— Tiens, dit Malko, ton lieutenant ne t’a pas encore appelée.
— Il ne va pas tarder, assura-t-elle, avec un sourire ambigu.
Malko fut pris d’une brusque inspiration.
— Tu sais que Tania s’est évadée de la D. I. N. A… Oliveira fronça les sourcils. Elle fit tourner le guesquel entre ses doigts.
— Évadée ! On ne s’évade pas de la D. I. N. A.
— Demande à ton lieutenant ! dit-il, mi-sérieux, mi-plaisantant.
Au même moment, le téléphone se mit à sonner.
Oliveira mit un doigt sur ses lèvres.
— Chut ! C’est sûrement lui.
Elle décrocha et dit d’une voix faussement endormie :
— Allô ?
Elle fit un clin d’œil à Malko, s’installa, le dos au lit, les genoux repliés. Il imagina le lieutenant Aguirre, s’il la voyait ainsi. Malko n’entendit évidemment qu’une moitié de la conversation. Assez pour comprendre. Il ne fut pas surpris lorsqu’elle annonça, après avoir raccroché :
— Tu avais raison. Il m’a dit que c’était dans les journaux. Mais je ne les lis pas.
Elle l’embrassa. Sa bouche sentait le tabac, l’alcool et le sperme. Puis elle alla mettre un disque de flûte indienne et ils restèrent longtemps étendus à même le sol. Malko était si fatigué qu’il s’assoupit. Il se réveilla en sursaut, rêvant qu’un condor broutait ses parties nobles.
Ce n’étaient que les dents aigües d’Oliveira. Il baissa les yeux et s’aperçut qu’elle lui avait remis le guesquel.
Insatiable.
Oliveira abandonna son activité et vint enfourcher Malko, une lueur amusée dans les yeux.
— Je ne l’ai jamais fait comme ça, dit-elle. Tu feras attention.
Elle s’empala doucement sur lui, se mordant les lèvres pour ne pas crier, resta quelques secondes immobile, reprenant son souffle. Puis elle commença son va-et-vient. Les yeux fermés, les doigts crispés sur le ventre de Malko, comme pour le repousser. L’infernal instrument râpait sa chair intime comme une petite bête hostile et complice à la fois. En dépit de la douleur, elle accéléra le rythme, commença à feuler. Très vite, elle eut un orgasme, puis un second, puis continua sans s’arrêter, dodelinant de la tête, les ongles crispés sur Malko.
Un son inattendu domina soudain les hurlements d’Oliveira. Le téléphone. Malko dut la secouer pour qu’elle s’interrompe. Elle posa sur lui un regard de noyée.
— Je m’en fous…
— Si c’est ton lieutenant et que tu ne répondes pas, il risque de venir…
Cela la décida. Sans s’arracher de Malko, elle étendit la main et décrocha. La conversation ne dura pas longtemps. Oliveira raccrocha avec une exclamation énervée, en disant :
— Laisse-moi ! Je dors.
— C’était Pedro, dit-elle. Il voulait savoir pourquoi je m’intéresse à Tania. Ça le tracasse.
Elle recommença à bouger doucement. Malko n’arrivait plus à se concentrer sur son plaisir. Le lieutenant de la D. I. N. A. était alerté, maintenant.
— Je ne te plais plus, demanda Oliveira, indignée.
Malko la saisit par les hanches.
— Si.
De toutes ses forces, il essaya de se concentrer, de se persuader que la situation était claire. Le lieutenant Aguirre avait confirmé l’évasion de Tania.
Oliveira prit son plaisir avec un hurlement sauvage et retomba contre lui, son visage inondé de sueur collé à la poitrine de Malko.
Celui-ci resta les yeux ouverts, guettant le silence de la nuit. Où était Tania Popescu ?
Chapitre XII
Oliveira dormait sur le ventre, sa croupe cambrée soulevant le drap en un défi silencieux. Malko se leva tout doucement. Il avait très mal dormi, tournant et retournant sans cesse les données de son problème. Où se cachait Tania ? Il avait échafaudé une hypothèse. Tania, agent du K. G. B. pouvait très bien avoir manipulé Carlos Geranios, afin de le séparer des Américains. En lui faisant croire que la C. I. A. voulait le tuer, elle l’aidait à regagner le bercail de la gauche.
Et c’était invérifiable, puisqu’il fuyait les contacts avec ses ex-employeurs.
Cela collait parfaitement avec tout ce qu’il savait. Également avec le fait que Tania préférait ne pas être confrontée avec Carlos.
Le vin chilien lui avait laissé la bouche comme du carton. Il but la moitié d’une bouteille de Contrex, posée par terre, près du lit et se sentit mieux.
Oliveira grogna et il se hâta de sortir de la chambre. Une brume matinale flottait encore sur Santiago. Malko monta dans sa Datsun et prit la direction du centre. Il avait hâte de parler à John Villavera. De lui faire part de ses idées. Et de lui apprendre ce qu’il lui avait caché.
Il dut patienter derrière des autobus nauséabonds en descendant Providencia. Malgré lui, il regardait son rétroviseur chaque fois qu’il entendait une moto. La mystérieuse tueuse qui l’avait suivi à plusieurs reprises travaillait probablement pour Tania. Ce qui achevait de boucler la boucle. Malko, cherchant à découvrir la vérité sur leurs rapports, était l’empêcheur de tourner en rond.
Il y avait encore de la place sur le grand parking devant la Moneda et il traversa à pied jusqu’à la calle Augustinas. John Villavera était matinal. Chef de station de la C. I. A., il devait souvent envoyer des télex très tôt. Malko passa le barrage des secrétaires, frappa et entra dans le bureau de l’Américain. Celui-ci était en train de boire une tasse de café. Il sourit à Malko.
— Je vous ai appelé à l’hôtel, dit-il. Vous étiez déjà parti…
Malko ne s’étendit pas. Sa vie privée ne regardait que lui.
— Je faisais mon footing, expliqua-t-il. Sans s’attendre à ce que l’Américain le croit.
— J’ai quelque chose pour vous, dit John Villavera avec un sourire mystérieux.
Il tendit à Malko une coupure du Mercurio. On y relatait l’évasion spectaculaire d’une dangereuse terroriste, Tania Popescu, grâce à l’attaque d’un commando miriste qui avait abattu sauvagement les deux gardes l’escortant. La fin de l’article stigmatisait la sauvagerie des ennemis marxistes… Malko reposa la coupure de presse.
— J’ai également une surprise pour vous, dit-il.
Il raconta à l’Américain sa visite à Carlos Geranios dans la mine abandonnée. John Villavera sourit devant la gêne de Malko lorsqu’il mentionna les accusations de Carlos concernant la C. I. A…
— Je comprends ce malheureux garçon, dit-il. La D. I. N. A. s’est conduit d’une manière horrible avec lui. L’histoire de l’ambassade est vraie. Mais ce n’est pas moi qui ai dénoncé cette Magali, ajouta-t-il avec un sourire un peu contraint. C’est Tania.
— Tania ?
John Villavera montra un épais dossier à Malko.
— Voici ce que mon prédécesseur m’a laissé sur Tania Popescu. C’est un agent de Castro et du K. G. B. Envoyée ici pour surveiller le régime. Elle était au courant, par Chalo Goulart, de l’aide que Carlos Geranios avait apportée à la « company ». Mais elle ne pouvait rien faire, car, maintenant, tous les mouvements de gauche sont solidaires. Elle a préféré faire faire le travail par la D. I. N. A. C’est elle qui a dénoncé Magali. Je l’ai su par des informations absolument sûres. Elle a récidivé lorsqu’elle a été arrêtée. Sans elle, la D. I. N. A. n’aurait jamais trouvé la cachette de Geranios.
Cela se tenait. Malko éprouvait un immense soulagement. Tania ne l’intéressait pas. Mais il fallait faire filer Carlos Geranios avant qu’il n’ait la mauvaise idée de la rencontrer.
— Pouvez-vous organiser rapidement la fuite de Carlos Geranios ? demanda-t-il.
John Villavera hocha la tête affirmativement.
— Sûrement. Contactez-le, de façon à être certain qu’il est prêt à partir. Faites attention. Pour Tania, vous êtes l’homme à abattre…