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— Alors, tu as été bien traité jusqu’ici ?

Malko réussit à ne pas lui cracher au visage. En anglais il répondit de la voix la plus calme possible.

— Vous savez très bien de quelle façon on m’a traité. Je suis un citoyen américain en mission officielle dans votre pays. J’ai été arrêté par erreur et je vous prie de me faire relâcher immédiatement. Prévenez le colonel Federico O’Higgins. Il me connaît.

Au fur et à mesure qu’il parlait, les yeux du nain se rétrécissaient. Finalement, il sourit, montrant des dents gâtées.

— Bien sûr que tu es américain, huevo ! Mais nous en avons arrêté plusieurs des comme toi, déjà. Et tu sais où ils sont ?

Il se pencha et dit d’un ton confidentiel : « On leur a offert une balade en hélicoptère. Sans billet de retour ».

— Je ne suis pas communiste, dit Malko et j’ai été arrêté par erreur.

Avec un mauvais sourire le nain tapota la jambe de son pantalon avec le nerf de bœuf.

Puis, brusquement, il se pencha, saisit les cheveux blonds de Malko à pleine main et tira de toutes ses forces, le forçant à lever le visage vers lui.

— Où est ce cochon de Carlos Geranios ?

La stupéfaction fit oublier sa douleur à Malko. Ainsi Geranios avait échappé !

— Je n’en sais rien, dit-il. Je veux voir le colonel Federico O’Higgins.

L’autre le lâcha aussi soudainement qu’il l’avait pris, fit claquer sa langue et dit d’un ton conciliant :

— Écoute, tu as l’air d’un communiste intelligent. Tu n’es pas comme ces jeunes connards qui, dès qu’on les relâche, vont hurler partout qu’on est des sauvages, qu’on leur a fait des trucs horribles. (Il se rapprocha de Malko, véhément.) Et pourquoi ? Hein ? Pour une trempe, quelques dents, une couille à la rigueur. (Il leva l’index.) Jamais deux… On n’est pas des brutes. Je suis sûr qu’on peut s’entendre tous les deux. Tu comprends, je suis fatigué, moi, ça m’ennuie de te taper dessus. Il faudrait mieux qu’on fume une cigarette ensemble, non ?

Comme Malko, partagé entre le dégoût et une sorte d’hilarité nerveuse ne répondait pas, le policier soupira.

— Décidément, vous êtes tous les mêmes. On veut être chouette avec vous et ça ne sert à rien.

Il alla chercher dans un coin un nerf de bœuf et méthodiquement commença à frapper Malko. Ce dernier crut qu’il allait craquer durant les premiers coups. Il avait l’impression que ses chairs se décollaient. Les coups pleuvaient sur les fesses, les reins, le visage, les bras. La mâchoire serrée, le policier cherchait les endroits sensibles. Malko essaya de se refermer sur lui-même pour échapper à la douleur, à l’humiliation, pour tenir tête à l’homme qui le torturait. Il le haït, il le méprisa, oubliant les coups. Au bout de quelques minutes, sa haine était si forte que la douleur n’avait presque plus prise sur lui. Si peu, qu’il se dit que l’autre pourrait le tuer sans le faire plier…

Le policier s’arrêta brusquement essoufflé. Il posa le nerf de bœuf et examina Malko en soufflant.

— Tu es un dur, hein ? fit-il. C’est à Cuba qu’ils t’ont formé ? Tiens, avant de continuer sérieusement, je vais te montrer quelque chose qui va peut-être te faire parler, avant qu’il soit trop tard pour toi…

Il sortit de la cellule, laissant Malko seul. Dix minutes plus tard, il réapparut suivi de deux carabinieros aux visages indifférents, gris de fatigue, qui entrèrent portant une civière où un corps était dissimulé sous un drap couvert de sang. Ils posèrent la civière à terre et ressortirent, sans un regard pour Malko. Celui-ci se demanda quelle nouvelle horreur il allait affronter. Le nain au chapeau blanc se pencha et tira lentement le drap, découvrant le corps nu d’une femme.

— Regarde ton amie, fit Juan Planas d’un ton bonhomme.

Malko se força à baisser les yeux. D’abord, il crut que le policier bluffait. Puis un déclic se fit dans sa tête et l’horreur le submergea. La pauvre chose torturée qui reposait sur la civière, c’était Tania.

Ou plutôt ce qui avait été Tania.

La jeune femme avait été littéralement massacrée. Son corps était semé de petites blessures rondes et purulentes, là où l’on avait brûlée. Sa main droite n’était plus qu’une bouillie sanguinolente, aux os et à la chair broyée, comme si on l’avait écrasée à coups de marteau. Son visage était méconnaissable, boursouflé d’ecchymoses. Plusieurs dents manquaient. Elle était nue, attachée à la civière par des courroies de cuir. Malko vit ses seins lourds et un peu tombant se soulever lentement. La tête surie côté, les yeux fermés, elle respirait faiblement. Son bas-ventre n’était plus qu’une plaie. Le goulot brisé d’une bouteille de soda émergeait entre ses cuisses, maculées de sang. Témoin de ce qu’elle avait dû endurer.

Le nain secoua la tête ; avec une commisération affectée, il expliqua :

— Tu vois, elle a parlé, mais trop tard, on s’était un peu énervé avant, c’est idiot, hein ?

Malko ne répondit pas, submergé de dégoût. Le nain secoua Tania par l’épaule. Elle ouvrit les yeux avec un gémissement. Ses paupières étaient si gonflées qu’on ne voyait qu’un trait. Pourtant Malko aperçut distinctement l’éclair de stupéfaction lorsqu’elle vit son visage ensanglanté et son corps marbré de coups. Le nain saisit aussi son changement d’expression.

— Ça lui fait plaisir de te revoir, remarqua-t-il du même ton bonhomme.

— J’ai vu cette femme une fois dans ma vie, dit Malko. Ce que vous lui avez fait est ignoble.

Le nain secoua la tête.

— C’est une femme très dangereuse. Une bonne amie du señor Allende et de ce cochon de Fidel Castro…

Il prit l’air malin.

— Elle est très intelligente, tu sais. Jusqu’ici, elle était protégée, on ne pouvait pas y toucher. Parce qu’elle se faisait baiser par une « momia ». Un ami personnel de Son Excellence le général Pinochet. (Il soupira.) Et puis la « momia » est morte. Alors, j’ai pu bavarder avec la señora Tania. C’est grâce à elle que tu es ici. Mais elle sait encore beaucoup de choses. Où est Carlos Geranios maintenant, par exemple… Mais elle n’a pas encore voulu nous le dire. Alors, il faut qu’un de vous deux se décide…

Tania avait refermé les yeux. Malko était au bord de la nausée. Comment avait-elle échoué là ? Est-ce que son arrestation avait un lien avec sa visite à « Chalo » Goulart. Le nain vint se planter devant lui.

— Maintenant, dis-moi où se trouve Carlos Geranios.

— Je n’en sais rien, dit Malko. Je vous répète que je travaille pour le gouvernement américain et que mon ambassade doit déjà être en train de me rechercher…

Juan Planas secoua la tête.

— Les Américains sont mes amis… (Il écarta sa veste, découvrant un colt « Python » accroché à sa ceinture, dans un holster de cuir.) C’est eux qui m’ont donné ça. Pour que je puisse tuer beaucoup de communistes. (Il soupira.) Puisque tu ne veux pas parler, je vais demander à ton amie Tania. Le nain se pencha et prit sur la civière une énorme seringue, du modèle utilisé pour faire des piqûres aux chevaux. Malko se demanda quelle atrocité il allait encore commettre.

Menotté comme il l’était, il était totalement impuissant.

Juan Planas ramena lentement le piston en arrière, fit basculer son chapeau blanc et s’accroupit près de la civière, la seringue à la main.

— Il y a des filles qui paieraient pour qu’on leur arrange la poitrine, fit-il avec jovialité.

De la main gauche, il prit entre deux doigts l’extrémité du sein gauche en le tirant vers le haut pour tendre la peau puis, d’un geste précis, il enfonça la seringue à la base du sein, horizontalement, le long des côtes. De trois bons centimètres. Malko en eut la chair de poule et hurla :