Выбрать главу

— Riquelme !

— N’ayez pas peur, dit Malko.

Un barbu en maillot de corps surgit d’une autre pièce serrant un kalachnikov contre sa hanche, les yeux fous.

— Ne tirez pas ! cria Malko. Je viens de la part de Tania.

Il resta strictement immobile, le pistolet dissimulé sous sa veste. Les yeux agrandis de terreur, la fille le fixait comme s’il était le diable. Le barbu au kalachnikov semblait transformé en statue de sel. Il suffisait qu’il déplace son doigt de quelques millimètres pour couper Malko en deux.

Les yeux marron un peu saillants de la fille se remplirent d’horreur.

— Tania ! Mais…

— Tais-toi ! jeta le barbu.

Son regard fixait un point au milieu de la poitrine de Malko. Là où il se préparait à tirer.

— J’ai été arrêté par la D. I. N. A., se hâta de dire Malko. Ils m’ont torturé. J’ai vu Tania calle Londres. Ils l’ont torturée devant moi.

— Vous ? Ils vous ont torturé ?

Totalement incrédule…

— Ils m’ont pris pour un des vôtres, expliqua Malko.

— Comment êtes-vous sorti ? demanda le barbu hargneusement.

Malko décida de ne pas mentir. Raconta tout : le lieutenant Aguirre. Oliveira… Lorsqu’il mentionna nom de la Chilienne, le barbu grinça des dents.

— Et vous voulez nous faire croire que vous nous voulez du bien !

— Je travaille pour la C. I. A., reconnut Malko. C’est exact. Mais je n’ai rien à voir avec la D. I. N. A. Je suis au Chili pour venir en aide à Carlos Geranios. Si vous savez où il se trouve, il faut me conduire à lui…

— Carlos vous tuera, fit la fille. Il voulait déjà vous faire abattre avant que vous ne veniez avec Tania. Dès que vous avez contacté Chalo. Depuis, quatre de nos camarades ont été tués à cause de vous. Nous n’avons échappé que par miracle.

Malko soutint son regard.

— Je ne vous avais pas dénoncé. Tania a été arrêtée. Pas à cause de moi. Elle a parlé.

— C’est pas vrai ! cria le barbu.

Le silence retomba. De plus en plus tendu.

— C’est grâce à Tania que j’ai pu vous retrouver, insista Malko.

Il raconta sa tragique confrontation avec la Roumaine. Ils l’écoutèrent avec un scepticisme à peine dissimulé.

— Qui nous dit que vous ne travaillez pas pour la D. I. N. A. ? interrogea la fille.

La tension ne baissait pas. Il sentait le barbu prêt à tirer à la moindre alerte.

— Tania pourra vous le dire, fit patiemment Malko. Elle m’a vu être torturé par un certain Juan Planas. Puisqu’elle s’est évadée.

— Évadée ?

Ils avaient eu la même exclamation. Sincèrement stupéfaits. Le barbu explosa :

— Tania ne s’est pas évadée ! Nous le saurions.

— Riquelme, dit la fille, il y a quelque chose de troublant. Julia, c’était un mot de passe à utiliser seulement en cas d’urgence. Tania était la seule à le savoir. Je la connais. Même torturée, elle ne l’aurait pas donné. S’il est là c’est qu’elle le lui a vraiment donné.

Le silence retomba. Dans la rue, deux putes s’engueulaient pour un unique client, un marin polonais qui les injuriait dans sa langue. Le barbu baissa finalement un peu son arme.

— Fais ce que tu veux, grommela-t-il.

Très délicatement, Malko posa son pistolet sur la table et s’en écarta vivement. Il s’en fallut d’une fraction de seconde pour que le barbu lâche sa rafale.

— Moi aussi, je dois être prudent, dit-il. Mais je suis votre ami.

— Comment pouvez-vous être notre ami ! reprocha le barbu. Les Américains ont tout fait pour mettre Pinochet au pouvoir, ils aident la D. I. N. A., ils lui donnent de l’argent, du matériel… Qui croyez-vous qui a payé la Mercedes 280 du colonel O’Higgins ? Soixante millions d’escudos. Il en gagne deux par mois.

— Je vais l’emmener, dit la fille. Il faut qu’on sache. Il n’y a que Carlos…

Le barbu secoua la tête.

— Es muy perigroso, Isabella-Margarita. Ils te cherchent. Cette fois, ils ne te rateront pas.

Isabella-Margarita ne répondit pas, disparut dans la pièce voisine, revint avec une veste et un sac de toile.

— Vous avez une voiture ?

— Oui, dit Malko, sur le port.

— Très bien. Sortez le premier et attendez-moi au coin du square au bout de la rue.

Malko se retrouva sur le palier nauséabond, descendit et marcha jusqu’au port. Il restait à convaincre Geranios de sa bonne foi et à organiser son évasion.

Malgré lui, il regarda autour de lui, sans rien voir de suspect. La peur des deux fugitifs était contagieuse. La voiture était brûlante sous le soleil. En le voyant, le photographe se précipita sur lui, brandissant la photo prise sur le lama.

— Señor, vous l’aviez oubliée. (À voix basse, il ajouta aussitôt :) « Es bien ? »

— Es bien, assura Malko.

Il prit la photo et remonta dans la Datsun. Lorsqu’il arriva au coin du square, Isabella-Margarita était déjà là. Assise sur un banc. Elle monta aussitôt.

— Où allons-nous ? demanda Malko.

— Prenez la route de Santiago.

Ils grimpèrent la route en lacet, bordée de bidonvilles qui firent ensuite place à une insolite forêt de sapins. Isabella-Margarita avait posé son sac de toile entre ses genoux d’où dépassait le canon d’une mitraillette Beretta. Elle fixa Malko avec gravité.

— Je ne veux pas être prise par la D. I. N. A. S’ils nous arrêtent, je tire.

Il remarqua qu’Isabella-Margarita avait de longues mains fines avec d’immenses ongles très rouges. Elle était très maquillée. La coquetterie ne perdait pas ses droits, même dans la clandestinité. À vrai dire, c’était une fille superbe. Et dangereuse. Il se souvint de sa férocité à son égard…

— Pourquoi combattez-vous ainsi ? demanda Malko.

Les grands yeux marron se voilèrent brusquement de tristesse.

— Mon frère a été tué par les carabinieros durant les combats de l’usine Sumar. Ils lui ont brisé les reins à coups de crosse. Avant de lui tirer une balle dans la tête.

Ses épaules s’étaient tassées, ses doigts étaient noués autour du canon de la mitraillette. Malko demanda doucement :

— Pourquoi avez-vous accepté de m’emmener ? La dernière fois, vous ne m’aimiez pas beaucoup.

Elle se troubla légèrement.

— J’ai envie de voir Carlos. Et puis si Tania vous a donné le mot de passe, c’est qu’elle avait une raison. Et nous saurons ce qui s’est passé à la calle Londres.

Le silence retomba. La route défilait entre les collines pelées. Malko pensa que, de nouveau, il allait se trouver face à face avec Carlos Geranios. Isabella Margarita se retournait souvent avec nervosité. Elle dit soudain à Malko :

— Tournez là à droite, dans le petit chemin.

Une piste quittait la grande route pour s’enfoncer entre les collines désertes. La Datsun cahotait dans les ornières caillouteuses. Malko dut se contenter de rouler à vingt à l’heure.

Malgré lui, il éprouva le désagréable picotement de la peur sur le dessus des mains.

— Où allons-nous ? demanda-t-il.

— Vous avez peur ?

Il y avait un rien d’ironie dans la voix d’Isabella Margarita.

— Non, dit Malko, je n’aime pas que l’on n’aie pas confiance en moi.

— La confiance est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.

C’était tombé comme un couperet.