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Ils roulèrent pendant vingt minutes sur une piste de plus en plus mauvaise, traversant un bois, passant au pied d’une montagne escarpée pour arriver à une plate-forme taillée dans le flanc d’une colline desséchée. En approchant, Malko aperçut une ouverture de la taille d’un tunnel de chemin de fer qui s’ouvrait sur la plate-forme.

— Allumez vos phares et entrez, ordonna Isabella Margarita.

Malko obéit. C’était sûrement une ancienne galerie de mine.

Il avança en cahotant sur de vieux rails. Les phares éclairaient des parois humides, noirâtres, avec des étais pourris.

— Stop. Attendez-moi là. Éteignez vos phares.

Isabella-Margarita descendit et s’éloigna dans l’obscurité. Quelques minutes plus tard le faisceau d’une puissante torche électrique éclaira la voiture. Puis une autre par-derrière. Carlos Geranios, les traits tirés, la bouche mauvaise, pas rasé, s’avança et ouvrit la portière.

— Descendez.

Aussitôt, deux hommes fouillèrent Malko, lui retirant son pistolet extra-plat.

Puis on le poussa en avant. La colonne comportait une demi-douzaine d’hommes. Chacun avec une torche. Ils marchèrent un quart d’heure, dans des galeries étroites et humides, à demi éboulées, pour arriver enfin dans un espace plus grand, éclairé par des torchés fixées dans la paroi, on avait installé un campement provisoire avec des couvertures, des caisses et deux jeeps. Carlos Geranios braqua sa lampe sur Malko.

— Voilà où ils nous forcent à aller. Nous vivons comme des rats ! Dans un trou.

Le cercle silencieux entourait Malko. Plein d’hostilité. Celui-ci ébloui par la lampe du miriste dit simplement :

— C’est pour vous sortir d’ici que j’ai tenu à vous rencontrer.

Carlos Geranios ricana :

— Je préfère encore ça aux prisons de la D. I. N. A… Mais tu ne referas pas le coup de l’autre jour. Il y a deux hommes avec des mitrailleuses à l’entrée de la galerie. Ils peuvent retenir un régiment pendant une journée. Nous avons trois autres sorties.

— Je ne vous ai pas dénoncé.

— Je crois bien que si, dit Carlos Geranios d’un ton sinistre. On doit te payer très bien pour que tu acceptes de courir de tels risques. Mais les Américains sont riches… Seulement, cette fois, tu as voulu être trop malin.

Il y eut un murmure approbateur dans la pénombre.

Carlos entoura de son bras les épaules d’Isabella-Margarita.

— Tu as bien fait de l’amener.

Il se tourna vers Malko.

— Qui t’a donné le mot de passe, Julia ?

— Tania.

Carlos Geranios le gifla à toute volée.

— Salaud ! Tu l’as torturée.

Malko lutta pour ne pas lui sauter à la gorge et se faire massacrer. Le plus calmement possible, il recommença son récit.

Il termina en mentionnant l’évasion de Tania. Précisant de quelle façon il l’avait apprise. Carlos Geranios laissa tomber d’une voix glaciale :

— Tu as fini de nous raconter des mensonges ! Tania est morte ou encore à la D. I. N. A. Personne ne l’a fait évader. C’est toi qui l’a tuée !

Une voix l’interrompit, dans l’ombre. Calme et définitive.

— Mata bé !

Carlos Geranios hocha la tête.

— Tu as raison, Pablo, vas-y.

Malko vit surgir de l’ombre un jeune homme à la tignasse noire ébouriffée qui le repoussa vers une galerie qui s’enfonçait au cœur de la montagne.

— Vamos, gringo !

Il n’y avait même pas de haine dans sa voix. Simplement une détermination impersonnelle. Malko se mit en route en titubant, furieux contre lui-même d’avoir mal évalué la haine et la méfiance de Carlos Geranios. Ironie du sort il allait mourir de la main de l’homme qu’il était venu sauver.

De nouveau, il pensa à Alexandra, à son château, au parc tout neuf, à la pièce d’eau et aux lambris dorés du grand salon. Tout cela continuerait sans lui. Il avait toujours su qu’un jour sa chance basculerait. Que ses pierres auraient sa peau. Liezen serait encore là dans quelques siècles pour défier le temps si un autre fou sacrifiait sa vie pour le maintenir debout. Son fatalisme slave le reprenait. Et son orgueil aussi. On pouvait rater beaucoup de choses mais pas sa mort. Oubliant l’homme qui marchait derrière lui, il pensa de toutes ses forces à un certain jour où il avait fait l’amour à Alexandra sur le grand canapé de la bibliothèque. Il avait au creux des paumes le contour tiède et plein de défi de ses reins.

— Aqui, gringo.

Malko s’arrêta, se retourna. Dégrisé. Pablo posa la torche électrique en équilibre, de façon à ce qu’elle éclaire Malko.

Il serra le kalachnikov contre sa hanche, le menton rentré, soudain concentré, le canon braqué sur le ventre de Malko, les jambes bien écartées.

— N’aie pas peur, gringo, dit-il d’une voix sans méchanceté, cela ne fait pas vraiment mal.

Son pouce poussa le bouton « rafale ».

Malko n’eut pas le temps de penser. Malgré lui, il ferma les yeux au moment où la culasse partait en avant. Mais au lieu du bruit assourdissant des détonations, il n’y eut que le claquement sec et sonore de la culasse heurtant la chambre. L’amorce n’avait pas percuté. Automatiquement, Pablo ramena le levier d’armement en arrière, éjectant la cartouche défectueuse. Jurant pour lui. Malko réagit automatiquement. Plongeant dans les jambes du Chilien.

Les deux hommes tombèrent ensemble, au moment où la rafale partait, le doigt de Pablo restant crispé sur la détente. Dans cet espace étroit, les détonations résonnèrent effroyablement. Malko frappa de toutes ses forces la gorge de Pablo du tranchant de la main. Le Chilien émit un gargouillis et resta étendu sur le dos. Malko se releva, ramassa le kalachnikov, arracha de la ceinture du guérillero un chargeur plein qu’il introduisit à la place de l’autre. Pablo essayait de se relever. D’un coup de crosse dans la tempe, Malko l’assomma net.

Se dégoûtant un peu. Lui qui abhorrait la violence… Il ramassa la torche électrique et reprit le chemin qu’il avait suivi. Tendant l’oreille et l’arme prête. Il en avait assez des émotions. Encore quelques incidents semblables et on parlerait de lui au passé.

Au moment où il débouchait dans l’espace découvert, la voix de Carlos Geranios appela :

— Pablo ? Todo es bien ?

Le groupe était rassemblé auprès d’une des torches. Ils avaient tous posé leurs armes. Malko s’avança, braqua la torche.

— Todo es bien, répéta-t-il.

Un silence impressionnant se fit aussitôt. Malko avança encore, de façon à ce que tous puissent voir le kalachnikov. Carlos Geranios dit d’une voix altérée :

— Salaud de fasciste, tu as tué Pablo. Assassin.

C’était un comble. Malko résista à l’envie de vider le chargeur du fusil d’assaut sur le groupe. Les mains croisées sur la poitrine, Isabella-Margarita l’observait de nouveau avec horreur.

— Je n’ai pas tué Pablo, dit Malko.

Il s’avança encore. Puis, tranquillement, il appuya sur un bouton et le chargeur du kalachnikov tomba à terre. Il manœuvra le levier d’armement pour éjecter la cartouche qui se trouvait dans la chambre, posa la crosse de l’arme par terre et dit :

— Maintenant, Geranios, est-ce que vous allez me croire ?

Le silence se prolongea pendant plus d’une minute. Une veine battait dans la tempe gauche de Malko. Il jouait sa vie à quitte ou double. Par exaspération. Puis Geranios s’avança vers lui, le scruta encore un long moment et laissa tomber :

— Qui es-tu vraiment ?

L’atmosphère se détendit un peu.

— Je vous l’ai dit, fit Malko avec agacement. Un agent de la Central Intelligence Agency envoyé au Chili pour vous aider à en sortir. En raison des services que vous avez rendus à la « company ». Je n’ai pas dénoncé Tania. Vous encore moins. Je ne travaille pas avec la D. I. N. A. et, si j’ai été relâché, c’est parce que même la D. I. N. A. ne peut pas se mettre mal avec la C. l. A. J’ai malgré tout passé quatre jours à l’hôpital Del Salvador. Vous pouvez vérifier.