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— J’espère que notre ami O’Higgins part aussi en week-end, dit Malko.

Ils se quittèrent sur le trottoir et Malko traversa Providencia pour aller retrouver Oliveira. Il se sentait étrangement calme. Maintenant, tout était en route. Il était impensable que la D. I. N. A. ait abandonné tout espoir de remonter à Geranios, à travers lui. Donc, il devait redoubler de prudence.

Oliveira attendait devant Palta. Son visage avait dégonflé, des lunettes noires cachaient son œil au beurre noir qu’elle compensait par un jean super-serré qui semblait cousu sur ses fesses insolemment provocantes. Elle prit le bras de Malko, l’entraînant vers la Datsun. Ils avaient convenu d’aller prendre le café au « Los Léones ».

— Demain, nous allons à Viña ! Annonça-t-elle.

— Bonne idée, approuva Malko.

Ils remontèrent jusqu’au Leones. Malko avait rendez-vous avec Jorge Cortez. Celui-ci l’attendait seul à une table. Tandis qu’Oliveira allait retaper son œil au beurre noir, le Dominicain se pencha vers Malko.

— Maintenant, ils me suivent sans arrêt…

Il désigna du regard deux hommes assis à une table, un peu plus loin. Complets clairs, cheveux gras, visages olivâtres. Des policiers. Sans se cacher, ils observaient la table. Malko détourna son regard.

— Vous avez eu des ennuis ?

— Pas vraiment, fit le Dominicain. J’ai été convoqué à la D. I. N. A. où un major m’a rappelé les excellentes relations qui régnaient entre nos deux pays et l’obligation que j’avais de ne pas me mêler des affaires intérieures du Chili… J’ai protesté qu’il s’agissait d’une intervention privée et cela s’est arrêté là. Mais, depuis, je sais que mon téléphone est sur table d’écoute et ils me surveillent jour et nuit. Ma bonne m’a dit que des policiers l’avaient interrogée au marché.

— Je suis désolé, dit Malko. Mais je vous assure que votre intervention a été indispensable…

— Ne vous excusez pas, protesta le diplomate, mais faites attention. Je sais de source sûre que O’Higgins a juré que vous ne quitteriez pas le Chili vivant. Un accident est vite arrivé. Oh, ils ne vous abattront pas, cela ferait trop de vagues. Mais une voiture peut vous écraser…

Il se tut : Oliveira revenait à la table. La conversation vira sur le sujet du jour. La dix-septième dévaluation de l’escudo depuis le début de l’année. Ce qui ravissait la jeune femme.

— Les affaires n’ont jamais été aussi bonnes, dit-elle. Les « lolas » achètent comme des folles…

Pendant ce temps, à 30°, des enfants souffraient de malnutrition. Et le salaire minimum était de 80 000 escudos, soit pas tout à fait vingt dollars U. S…

Malko regardait les deux barbouzes. L’avertissement de Jorge Cortez trottait dans sa tête. La D. I. N. A. disposait de moyens puissants et un accident se truquait si facilement !

Oliveira se pencha à son oreille, l’effleura de sa langue.

— Tu viens ce soir ?

— Non. Je prends des forces pour demain.

Elle murmura amoureusement :

— Nous allons faire l’amour comme des fous, j’ai une surprise pour toi. Tu verras.

Peut-être un second guesquel ?

Jorge Cortez les observait en souriant.

* * *

— Voilà votre ticket, dit la jeune employée de la Lan-Chue. L’appareil décolle à quatorze heures, soyez à l’aéroport deux heures avant. Les formalités sont toujours longues… Bon voyage.

Malko remercia et sortit de l’agence pour se mêler à la foule de la calle Augustinas. Juste en face il y avait un faux Gucci. Des objets d’une laideur affligeante portant le nom célèbre. Une plaisanterie d’Allende, perpétuée par le nouveau régime. Malko pensa avec une pointe de nostalgie au week-end avec Oliveira. C’était un risque qu’il ne pourrait prendre. Pas après l’avertissement de Jorge. En ne prévenant pas Oliveira, en lui téléphonant pour parler de ce week-end, il rassurait la D. I. N. A. Ainsi, ils penseraient avoir encore un peu de temps pour se débarrasser de lui. Il enverrait un mot à la jeune femme. De New York ou de Rio. L’univers parallèle où il vivait partiellement ne permettait pas de sentimentalité. Il avait hâte de se retrouver dans son château de Liezen, de sentir l’odeur de bois de la bibliothèque, de voir les buis taillés, d’être servi par Krisantem et surtout de retrouver la volcanique, pulpeuse, fantastique et unique Alexandra.

Qui devait trépigner en le soupçonnant des pires turpitudes. Pourvu qu’elle n’apprenne jamais l’existence des guesquels ! La santé de Malko n’y résisterait pas… Il avait hâte de voir les nouvelles tuiles qu’il avait commandées en Bohème pour refaire sa toiture. Elles valaient pratiquement leur poids d’or.

Ou de sang.

Il regrettait de ne pas avoir trouvé de place sur les Scandinavian Airlines, mais leur vol pour Rio était bourré, même en première. La Lan-Chue ne lui inspirait que médiocrement confiance. Il marcha jusqu’à l’ambassade U. S. pour revoir John Villavera.

* * *

— Le Piper sera là à sept heures, annonça l’Américain. Le pilote compte se poser à Mendoza, de l’autre côté des Andes. Quelqu’un de chez nous sera là pour accueillir Geranios, avec de l’argent et un passeport.

John Villavera jubilait. Sa lourde mâchoire semblait avoir encore augmenté de volume. Il amena Malko devant une carte murale, lui montra la route d’Ibacache. Deux lignes rouges la barraient.

— L’appareil se posera à cet endroit, précisa-t-il. Entre les bornes 7 et 8. Il doit d’abord faire un passage pour s’assurer que vous êtes là. Je lui ai signalé le type et la couleur de votre voiture. Pour éviter une erreur improbable, vous allez peindre un cercle noir sur le toit au dernier moment…

— Et la D. I. N. A. ? demanda Malko.

— C’est le week-end, expliqua Villavera. La plupart des services sont en sommeil. O’Higgins s’en va dans le Sud. Mais faites quand même attention qu’on ne vous suive pas…

Villavera fit le tour du bureau et lui serra la main longuement, les yeux brillants derrière ses grosses lunettes.

— J’enverrai un rapport extrêmement favorable à Washington, dit-il.

Accoudé à la fenêtre, Malko regardait la place de la Moneda désertée. Il ne restait plus que quelques voitures dans le parking, dont la sienne. Il était une heure moins dix. Dans dix minutes, le couvre-feu allait s’abattre sur Santiago. De très rares passants se hâtaient. Tout était fermé depuis longtemps. Ses bagages étaient prêts. Officiellement, il partait pour Viña Del Mar très tôt.

En week-end.

Il se coucha, essaya de dormir, compta les heures, les demies qui sonnaient à l’église voisine.

Il se réveilla en sursaut, sauta sur sa montre : quatre heures et demie. Il avait quand même dormi. En dix minutes il fut prêt, emportant seulement une housse à vêtements. Le hall était désert, avec un employé en train de balayer et un autre endormi à la réception. Malko sortit sur la Moneda. Il ne faisait pas encore jour. Il monta dans sa voiture, seule dans le parking, et fila, empruntant Alameda.

Sans voir âme qui vive.

Le couvre-feu était à peine levé. Il aperçut une voiture de police qui ne s’intéressa pas à lui ; dix minutes plus tard, il filait sur la route de Valparaiso. Soudain, un carabiniero surgit d’un abri à la sortie de la ville, lui fit signe de stopper.

Il freina, brusquement angoissé. Tout risquait de s’arrêter là. Le carabiniero s’avança le visage fermé et dit sévèrement :