un geste d’impuissance en espérant qu’il serait une excuse valable.

– Je vais continuer un peu, les vers vous reviendront, j’en suis certaine :

Tu as les plus beaux yeux du monde Que veux-tu de plus, mon aimée ? ...

Comme il ne disait toujours rien, elle continua seule, jusqu’à la dernière strophe :

Ces beaux yeux, les plus beaux du monde

M’ont fait endurer le martyre

Et réduit à l’extrémité.

Que veux-tu de plus, mon aimée...

Le silence qui suivit pesa sur Aldo qui ne trouvait plus rien à dire mais commençait à en vouloir à Lisa. Comment avait-elle pu l’embarquer dans cette aventure insensée sans lui donner la plus petite arme ? Au moins les goûts, les habitudes d’Elsa ! Il devait bien y avoir dans cette vaste maison un recueil des œuvres d’Henri Heine ? Il se sentait plus que gêné : penaud. Et cherchait désespérément quelque chose d’intelligent mais, comme Elsa semblait perdue dans son rêve, il choisit de se taire et d’attendre qu’elle revienne.

Et soudain, elle se tourna vers lui :

– Si vous m’aimez toujours, comment se fait-il que vous ne m’ayez pas encore embrassée ?

Peut-être parce que j’ai conscience de mon infériorité. Après tout ce temps, vous êtes redevenue pour moi la princesse lointaine que j’osais à peine approcher…

– Ne m’aviez-vous pas offert la rose d’argent ? Nous étions en quelque sorte fiancés...

– Je sais, mais...

– Pas de mais ! Embrassez-moi !

Cette fois, il n’hésita plus et se jeta à l’eau. Quittant son siège, il prit Elsa par les poignets pour la faire lever et l’enlaça. Ce n’était pas la première fois qu’il embrassait une femme sans en être amoureux. C’était alors un moment de volupté légère comme lorsqu’il respirait une rose ou laissait ses doigts s’attarder sur le grain si lisse d’un marbre grec. Il pensait, en se penchant sur la bouche offerte, que ce serait pareil, qu’il suffirait de se laisser aller. Et pourtant ce fut différent parce que, cette femme qu’il sentait frémir contre lui, il voulait à tout prix lui offrir un instant de pur bonheur. Son plaisir à lui était sans importance : ce qui comptait, c’était qu’elle fût heureuse, et ce besoin de donner qu’il sentait en lui-même fit passer dans son baiser une ardeur inattendue. Elsa gémit cependant que tout son corps s’abandonnait.

Aldo pour sa part sentit une griserie légère. Les lèvres qu’il violentait étaient douces et le parfum d’iris et de tubéreuse qu’il respirait, même s’il était un peu trop entêtant pour son goût, n’en était pas moins efficace. Peut-être aurait-il osé davantage si une petite toux sèche n’était venue rompre le charme.

– Je vous supplie de m’excuser, fit la voix calme de Lisa, mais votre médecin est arrivé, Elsa, et je ne peux le faire attendre. Voulez-vous le recevoir ?

– Je... oui, bien sûr ! Oh, cher... il faut m’excuser !

– Votre santé avant tout... Je me retire.

– Mais vous reviendrez, n’est-ce pas ? Vous reviendrez bientôt ?

Elle était fébrile, tout à coup, avec au fond des yeux quelque chose qui ressemblait à de l’angoisse. Aldo lui sourit en baisant le bout de ses doigts :

– Quand vous m’appellerez.

– Demain, alors ! Oh, je vais demander à cette chère Valérie de nous offrir un dîner de gala : intime mais magnifique... Il faut fêter nos nouvelles fiançailles...

– Ce sera difficile demain, coupa Lisa impavide. Nous avons des funérailles. Même s’il ne s’agit que d’un cousin, on ne peut tout de même pas donner une fête le soir...

Amusé, Morosini, pensa que son ancienne secrétaire, droite et inflexible dans sa robe noire sur l’épaule de laquelle retombait une boucle indisciplinée, faisait un bien charmant rabat-joie mais, apparemment, elle ne partageait pas son humeur badine.

– Félicitations ! fit-elle quand ils se retrouvèrent tous deux dans la galerie, après qu’elle eut introduit le praticien. Pour un rôle dont vous ne vouliez pas, vous le jouez à la perfection ! Quelle fougue ! Quelle vérité !

– Si vous êtes contente, c’est le principal mais, justement, je suis en train de me demander si vous êtes si contente que ça ? Vous n’en avez vraiment pas l’air...

– Vous ne croyez pas que vous auriez pu observer un peu plus de retenue ? Pour une première entrevue tout au moins ?

– Qui parle d’une première entrevue ? Avant que Rudiger ne disparaisse il y en a eu pas mal, si ni bien compris ? Et nous ignorons l’un et l’autre ce qui s’y passait.

– Où voulez-vous en venir ?

– Mais... à une évidence. Après un moment de conversation, Elsa s’est étonnée que je ne l’aie pas encore embrassée : je lui ai donné satisfaction...

– En y prenant grand plaisir d’après ce que j’ai pu voir !

– Parce qu’il aurait fallu, en plus, que ce soit une corvée ? C’est vrai que j’ai trouvé cet instant agréable : votre amie est une femme exquise...

– A merveille ! Vous vous retrouvez fiancé : vous allez pouvoir l’épouser.

Cette explication se déroulant au long de la galerie puis du grand escalier, Aldo estima qu’il valait mieux s’expliquer face à face et arrêta Lisa en empoignant son bras :

– Il faut tout de même savoir ce que vous Voulez ? Je sais d’expérience que vous êtes entêtée comme une mule mais je vous rappelle que vous teniez à ce que je continue à passer pour le grand amour de cette pauvre femme. Que devais-je faire, selon vous ?

– Je ne sais pas ! Sans doute avez-vous agi au mieux mais...

– Mais rien du tout, Lisa ! Si vous aviez pris la peine d’écouter aux portes...

– Moi ? Ecouter aux portes ? s’écria-t-elle indignée.

– Vous, non. Cependant il me semble bien me souvenir qu’il est arrivé à... Mina, de recourir à ce mode d’information simple et pratique. Souvenez-vous du jour où nous avions reçu la visite de lady Mary Saint Albans ! ... Cela dit encore, j’ai laissé entendre à Mlle Hulenberg que je devais regagner Vienne afin d’y poursuivre un traitement. Donc je vais repartir, et bientôt !

– Etes-vous si pressé ? fit Lisa avec le superbe illogisme d’une fille d’Eve.

– Eh oui ! À l’heure qu’il est, le comte Solmanski est allé dans je ne sais quelle direction avec les bijoux d’Elsa et surtout avec l’opale après laquelle nous sommes condamnés à courir, Adalbert et moi.

Il y eut un silence au cours duquel Lisa resta un moment sans bouger et la tête baissée. Quand elle la releva ce fut pour planter dans les yeux de son compagnon son beau regard sombre chargé de nuages :