Malko avait raccroché. La D. I. N. A. et John Villavera avaient vite réagi. On avait décidé de l’assassiner avant mardi. Ce qui signifiait que Washington n’était probablement pas au courant. Ce ne serait pas la première fois qu’un C. O. S. ferait du zèle.
Il restait l’ambassadeur des U. S. A. Lui, n’était pas acheté par la D. I. N. A. Et le State Department n’était sûrement pas prêt à couvrir un meurtre de la C. I. A. Malko n’avait plus que la ressource de se réfugier chez lui. Il reprit son téléphone.
Vingt minutes plus tard, après dix coups de fil, il savait que l’ambassadeur était parti pour le weekend pêcher le requin.
— Donnez-moi un numéro à Washington, demanda alors Malko à la standardiste de l’hôtel. Est-ce qu’il y a de l’attente ?
— Vous l’avez tout de suite…
Il donna la ligne directe de David Wise… Où qu’il soit, le chef de la Division des Plans pouvait être atteint, jour et nuit. À la première sonnerie, Malko se rua sur le récepteur.
— Señor, le numéro ne répond pas, annonça la standardiste.
C’était hautement improbable. Malko eut soudain une inspiration.
— Appelez ce numéro-là, demanda-t-il.
La fille nota le second numéro à Washington. Il attendit. Elle rappela, toujours aussi désolée. Celui-là non plus ne répondait pas. Malko remercia et raccrocha. Sans illusion.
Le second numéro était celui de la Maison-Blanche.
Le piège se refermait. Pas d’avion, pas de communication. Il fallait que Malko reste au Chili. Et surtout, ne puisse pas dire ce qui arrivait. Il restait une solution Carlos Geranios. Malko sourit amèrement de ce retournement de situation. L’homme qu’il était venu sauver risquait de lui venir en aide…
Des coups violents furent soudain frappés à sa porte. Il bondit sur son pistolet, écouta. Les coups s’arrêtèrent et on se mit à sonner. Il regarda la fenêtre. Impossible de s’évader par là. Treize étages. Il se rapprocha, restant collé le long du mur, se souvenant de l’irruption de la D. I. N. A. chez Geranios.
Qui est-ce ?
— Ouvre vite !
Oliveira jaillit dans la pièce, essoufflée, ses yeux bleu cobalt brillaient d’un éclat inaccoutumé. Son éternelle besace accrochée à l’épaule.
— J’ai essayé de te téléphoner cent fois, dit-elle, c’était tout le temps occupé…
— Mais je devais venir te chercher vers midi seulement…
La jeune Chilienne lui fit face. Une lueur terrorisée dans les yeux.
— Tout à l’heure, Pedro m’a téléphoné. Il m’a demandé si tu étais là. Je lui ai dit que non. Il m’a dit de ne pas chercher à te voir, que cela pourrait être très dangereux pour moi… J’ai peur.
Malko sentit son angoisse s’accroître. La situation évoluait. Même l’hôtel devenait dangereux.
— Pedro a raison, dit-il. Retourne chez toi, ou va en week-end. En restant avec moi, tu cours un gros risque.
Un cercle blanc était apparu autour de la bouche d’Oliveira.
— Pourquoi ? demanda-t-elle.
— C’est une longue histoire, dit Malko. La D. I. N. A. a décidé de me liquider. Je ne peux pas quitter Santiago. Il faut que je me cache jusqu’à lundi quand l’ambassadeur américain reviendra de week-end.
Je vais demander à mon père…
— Ton père ne fera rien.
— Je veux rester avec toi. Ils n’oseront rien me faire…
Ce n’est pas sûr, dit Malko.
— Tant pis. Je reste.
Elle se rua dans ses bras. L’embrassa tendrement, violemment. Tout son corps pressé contre lui.
— Où allons-nous, murmura-t-elle.
— Tu as une voiture ?
— Non.
— Nous prendrons un taxi.
Il ramassa son attaché-case, laissant le reste de ses bagages. Le liftier ne prêta aucune attention à eux.
Ils sortirent. Le soleil était éblouissant. En l’ace du Sheraton, adossées au parking, s’alignaient une rangée de voitures de louage, avec chauffeur. Le feu, au coin des rues Teatinos et Augustinas était au rouge. Malko s’avança au milieu de la chaussée à sens unique, vers les voitures. Il avait parcouru dix mètres quand un cri d’Oliveira, restée sur le trottoir devant le Sheraton, lui fit tourner la tête.
Grillant le feu rouge une « 404 » break fonçait sur lui. Il vit deux hommes à l’avant, le pare-chocs sans plaque d’immatriculation. Il fit un bond désespéré vers une des grosses limousines bleues. La « 404 » le frôla, dérapa, se redressa et fila vers Alameda. Un chauffeur accourut, aida Malko à se relever. Vouant le chauffard aux gémonies. Oliveira traversa comme une folle.
— Ce sont eux, cria-t-elle. Ils n’avaient pas de plaque !
Malko s’époussetait. Cela risquait d’être le plus long week-end de sa vie.
Chapitre XVII
La limousine bleue roulait le long de l’avenue Vitacura à une allure d’escargot. Au prix où était l’essence, le chauffeur ne voulait pas faire de folie. Oliveira, la tête sur l’épaule de Malko, pleurait doucement. Pudique, le chauffeur faisait semblant de ne rien voir. Croyant à une dispute d’amoureux. Malko voyait encore la « 404 » foncer sur lui. La seconde tentative de meurtre en une journée. Ce ne serait pas la dernière.
— Où allons-nous ? demanda à voix basse Oliveira.
— Chez John Villavera, dit Malko.
Le chauffeur se retourna pour leur demander s’ils souhaitaient aller se recueillir au pied de l’énorme statue de l’Immaculée Conception qui dominait le Cerro San-Cristobal, à leur droite. Malko déclina poliment. John Villavera allait encore avoir une mauvaise surprise. Il avait donné au chauffeur l’adresse de la calle Laperouse.
— J’ai un compte à régler avec ce monsieur, dit-il à Oliveira. Ensuite, nous attendrons chez lui le retour de l’ambassadeur.
Elle le fixa terrifiée.
— Tu vas…, le tuer ?
— Ce n’est pas totalement exclu, dit froidement Malko.
Ils roulèrent en silence jusqu’au Barrio Alto. Malko se sentait froid comme un iceberg. Il avait toujours abhorré la violence gratuite. Mais John Villavera ne méritait aucune pitié. Ce qu’il avait combiné était ignoble… Il avait simplement envie de le supprimer. Le virage de la calle Laperouse où se trouvait la maison de l’Américain apparut. L’estomac de Malko se serra brusquement. Un gros fourgon Chevrolet blanc de la D. I. N. A. était arrêté juste devant.
— Continuez, dit-il au chauffeur.
Ce dernier, aux trois quarts endormi, n’entendit pas et stoppa juste à côté du fourgon puis tourna la tête vers Malko avec un bon sourire.
— Je vous attends, señor ?
Les glaces arrière étaient juste à la hauteur de la cabine du Chevrolet. Malko aperçut une casquette et un visage olivâtre qui le dévisageait. Presque aussitôt, il entendit l’autre portière du fourgon s’ouvrir.
Son chauffeur s’était déjà extirpé de son siège pour lui ouvrir la portière. Il vit une silhouette en uniforme faire le tour du Chevrolet pour venir voir qui était à l’intérieur de la limousine. Son signalement avait fatalement été donné. Il mesura la distance qui le séparait de la maison de John Villavera. Impossible de traverser sans être tué. Et il y avait Oliveira.
D’un bond, il sauta hors de la limousine contourna le chauffeur et se glissa à sa place au volant.
— Couche-toi sur la banquette, cria-t-il à Oliveira.
Déjà, il était au volant, passant la boîte automatique. La limousine fit un bond en avant, balayant le chauffeur avec la portière ouverte et évitant de justesse le policier. Surpris, ce dernier n’eut même pas le temps de tirer. La limousine disparut dans le virage. Malko brûla un stop, retomba dans l’avenue Amerigo Vespucci. Oliveira escalada le siège pour venir s’asseoir à côté de lui.