Dès que les voix se furent éloignées, il ressortirent, traversèrent le couloir, rejoignant un autre boyau. Il fallait gagner du temps. La D. I. N. A. allait sûrement fouiller tout l’établissement. Il pensa au téléphone. S’il parvenait à prévenir Carlos Geranios, le Chilien pourrait peut-être lui venir en aide. Mais il ne pouvait pas téléphoner lui-même. Il eut soudain une idée.
Il commença à parcourir le couloir, essayant toutes les portes. Deux chambres étaient vides. Deux autres verrouillées. La cinquième ne l’était pas.
Il tourna doucement le bouton. La porte s’ouvrit. La chambre, en partie tapissée de glaces, comportait une fosse au milieu, avec une énorme moto B.M.W. Une fille aux longs cheveux noirs était debout sur les pédales, penchée sur le guidon auquel elle se cramponnait à deux mains tout en recevant l’assaut d’un homme grassouillet au dos poilu qui se tenait derrière elle en ahanant. Tellement occupés qu’ils n’entendirent pas la porte s’ouvrir.
Ils soufflaient lourdement tous les deux, entrecoupant leurs soupirs d’interjections obscènes. La femme s’écroula tout à coup sur le guidon, grognant de plaisir. L’homme tourna la tête et aperçut Malko. Il resta la bouche ouverte de stupéfaction, puis une violente colère lui tordit les traits. Sa partenaire ne s’était encore aperçue de rien.
— Silencio ! intima Malko, en s’avançant.
Le pistolet extra-plat ajouta un poids considérable à son injonction. La femme se retourna brusquement, tétanisée, poussa une exclamation et ne bougea plus. L’homme descendit de la moto, tandis que son érection se recroquevillait piteusement.
Il pouvait avoir cinquante ans, avec de la graisse un peu partout, prodigieusement velu.
— Qu’est-ce que… ? commença-t-il.
Malko désigna de son pistolet un escalier qui montait vers une grande alcôve en haut, bordée de chaînes, en guise de rampe.
— Montez tous les deux. Ne discutez pas. Vite.
L’homme émergea le premier de la fosse. Malko le poussa du canon de son pistolet. Le Chilien poussa un cri de souris et se rua dans l’escalier. La femme le suivit aussitôt, sa cellulite tremblotant fiévreusement, la peau hérissée par la chair de poule. Elle devait avoir quarante ans, avec un corps un peu lourd, mais encore beau : Malko fit monter Oliveira derrière elle et monta à son tour. Le haut était occupé par un grand lit au ras du sol. Le couple attendait debout. Tremblant. Honteux.
— Étendez-vous, dit Malko. Sur le bord. Elle d’abord.
La femme obéit avec un regard effrayé.
— Mettez-vous sur elle, ordonna Malko à son partenaire.
Celui-ci s’allongea maladroitement sur sa compagne, jetant un regard effrayé à Malko. Ne comprenant visiblement pas où il voulait en venir. Malko contourna le lit et vint s’allonger entre le mur et le couple, attirant Oliveira contre lui. Ainsi, quelqu’un passant la tête dans le petit escalier bordé de chaînes ne verrait qu’un seul couple en train de faire l’amour. Mais, pour le moment, ils avaient plutôt l’air de gens surpris par l’éruption de Pompéi. Malko enfonça le canon du pistolet dans le flanc de l’homme.
— Mieux que cela, faites vraiment l’amour…
Ce n’était pas du sadisme, mais il ne voulait rien qui puisse donner l’éveil aux policiers de la D. I. N. A.
— Mais je ne peux pas ! gémit le malheureux. Manuela, fais quelque chose.
Il ne mentait pas.
Une lueur passa dans l’œil de la femme. Se dégageant, elle s’accroupit et se pencha vers son ventre. Dans d’autres circonstances moins tragiques, la scène eut été risible. L’homme fermait les yeux, faisait des efforts incroyables pour se concentrer… Rien. Furieux, l’homme marmonna.
— Chupas como una huevona !
Enfin, elle arriva à un résultat presque honorable. Suffisant en tout cas pour ce qu’il voulait.
— Mettez-vous sur le côté, ordonna Malko.
Le couple obéit, la femme lui tournait le dos. Il sentit la peau tiède s’appuyer contre l’alpaga de son costume. L’homme bougeait à peine, les yeux fermés. Malko réalisa soudain que la femme se cambrait contre lui. Réclamant discrètement d’être prise de ce côté-là ! Tout en protestant à voix basse, en geignant, elle poussait ses reins impérativement. Où vont se nicher les phantasmes…
Il y eut du bruit en bas. On frappa à la porte, des voix appelèrent. La femme cessa aussitôt de bouger.
— Répondez, souffla Malko.
L’homme obéit d’une voix étranglée.
— Hai personas ? demanda une voix rogue.
— Aqui !
Des pas lourds ébranlèrent l’escalier. Malko retenait son souffle, prêt à tirer. Mais après un instant de silence, les pas redescendirent.
— Ce n’est pas lui, entendit Malko.
Les policiers repartirent et, aussitôt, l’homme se redressa, affolé :
— Mais qui êtes-vous ?
Cette fois, il avait vraiment peur, croyait plus à un caprice de dévoyé sexuel… Malko lui désigna le téléphone :
— Peu importe, vous allez encore faire quelque chose. Appelez le standard, demandez le 732 864. Vite.
Normalement, une communication émanant de cette chambre ne devait pas éveiller l’attention.
L’homme demanda son numéro, attendit. Malko lui prit l’appareil.
— Que es ? fit une voix d’homme. Malko.
Il y eut un silence, puis la voix de Carlos Geranios :
— Malko ? Que se passe-t-il ?
Malko faillit crier de joie en reconnaissant sa voix.
— Je suis au Valdivia, dit-il. La D. I. N. A. est ici. Ils me traquent. Je…
— Je viens, dit Carlos Geranios. Je serai dehors. Il avait raccroché. Oliveira regardait Malko d’un air terrifié. Le couple n’avait plus du tout envie de faire l’amour. Malko réfléchissait. La D. I. N. A. n’allait pas se borner à une inspection superficielle du Valdivia il fallait en sortir. C’était le couvre-feu, personne ne leur viendrait en aide, à part Carlos Geranios.
Un quart d’heure passa.
— Ils vont peut-être partir, suggéra Oliveira, pleine d’espoir.
— Sûrement pas, dit Malko. Il faudrait trouver un endroit pour se cacher, mais pas une chambre.
— On peut se servir de ces deux là pour se protéger ? Suggéra la Chilienne.
La notion d’otages faisait horreur à Malko. Et ce ne serait pas très efficace.
La femme se mit à pleurer brusquement, le sein flasque :
— Oh, laissez-nous partir !
— Vous allez rester là, dit Malko. Je vous conseille de ne rien dire. Sinon la D. I. N. A. pensera que vous étiez complices.
Il n’y avait rien de plus efficace pour qu’ils se taisent.
Lui et Oliveira descendirent l’escalier aux chaînes. Collé contre la porte, en bas, il écouta. Aucun bruit ne filtrait du couloir. Il ouvrit.
Ils coururent vers la sortie. Au moment où ils allaient l’atteindre, des voix s’élevèrent devant eux. Aussitôt Malko se rua sur la première porte, ouvrit. Elle donnait sur un escalier qui débouchait dans un couloir souterrain très étroit, à la décoration psychédélique, desservant trois portes. Un cul-de-sac. S’ils se faisaient coincer là-dedans, c’était fini. Mais le couloir du haut était pour l’instant plein de monde. Impossible de remonter immédiatement.
Ils poussèrent la première porte. Une « caverne » ultramoderne celle-là, éblouissante de blancheur. Un homme somnolait allongé sur le dos. Dans la douche, une fille brune se donnait du plaisir, la tête renversée en arrière, le jet dirigé contre le centre de son corps. Ils ressortirent, essayèrent la suivante qui était vide. Ils s’y reposèrent un moment, allongés sur l’étrange sol de mousse, guettant les bruits de l’extérieur. Il fallait absolument remonter vers la surface.