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— Attends, fit Planas. Bientôt tu vas être comme lui.

Une voix blanche, monocorde, qui ne trahissait aucun sentiment, le gémissement d’une bête mourante, sans haine et sans colère.

Juan Planas brandit devant Malko le bout de manche à balai.

— Il paraît que tous les communistes sont pédés… tu vas aimer ça.

De toutes ses forces, Malko se concentra, pensant à son château, à des détails triviaux, aux bois qu’il avait fait tailler à la française avant son départ, aux fresques de la salle à manger qui s’écaillaient…, au plafond doré de la bibliothèque qui avait besoin de quelques feuilles d’or.

Il restait encore quatorze pièces à restaurer entièrement. C’était le tonneau des Danaïdes.

La voix de Juan Planas l’arracha à son évasion.

Le policier regarda sa montre.

— Il est tard, écoute, fit-il. Je suis fatigué. Je te donne cinq minutes pour réfléchir. Si tu fais encore le con je te jure que je commence par t’enfoncer ce truc dans le cul jusqu’à ce qu’on ne le voie plus. Même si je dois taper dessus avec un marteau pour le faire entrer…

Comme Malko ne répondait pas, il s’écarta et alluma une cigarette, appuyé au mur. Le sang à la tête, Malko était au bord de la syncope. Il entendit Juan Planas maugréer :

— Si tu crois que c’est marrant de faire ce boulot pour mille lucas par mois ! Toutes les nuits debout à écouter vos mensonges… je vois plus ma femme !

Malko essayait de ne pas penser à l’étouffement nauséabond qui le guettait, à l’ignoble viol de sa chair. Il savait que, dans sa position, un œdème du poumon pouvait se déclarer à n’importe quel moment et le foudroyer. Il en arrivait à le souhaiter.

Juan Planas écrasa sa cigarette par terre.

— Bon, on y va, tu es vraiment con…

Au moment où il ramassait le manche à balai, on frappa à la porte et une voix cria quelque chose que Malko ne comprit pas. Maugréant, le policier alla ouvrir. Dans la position où il se trouvait, Malko aperçut des bottes vernies noires. Puis son regard remonta le long d’un uniforme, d’un menton, d’une moustache, d’un visage qui lui parut vaguement familier.

Le nouveau venu l’examinait avec une expression de dégoût sur son visage reposé.

— Qu’est-ce que c’est, celui-là ? demanda-t-il.

Le nain n’eut pas le temps de répondre. Malko venait de hurler :

— Lieutenant Aguirre ! Je suis l’ami d’Oliveira. Aidez-moi !

L’officier fronça les sourcils, se rapprocha, stupéfait. À l’expression de son regard, Malko vit qu’il l’avait reconnu. Il faillit pleurer de soulagement. Enfin, le monde extérieur arrivait dans cette quatrième dimension…

— Détachez-le, ordonna le lieutenant.

Juan Planas se précipita. Aidé par l’officier, on remit Malko sur ses pieds. Pris de vertige, il faillit tomber. Le Chilien l’examinait avec une curiosité pas très amicale.

— Comment êtes-vous arrivé ici ? demanda-t-il.

— Il a été arrêté chez Carlos Geranios, se hâta de dire Juan Planas. L’autre s’est échappé.

L’expression du lieutenant Aguirre devint franchement hostile.

— Que faisiez-vous là-bas ? interrogea-t-il d’une voix sèche.

Malko avait repris un peu de forces.

— Écoutez, dit-il, c’est une longue histoire. Je VOUS demande de prévenir immédiatement le colonel O’Higgins qui me connaît afin de me faire relâcher. Je suis en mission officielle dans votre pays…

Aguirre hésitait. Le fait d’avoir rencontré Malko chez Oliveira l’impressionnait. Mais il ne pouvait pas prendre la responsabilité de le relâcher. Chaque nuit, son travail consistait à faire le tour des centres d’interrogatoires de la D. I. N. A. pour trier les gens à exécuter, à envoyer à Ritoque ou à interroger de nouveau. Quelquefois même on en relâchait quelques-uns, quitte à venir les reprendre plus tard. Le cas de Malko le dépassait.

— Attendez, dit-il, je vais demander des instructions.

Nu, grelottant, épuisé, Malko s’appuya au mur. Le nain le regardait pensivement.

— Alors, je vais pouvoir aller me coucher, fit-il avec une jovialité forcée.

Malko ne répondit pas, conservant le peu de forces qui lui restaient.

Il n’arrivait pas à dissiper son angoisse. L’officier pouvait ne joindre personne, ou simplement, ne même pas essayer. C’était si facile de le faire disparaître sans laisser de traces.

Le colonel Federico O’Higgins pouvait aussi ne pas se préoccuper de son sort.

La porte se rouvrit. Deux carabinieros entrèrent, un paquet de vêtements sur les bras. Ceux de Malko !

— Rhabillez-vous. Señor, dit poliment l’un des deux.

D’un ton aussi naturel que s’il sortait d’une douche. Il passa ses vêtements le plus vite qu’il put. Juan Planas s’approcha de lui.

— Dites donc, vous pourrez dire que j’ai été correct avec vous, hein ? Moi, j’obéis aux ordres, c’est tout.

Dès qu’il fut rhabillé les deux carabinieros le firent sortir de la cellule. Malko pouvait à peine marcher. Le couloir était vide. Tout le monde avait dû aller se coucher. On le fit pénétrer dans un petit bureau. Le lieutenant Aguirre était assis derrière un bureau. Il fit signe à Malko de s’asseoir.

— Señor, annonça-t-il. J’ai pu joindre le colonel O’Higgins, qui, en raison des bonnes relations qui règnent entre nos deux pays, m’a donné l’ordre de vous faire relâcher. Cependant, il vous faudra vous présenter dès demain à l’Edificio Diego Portales afin de vous expliquer sur les circonstances qui vous ont fait arrêter.

Malko n’avait plus qu’une envie : sortir de cette maison d’horreur. Il tenait à peine debout, les élancements dans sa tête étaient insupportables.

— Je suis heureux de cette intervention, fit-il avec toute la froideur dont il était capable. Après ce que j’ai subi, c’est vraiment la moindre des choses.

Aguirre ne releva pas.

— Je vais vous faire reconduire à votre hôtel, dit-il, où autre part, si vous désirez…

— Vous savez ce qui se passe ici ? demanda Malko. Aguirre eut un sourire ironique.

— J’y passe toutes les nuits señor. À lutter contre la chienlit qui déshonore le Chili.

— C’est vous qui déshonorez l’uniforme que vous portez… répliqua Malko.

Livide, Aguirre ne répondit pas. Il avait si visiblement reçu des ordres pour respecter Malko quoiqu’il arrive. Celui-ci songea soudain à Tania.

— Je partirai d’ici seulement avec une jeune femme qui s’appelle Tania, dit-il.

Il lui fallait un prodigieux effort de volonté pour ne pas tomber au bord de la syncope. Des lueurs passaient devant ses yeux.

Aguirre blêmit.

— Je n’ai pas d’ordres à recevoir de vous, aboyât-il. Je ne suis pas autorisé à vous donner des renseignements sur qui que ce soit. Et si vous ne désirez pas sortir, je peux vous faire reconduire à une cellule… Malko se dit qu’il fallait d’abord quitter le centre de torture, être libre. Ensuite, il essayerai de sauver Tania. Titubant, il sortit du bureau, suivi du lieutenant. Ce dernier le rappela :

— Señor, je suis obligé de vous rappeler que l’adresse de cet immeuble est un secret militaire.

Malko n’eut pas la force de répondre. Il se sentait de plus en plus mal.

Lorsque la porte s’ouvrit, il respira avidement l’air frais de la nuit. Une jeep attendait, moteur en route, un carabiniero au volant. Malko voulut s’en approcher. Mais, brusquement, ses jambes ne le portèrent plus. Il dut s’appuyer au mur, regarda le ciel, eut l’impression que les étoiles s’éteignaient une à une. Il aperçut le carabiniero sauter de la jeep et courir vers lui. Mais il mit très longtemps à l’atteindre, comme dans un film au ralenti. Malko glissait vers un trou sans fond.