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Malko se perdit en quelques banalités de bon aloi, observé par l’œil inquisiteur du Chilien, se demandant pourquoi il avait tellement tenu à le voir. Comme s’il avait deviné ses pensées, Federico O’Higgins dit soudain.

— Voilà la terrible D. I. N. A. ! Regardez autour de vous. Est-ce qu’il y a des taches de sang, des cris de gens torturés ?

Les yeux saillants avaient pris une expression indignée et douloureuse. Devant le silence de Malko, O’Higgins hocha tristement la tête.

— On nous a beaucoup calomniés… Encore récemment des miristes ont assassiné un agent double, une femme, et on fait croire qu’il s’agissait de nous. Comme si nous avions le temps de nous livrer à des excès pareils ! Le général Pinochet nous a demandé d’être fermes, certes, mais humains, avant tout très humains. Comme lui.

Il se leva et montra à Malko un choix de photos où Pinochet n’arrivait pas à avoir l’air d’autre chose que d’un militaire borné, en dépit de ses efforts pour s’extirper un sourire crispé.

— Il est très humain, n’est-ce pas ? demanda avec une anxiété touchante le colonel O’Higgins.

Malko approuva avec mollesse. Ne sachant toujours pas où son interlocuteur voulait en venir. Posant les photos, le colonel changea brusquement de conversation.

Il paraît que vous avez participé à une agréable soirée, avant-hier. Oliveira Chonio est charmante. Vous êtes resté de « toque à toque », j’espère ?

Subitement, Malko se rendit compte qu’il subissait un interrogatoire, que l’homme en face de lui était un professionnel dangereux. Qu’il le sondait. O’Higgins montra à Malko un épais dossier rose posé sur son bureau.

— Ce sont les grâces… Tout passe par mes mains. Le général Pinochet m’a demandé d’être très généreux. Il est très humain. Nous relâchons beaucoup de gens compromis avec Allende, ou nous les laissons partir à l’étranger. Il n’y a que les marxistes très dangereux que nous traquons. Ceux qui se sont rendus coupables de crimes inexpiables… (Il se pencha vers Malko comme si on pouvait l’entendre en dépit de la porte fermée.) Ils voulaient assassiner tous les officiers non communistes lorsque le général a décidé de réagir. Le M. I. R…

Un téléphone se mit à sonner. Federico O’Higgins répondit par monosyllabes, son visage gélatineux soudain figé de respect. Il raccrocha et se leva.

— Señor, je vais vous prier de m’excuser, le général Pinochet me demande.

Malko ne se fit pas prier. Cette entrevue commençait à lui peser sérieusement. Avant d’atteindre la porte, il s’offrit la joie de lancer une flèche du Parthe.

— Tous les bureaux de la D. I. N. A. se trouvent dans ce building ?

Federico O’Higgins ne se troubla pas, jouant avec sa bouillotte machinalement.

— Au début, nous n’avions pas de locaux, expliqua-t-il onctueusement. Aussi, nous avons été obligés de nous installer un peu partout, mais maintenant, nous fermons ces locaux petit à petit.

Il raccompagna Malko jusque sur le palier. Au moment de le quitter, il dit d’une voix doucereuse, fixant les yeux dorés de Malko :

— Vous risquez de rencontrer beaucoup de gens durant votre enquête sur le Chili. Revenez me voir. Nous bavarderons…

C’était un appel à la délation. Probablement le vrai motif de l’insistance avec laquelle il voulait voir Malko. Ce dernier reprit l’ascenseur. Dégoûté et perplexe. Visiblement, le colonel O’Higgins s’était efforcé de le convaincre que la D. I. N. A. n’était qu’une aimable association de boy-scouts un peu trop zélés parfois… Quelque chose de trouble dans son regard inquiétait. Il se demanda comment il était arrivé à la tête de la D. I. N. A… Une question qu’il poserait à John Villavera. Il se remit à penser à Carlos Geranios, l’homme qu’il était venu sauver. Chalo Goulart mort, où allait-il le chercher ?

Il repassa tous les barrages en sens inverse, récupéra son passeport au poste de garde contre le laissez-passer signé par Federico O’Higgins et se retrouva dans la rue, soulagé.

Sans rien à faire de précis… Il pensa soudain à Oliveira. Par elle, il pourrait peut-être apprendre quelque chose sur la mystérieuse compagne de Chalo Goulart. Il marcha jusqu’à la Datsun contournant le bloc de l’Edificio Diego Portales. Les petites rues derrière étaient bordées de boutiques d’artisans, contrastant étrangement avec l’énorme tour de verre et de béton qui abritait la Junte.

* * *

Une demi-douzaine de « lolas » à moitié nues, en train d’essayer des chemisiers, dévisagèrent Malko effrontément en échangeant des rires chatouillés. Dès qu’elle l’aperçut, Oliveira, moulée dans une salopette de velours côtelé, lâcha sa cliente et fonça sur Malko. La fermeture éclair qui allait de l’entrejambe au cou était descendue presque jusqu’au nombril, ce qui permettait de se rendre compte qu’elle ne portait rien en dessous. Elle baisa Malko sur la bouche. Sans gêne.

— C’est gentil de venir me voir, murmura-t-elle en riant. Toutes les « lolas » vont être jalouses.

Le Palta grouillait de minettes croulant sous les vêtements, se battant pour les cabines, ou essayant au milieu du magasin. L’une d’elles, vint droit sur eux, en pantalon et soutien-gorge blanc, demander le prix du tee-shirt. La poitrine tellement gonflée qu’elle pouvait à peine parler, avec un regard gourmand pour les yeux dorés de Malko. Oliveira la renseigna avec une pointe d’agacement.

— Allons au Coppelia, suggéra la jeune femme. Ici on ne peut pas être tranquille.

Il la suivit dehors. Le Coppelia était un salon de thé, à deux immeubles de là. Malko et Oliveira prirent deux énormes glaces et s’installèrent dans un coin.

Malko se pencha vers elle.

— Est-ce que tu connais un certain Chalo Goulart ?

Elle leva les yeux avec surprise.

— « Chalo » bien sûr ! mais il est très vieux. Qu’est ce que tu fais avec lui ?

— Rien, dit Malko, il s’est suicidé hier soir…

Il lui raconta le dîner raté. Oliveira hocha la tête. C’est dommage, il était très gentil. Il appartient à une des plus vieilles familles d’ici, tu sais… Malko eut soudain une inspiration.

— Il y a des tableaux étonnants chez lui. Surréalistes. Il m’avait dit qu’il me présenterait au peintre. C’est idiot.

Oliveira pouffa dans sa glace.

— C’est pas un peintre, c’est une femme. Tania. Une Roumaine. C’est la maîtresse de Chalo depuis longtemps. Il l’a protégée quand Allende a été renversé. Parce qu’il a beaucoup aidé le nouveau régime.

— Tu sais où la trouver ?

Oliveira lui griffa légèrement le dessus de la main.

— Tu veux la sauter ?

Aussitôt, elle se reprit et éclata de rire.

— Si c’est Tania, je veux bien te donner son adresse. Elle pourrait être ma mère.

— Tu la connais ?

Elle hocha la tête.

— Bien sûr, ajouta perfidement Oliveira. Il paraît qu’elle a été très belle…

On ne pouvait être plus vache. Malko réprima un sourire.

— Que fait-elle en dehors de la peinture ?

— Je ne sais pas, elle est venue d’Europe, elle a couché avec beaucoup de gens, avant d’être avec Chalo. Elle ne sort jamais. Je vais t’expliquer où elle habite. C’est facile : juste en face du polo, à droite quand tu viens de la rivière dans la calle Carrera. Une petite maison peinte en jaune.

Rapidement, elle lui dessina un plan grossier sur un bout de papier, signa avec un cœur. Puis elle leva sur lui des yeux bleus et rieurs.

— Je te vois ce soir ?

— Avec joie, dit Malko.

Oliveira gonfla la poitrine, ce qui eut pour effet de faire descendre un peu plus la fermeture éclair.