— Salaud !
Tania ouvrit les yeux, poussa un jappement aigu. Lentement Juan Planas commença à appuyer sur le piston de la seringue, introduisant de l’air entre la cage thoracique et la chair du sein. Devant les yeux horrifiés de Malko, le sein se mit à augmenter de volume. D’abord Tania gémit, puis un hurlement strident sortit de ses lèvres, se transforma en un cri inhumain, abominable. Le corps tendu en arc de cercle, elle essayait d’échapper à la douleur atroce qui lui déchirait la poitrine. La pression de l’air décollait le derme. Le sein gauche était maintenant presque le double du droit, et la seringue était à fond. Le nain la retira d’un coup sec et contempla son œuvre d’un air satisfait.
Puis il prit le sein à pleine main et se pencha contre le visage de Tania tout en serrant les doigts.
— Tu vas le dire, maintenant, où est ce cochon !
Malko crut que les murs de la cellule allaient s’écrouler tant le hurlement de Tania fut violent. Il cria à son tour une bordée d’imprécations et d’injures. Le visage de Juan Planas était impassible. Ses doigts étaient toujours serrés autour du sein distendu. La bouche grande ouverte, les yeux révulsés, Tania râlait.
Le policier la lâcha et tourna vers Malko ses petits yeux injectés de sang.
— C’est dur, ces communistes, hein ?
Il fit le tour de la civière, tira lentement le piston de la seringue, la remplissant à nouveau d’air, s’accroupit et froidement, l’enfonça dans le sein droit. Cette fois, il appuya sur le piston beaucoup plus brutalement. La douleur dut être tellement atroce que Tania parvint à arracher une des courroies de cuir qui la maintenaient. Son bras se rabattit sur le visage de son bourreau, faisant tomber le chapeau blanc. Juan Plana tomba sur ses fesses, lâcha la seringue encore plantée dans le sein avec un juron, il se redressa aussitôt, acheva d’un violent coup de piston de vider la seringue, et l’arracha de Tania.
Il respirait lourdement. Se redressant, il posa le pied droit sur la poitrine artificiellement gonflée et appuya en tournant.
Le cri de sa victime s’étrangla, mourut en un hoquet. Elle râla, puis se détendit, évanouie. Le policier jura, se baissa, recommença à malaxer de ses doigts courts les seins monstrueusement distendus. Sans résultat. Tania était inconsciente. Les yeux dorés de Malko étaient devenus complètement verts. Il n’avait plus qu’une idée : étrangler de ses mains Juan Planas. Celui-ci se releva, furieux.
— Elle parlera une autre fois. Toi, tu vas parler.
Tania était immobile. Les seins pointant vers le plafond, bleuâtres comme une terrifiante sculpture surréaliste.
Juan Planas ramassa son chapeau blanc, le remit et s’approcha lentement de Malko. Ses petits yeux noirs avaient une intensité incroyable.
— Je suis fatigué, dit-il. Mais je crois que je vais bien m’amuser avec toi.
Il alla vers la porte, l’ouvrit et appela : sans résultat. Maugréant, il s’avança dans le couloir. Malko entendit ses pas décroître. Aussitôt, il appela à voix basse :
— Tania !
Les yeux de la Roumaine s’entrouvrirent. Elle tourna la tête vers Malko. Ses lèvres bougèrent. Il dut faire un effort pour comprendre ce qu’elle murmurait :
— Pardon…, je ne savais pas. Si vous sortez, dites-leur j’ai tenu longtemps. Julia à Viña Del Mar. Le restaurant le Perroquet…
Impossible de savoir si elle était totalement consciente ou si elle délirait :
Il y eut des pas dans le couloir. Le policier au chapeau blanc revenait avec des carabinieros. Tania referma les yeux. Indifférents, ils emportèrent la civière. Juan Planas secoua la tête.
— Le malheur avec vous, fit-il, c’est que vous n’êtes pas intelligent. (Il rit.) En ce moment, votre ami Carlos est en train de baiser avec son Isabella-Margarita… Grâce à toi. Regarde où tu es, toi. Si tu continues, tu ne baiseras plus jamais… (Il se rapprocha.) Écoute, en cinq minutes ça peut être fini. Tu nous accompagnes et toi, tu es libre.
Il ajouta sur le ton de la confidence :
Tiens, tu as du courage, j’aime ça. En plus, je te la laisse, la fille. Tu pourras en faire ce que tu voudras… Elle doit bien baiser, tu sais…
Malko prit son souffle et accomplit un geste qu’il n’avait jamais fait de sa vie. Il cracha en plein visage du policier.
À son immense surprise, celui-ci ne se rua pas sur lui. Il se contenta de tirer un mouchoir de sa poche et de s’essuyer le visage, les mâchoires crispées. Mais sa voix était glaciale lorsqu’il dit :
— Quand j’en aurai fini avec toi, je te ferai envoyer à Valdivia, au Deuxième Chasseurs, ils ont un truc très bien pour les communistes qui ne veulent pas comprendre. Il se tut un instant pour donner plus de poids à ses paroles. Des condors dans une cage. Ils t’attachent dedans et ils les laissent te bouffer. Ça prend quelques jours. Et tu sais par quoi ils commencent ? Les yeux et les couilles…
Malko avait beau se dire que tout cela était un cauchemar, il savait que c’était vrai, que dans cette quatrième dimension de l’horreur tout pouvait lui arriver. Qu’il était dans un autre monde.
De nouveau, les carabinieros revinrent. On le détacha, on l’entraîna dans le couloir. Il n’alla pas loin. Les carabinieros le poussèrent dans une pièce semblable à celle qu’il venait de quitter. À cette différence près qu’un homme était pendu par les pieds au milieu. Malko l’observa, terrifié. Une sorte de trapèze pendait du plafond. Les deux chevilles de l’homme y étaient liées, maintenant les jambes écartées. Ses mains étaient menottées derrière son dos. Il était nu, à l’exception d’une chemise sale à manches courtes dont les pans lui retombaient sur la tête. Celle-ci pendait à quelques centimètres du sol, à côté d’un seau plein d’eau sale. Mais le détail le plus affreux était le manche à balai qui émergeait d’entre les fesses bleuâtres du malheureux, enfoncé dans son anus de plusieurs centimètres ! Juan Planas s’approcha, empoigna le morceau de bois et l’agita comme on bouge un levier de vitesse. L’homme torturé poussa un gémissement rauque, se tordit et ouvrit les yeux.
Aussitôt, le policier se baissa, lui souleva la tête en le tirant par les cheveux, rapprocha le seau d’un coup de pied et laissa retomber la tête dedans. Quelques secondes plus tard le prisonnier commença à se tordre violemment, comme un poisson à l’agonie, suffoquant, sa tête cognant le seau. Planas empoigna aussitôt le morceau de bois qui dépassait de son anus et l’y enfonça en hurlant.
— Tu vas rester tranquille, cochon !
Les convulsions s’accentuèrent. Le prisonnier était en train de s’étouffer dans l’eau souillée du seau. Juan Planas le retira brusquement. L’homme gémit. Le policier se tourna vers Malko.
— Ce sont nos amis brésiliens qui nous ont appris cela, le Paô de Arara. Tu parles ou tu crèves. Tu vas prendre sa place.
Il jeta un ordre. Les carabinieros se précipitèrent, détachèrent le prisonnier, l’étendirent sur le dos. Malko baissa les yeux sur lui, éprouva un choc abominable. Il avait le visage sans expression, anéanti, hébété, les traits d’un homme dont tous les ressorts sont cassés. « Absent », hors du monde. Il fit peur à Malko qui détourna les yeux pour échapper à la fixité tragique de son regard. Cette présence créa chez lui une angoisse glaciale, sans bornes. Est-ce qu’il n’allait pas devenir comme cela, au bout de quelques heures ? Brisé et résigné ? Réduit à l’hébétude ?
— À toi ! houspilla Juan Planas.
Les deux carabinieros se précipitèrent sur Malko.
Le sang cognait dans ses tempes à le rendre fou. Il ressentit une violente douleur à la poitrine. Juan Planas s’amusait à lui arracher les poils par poignées. À côté de ce qu’il avait déjà subi et de ce qui l’attendait, cela semblait une plaisanterie ; pourtant, ses nerfs étaient tellement éprouvés qu’il hurla.