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L’ambulance stoppa. Les carabinieros sautèrent à terre et tirèrent Malko dehors. Comme il ne tenait pas debout, ils le rouèrent de coups de crosse pour lui faire franchir les trois mètres qui le séparaient d’une petite porte. Il eut le temps d’apercevoir une rue étroite, un bâtiment de pierres noires, aux fenêtres occultées, et on le fit entrer dans un couloir sale, où il s’effondra sur un banc. À cause de son œil blessé, il y voyait à peine.

Un civil vint vers lui et, sans préavis, le frappa sur son arcade sourcilière fendue. Malko poussa un hurlement, eut la force de crier en espagnol :

— Je suis américain !

— Tu es un cochon de communiste ! ricana le policier. Mais ici, à la Casa de los carinios, tu vas changer d’idées…

Il comprit instantanément qu’il avait fait une gaffe, il aurait dû continuer à parler anglais. Cela lui donnait une meilleure chance. Deux carabinieros vinrent l’empoigner et le poussèrent le long du couloir. Il aperçut, par une porte ouverte, un petit bureau avec une femme en larmes assise sur un tabouret, les mains attachées avec des menottes derrière le dos, encadrée de deux civils armés de nerfs de bœuf. Un troisième, l’air las, en manches de chemise, tapait sur une machine à écrire.

Des cris montèrent d’une autre pièce, accompagnés du bruit mat des coups. On le poussa dans une cellule nue, aux fenêtres fermées, qui sentait le moisi et la sueur. Il n’y resta que cinq minutes. Pas même le temps de récupérer. Deux civils surgirent, le tirèrent dehors en le bourrant de coups et en l’injuriant, le jetèrent dans un escalier. On ouvrit une porte étroite qui débouchait dans un couloir souterrain éclairé par une ampoule nue. D’abord, il ne vit qu’un magma de corps des deux sexes serrés, debout, comme des sardines dans une pièce de trois mètres sur quatre environ. Des visages gonflés de coups se tournèrent vers lui. Un des civils glapit :

— Poussez-vous, huevos, vous avez un nouveau copain.

C’étaient des paysans, menottes aux mains, enchaînés les uns aux autres par une longue corde. Un garçon à lunettes, au premier rang, esquissa un geste de défense devant les menaces des civils. Ses lunettes tombèrent. Il tenta de les ramasser. Un des civils se précipita, lui martela le visage à coups de poing et, d’un coup de pied, brisa les lunettes par terre. Le garçon se mit à pleurer. Ses compagnons regardaient la scène, dans un silence suffoquant.

— Reculez, cochons ! cria un des civils.

Il y eut une faible ondulation dans les corps entassés. Malko calcula qu’il devait y avoir vingt personnes dans ces douze mètres carrés. Des femmes, même, dont il apercevait les longs cheveux.

La porte claqua aussitôt sur lui et il crut périr asphyxié. Ceux de derrière se détendaient brutalement. Laminé entre le battant et les corps sentant la sueur, le sang caillé, l’urine, il faillit se trouver mal. Son corps meurtri lui faisait affreusement mal, le sang s’était remis à couler sur son visage. Un vieil homme qui se trouvait comprimé contre lui, pas racé, have, demanda :

— Ils viennent de t’arrêter ?

Malko répondit en espagnol.

— Oui, il y a une heure, à peine.

L’autre soupira.

— C’est très dur ici. On ne peut même pas se coucher. Pour pisser, il faut faire debout comme les animaux. Ils ne nous laissent pas sortir. Ils nous jettent des galettes et un peu d’eau une fois par jour. Et puis, il y a le nain…

— Quel nain ? demanda Malko.

Près de lui, l’adolescent aux lunettes brisées sanglotait silencieusement, le visage ensanglanté.

— Tu verras bien assez tôt, fit le vieux. S’ils t’appellent, c’est pour lui. C’est un démon. On dit qu’il était des nôtres et qu’il se rachète.

— Depuis combien de temps êtes-vous là ? demanda Malko.

Le vieux compta lentement sur ses doigts.

— Onze jours !

— Onze jours ! Malko se demanda combien de temps il allait rester dans cette cave horrible. Il avait déjà des crampes. Il mourait de soif, à cause de l’eau savonneuse, sa tête était broyée dans un étau, tous ses muscles étaient douloureux. Il pensa à Carlos Geranios. Sa mission était terminée. Le miriste était mort. Ainsi que la belle fille au chemisier blanc. Il ne comprenait toujours pas comment la D. I. N. A. avait fait irruption si vite. Certain de ne pas avoir été suivi avec Tania. La porte s’ouvrit si brutalement qu’il faillit tomber à l’extérieur, du fait de la décompression. Deux carabinieros examinaient le magma humain. L’un d’eux pointa le doigt vers Malko.

— Le voilà, ce salaud de communiste américain.

Il le tira brutalement à l’extérieur, de façon à ce que les menottes s’enfoncent dans la chair de ses poignets. Malgré la douleur Malko fut soulagé. Il allait pouvoir s’expliquer, se faire connaître, échapper à cet enfer.

L’autre carabinier claqua la porte et la verrouilla, puis rejoignit Malko.

— On va te fusiller, salaud !

De nouveau, ce fut le petit escalier. Dans le couloir du rez-de-chaussée, il y avait encore une civière avec un mort. Et un groupe sanglant juste ramassé. Les hommes ne disaient rien, les yeux morts, assommés, ahuris. Un officier passa, avec des bottes rutilantes. Les deux carabinieros poussèrent Malko dans une pièce nue et sale.

— Déshabille-toi, cochon, ordonna l’un des deux.

Comme Malko n’obéissait pas assez vite, il reçut un coup de crosse en plein tibia ! Alors, le plus lentement possible, il ôta tous ses vêtements, ne gardant que son slip. Le carabiniero pointa le canon de sa mitraillette sur son ventre.

— Alors, tu ne veux pas montrer tes couilles de communiste ? Dépêche-toi, sinon je te les fais rentrer dans le ventre à coups de pompe.

Devant un tel langage, il n’y avait qu’à s’incliner. Ce que Malko fit. Le scénario était bien ajusté pour décontenancer le prisonnier, lui faire perdre toute dignité. Un des carabiniers détacha les menottes de Malko, le tira brutalement vers un radiateur et entrava les poignets autour d’un tuyau, de façon à ce qu’il ne puisse même pas s’asseoir par terre. Avant de sortir, il lui jeta.

— C’est ta dernière nuit, cochon ! Mais avant on va te donner le traitement spécial…

La porte claqua. Malko resta seul, essayant de récupérer un peu. Pourquoi l’avait-on arraché à la cellule commune ? Cela ne présageait rien de bon… Tout à coup un vacarme effroyable lui parvint à travers la cloison. On torturait un homme qui hurlait. Les vociférations des tortionnaires se mêlaient aux cris du torturé, sans éveiller d’écho dans ce monde sourd et aveugle glacé par la peur. Malko réalisa que cette petite maison noire, bien qu’au cœur de Santiago, était dans une autre dimension. Il eut peur brusquement. C’était une machine aveugle à broyer les êtres humains. La rage l’étouffait autant que la douleur. Il se remémora le visage doucereux et les propos lénifiants du colonel O’Higgins. La D. I. N. A., si douce et si gentille. Si correcte. Il essaya de trouver la position la moins inconfortable possible. Finalement, il dut se mettre à genoux. C’était ce qui tirait le moins sur ses poignets. Il entendait des gens passer dans le couloir, s’interpeller, parfois un rire ou au contraire un gémissement. Dans la pièce voisine, les cris avaient cessé.

Sa fatigue était si forte qu’il finit par s’assoupir à moitié. Il sursauta quand la porte s’ouvrit. Le nain trapu au chapeau blanc qu’il avait aperçu lors de l’assaut de la maison de la calle Santa Fé l’observait en balançant un nerf de bœuf dans la main droite. Son costume noir le boudinait d’une façon ridicule. Il s’approcha de Malko, demanda en espagnol :