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— Il faut partir d’ici, dit-il d’une voix blanche. Le plus vite possible. Retournons dans votre mine abandonnée. Cela nous laissera le temps de réfléchir.

Carlos Geranios le regarda, avec étonnement.

— Mais pourquoi ? Vous m’avez dit que…

— Je ne savais pas que vous déteniez ces documents concernant la C. I. A. Cela change tout. Fichons le camp d’ici.

Carlos Geranios ne l’écoutait plus. Il regardait le ciel vers l’est. Il tendit le bras, le visage illuminé de joie.

— Regardez !

Malko suivit la direction de son index. Un avion s’approchait de la route ; volant assez bas. Un petit appareil monomoteur. Le poids qui écrasait l’estomac de Malko se volatilisa en une fraction de seconde. John Villavera ne lui avait pas menti ! Ce qu’il venait d’imaginer n’était qu’un horrible cauchemar.

Le petit monomoteur approchait, volant à quelques centaines de mètres, parallèlement à la route. Malko se dit que le cercle noir sur le toit de la voiture était inutile. Il n’y avait pas âme qui vive à un mille à la ronde… Avec un vrombissement joyeux, le « Piper » peint en jaune passa au-dessus de leur tête. Ils lui firent signe sans arriver à voir le pilote.

— Il va revenir, s’écria Geranios. Dans cinq minutes nous serons partis.

Malko pensa à l’état terrifiant de la route et se demanda comment ils pourraient prévenir le pilote du danger. Il suivit des yeux l’avion. Celui-ci continuait à voler tout droit, sans faire mine de revenir vers eux. Malko se dit d’abord qu’il était le jouet d’une illusion d’optique. Qu’il avait déjà viré, qu’il revenait. Mais le petit point diminuait, diminuait. Le bruit du moteur aussi… Il chercha le regard de Carlos Geranios. Le Chilien était transformé en statue.

L’avion disparut dans la brume qui nappait encore les contreforts des collines. Le silence retomba dans le désert. Quelques vautours ou des condors tournaient très haut dans le ciel. Malko se rua dans la Datsun.

— Vite !

Le Chilien regardait encore l’endroit où l’avion avait disparu. Avec des larmes dans les yeux. Le rugissement du moteur le fit sursauter.

— Qu’est-ce que vous faites ? cria-t-il. Il va revenir.

— Non, cria Malko, venez !

À regret, Carlos Geranios vint s’asseoir à côté de lui. Malko démarra. Aussitôt, il tenta un demi-tour, si brutalement qu’il cala. Pendant le court instant où le moteur resta silencieux, avant qu’il ne tourne le démarreur de nouveau, son oreille perçut un bruit qui lui glaça les veines. Abandonnant le volant, il se rua hors de la voiture.

— Attention, Carlos !

Carlos Geranios ne comprenait plus. Serrant contre lui sa sacoche en cuir, il ressortit de la voiture. Malko tendait le bras vers l’horizon au nord-est. Son œil exercé distinguait un point qui se rapprochait dans le ciel à toute vitesse, volant très bas. Dont le grondement l’avait alarmé lorsqu’il avait calé… Un Jet de combat.

Malko regarda autour de lui. Les fossés bordant la route étaient peu profonds, le désert plat comme la main… Soudain, il aperçut à une centaine de mètres une grande faille d’origine volcanique, ce que les Chiliens appellent des « quebradas ». Il se mit à courir, entraînant Carlos Geranios. Ils plongèrent en même temps dans la rocaille au milieu des cactus, alors que le hurlement du Jet devenait assourdissant.

Une série d’explosions sèches, suivies d’une explosion plus forte. Le grondement du Jet s’éloignait. Malko se hissa au bord de la quebrada et regarda à l’extérieur. Ce qui restait de la Datsun brûlait sur la route, les portières projetées à plusieurs mètres. Le Jet n’était plus qu’un petit point contre la montagne.

— S’il a vu que nous n’étions pas dans la voiture, dit Malko, il va revenir nous achever jusqu’à ce qu’il ne reste rien de nous…

Serrant sa serviette de cuir contre lui, Geranios fixait le ciel. Avec une lenteur exaspérante, le Jet, un mirage chilien grimpa dans le ciel, accomplissant une gracieuse arabesque, brillant dans le soleil levant. Puis, avec grâce, il glissa sur l’aile, revenant vers eux. Avec la colonne de fumée noire montant dans le désert, il aurait fallu que le pilote soit aveugle pour rater sa cible. Malko pensa avec une rage insoutenable au cercle de peinture noire conseillé par John Villavera… Ce qui s’appelait donner des verges pour se faire battre.

Ils replongèrent dans la faille, sans souci des cactus qui les écorchaient. Le hurlement du réacteur se rapprochait. Ils cessèrent de respirer, tous leurs muscles contractés… De nouveau, le staccato des canons à tir rapide déchira leurs oreilles, suivi des explosions des projectiles. Mais aucun ne les approcha. Ils se redressèrent. Le « mirage » montait tout droit dans le ciel. Le pilote avait seulement tiré une rafale de sécurité dans le magma qui brûlait sur la route. Malko et Geranios restèrent rigoureusement immobiles tandis qu’il tournait en rond, probablement pour s’assurer que plus rien ne vivait dans la voiture incendiée. Le cœur de Malko battait la chamade.

Après quelques minutes qui durèrent des heures, le « mirage » piqua vers le nord-est, d’où il était venu. Aussitôt, ils jaillirent de la quebrada, arrachèrent les piquants de cactus incrustés dans leur peau et leurs vêtements, blêmes. Les mains de Carlos tremblaient. Malko était déchiré entre une rage aveugle et une terreur rétrospective.

— Ils vont venir chercher nos cadavres, dit-il.

Chapitre XVI

La gorge sèche, les poumons en feu, les jambes lourdes, les pieds en plomb, Malko courait vers l’ouest, les yeux fixés sur la ligne des collines qui semblaient s’éloigner à mesure qu’ils tentaient de s’en rapprocher. À ses côtés, Carlos Geranios courait aussi, la bouche ouverte pour aspirer le plus d’air possible, traînant la lourde sacoche de cuir. Loin derrière eux, ce qui restait de la Datsun achevait de se consumer. Le « mirage » avait disparu comme s’il n’avait jamais existé. Ils s’éloignaient de la route Santiago-Valparaiso, parce que ce serait par là que la D. I. N. A. viendrait ramasser leurs cadavres. Du moins, ils l’espéraient… Malko avait l’impression que ses poumons allaient éclater. Même cachés dans Ibacache, les tueurs de la D. I. N. A. les débusqueraient. Il n’avait qu’une idée. Mettre la main sur John Villavera. Mais l’Américain se trouvait à Santiago. Dans un autre monde… Épuisé, Malko s’arrêta de courir. Carlos Geranios le tira par le poignet.

— Vite, compañero, vite, s’ils viennent maintenant, ils nous tuent.

S’il y avait des témoins, ce serait moins facile.

— Allez-y Carlos, dit Malko. Je ne peux plus.

Il avait même envie de jeter son pistolet extra-plat tant le poids lui en semblait insupportable. Geranios secoua la tête.

— Vamos ! vamos !

Soudain une incroyable pétarade leur fit tourner la tête. Une voiture se rapprochait, vestige d’un autre âge une Fort T, vieille de cinquante ans, avançant à trente à l’heure au milieu de la route. Elle donna un faible coup de klaxon et, voyant que les deux hommes restaient au milieu de la route, s’arrêta dans un crissement plaintif de frein. Il n’y avait qu’un vieux paysan à l’intérieur qui leur adressa un grand sourire et une longue phrase, dans un langage incompréhensible pour Malko. Du patois chilien.

Carlos et lui engagèrent la conversation. Puis le Chilien traduisit pour Malko.

— Il a vu les débris de la voiture, il croit que nous avons eu un accident. Je lui ai demandé de nous conduire à Santiago. Il allait à Ibacache. Il vient de Los Rotos.

Les négociations durèrent quelques minutes, considérablement aidées par une liasse d’escudos. Enfin, les deux hommes montèrent dans la Ford. Carlos à côté du chauffeur. Ils faillirent ne pas redémarrer… Vingt minutes plus tard, ils traversaient Ibacache et filaient vers Santiago.