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— Mon cher abbé, déclara-t-il alors, si vous le voulez bien, je m’en vais m’assurer que votre mécanicien est debout et lui dire de préparer la voiture…

— J’allais vous le demander, caporal…

Le journaliste ne monta nullement réveiller le chauffeur. Il descendit, au contraire, dans la cour de l’hôtel où, d’un clignement d’œil, il rassura l’hôtelier.

— Nous avons passé une très bonne nuit, je m’en vais voir si la voiture marche bien…

Fandor n’hésita pas, il était chauffeur expert.

Le jeune homme accomplit rapidement les manœuvres nécessaires, puis affirma à l’hôtelier qui le considérait curieusement :

— Si l’on me demande, dites que je vais faire un essai sur la route et que je reviens dans trois minutes…

Fandor sauta sur le siège, embraya, passa en virtuose la gamme des vitesses. La voiture déboucha de la voûte de l’hôtel sur la grand-route…

— Ficher le camp par Rouen, pensait Fandor, serait évidemment préférable, car j’aurais beaucoup plus de chance de pouvoir prendre un train express…  Mais, d’autre part, puisque j’ai le bonheur de porter l’habit militaire, je courrais gros risque de me faire ramasser… je vois cela d’ici… le sous-off de service s’approchant de moi à la gare… Peut-être suis-je déjà signalé… Je ne me soucie nullement d’être arrêté… Au contraire, si je me sauve jusqu’à une petite gare ignorée, je n’aurai qu’à raconter un boniment fantaisiste à la buraliste pour obtenir qu’elle me délivre, le plus innocemment du monde, un billet pour Paris…

Fandor, sans la moindre hésitation, tourna vers Barentin…

Il faisait beau, le jour se levait très pur. Fandor goûtait le charme de cette promenade matinale à travers la campagne normande. Il la goûtait d’ailleurs avec d’autant plus de tranquillité d’âme qu’il se rendait compte qu’il allait échapper définitivement aux redoutables conséquences que pouvait lui valoir sa substitution au caporal Vinson.

— Évidemment, se disait-il, il va falloir maintenant que j’abandonne sans retour mon rôle de militaire… Mais, après tout, cela n’a pas grand inconvénient. Le vrai Vinson, d’une part, est à coup sûr à l’étranger, hors d’atteinte… il n’a donc plus rien à craindre… Et quant à moi, maintenant, je connais de vue les principaux chefs espions, les frères Noret, de Verdun, l’élégant touriste et le faux curé… Je continuerai donc tout aussi bien mon enquête dans la peau de Fandor, en me faisant aider par Juve.

Et soudain repris par les inquiétudes de la veille, Fandor se demandait encore :

— Par exemple, je donnerais bien dix sous et même onze pour savoir exactement qui est ce curé ?…

Il venait de traverser en trombe le petit village de Barentin.

— Faudrait voir, murmura-t-il, à m’orienter tant soit peu… Inutile que j’aille beaucoup plus loin…

 Une carriole de paysans le croisait quelques minutes après. Fandor stoppa et demanda au conducteur :

— Dites-moi, monsieur, je suis un peu perdu ; voudriez-vous avoir l’amabilité de m’indiquer la première gare, la gare la plus proche.

L’homme, le courrier de Maronne, obligeamment le renseigna :

— Il faut que vous alliez à Motteville, mon caporal, vous n’avez qu’à tourner au premier carrefour et à suivre tout droit, vous parviendrez tout juste à la gare…

Le journaliste remercia, embraya à nouveau :

— Je n’ai plus, pensait-il, qu’à découvrir un petit endroit, bien gentil, bien désert pour…

Quelques minutes après, profitant d’un bosquet assez couvert occupant l’un des côtés de la route, Fandor donnant de l’élan à sa machine, vira carrément en plein champ…

L’automobile, lancée, n’enfonça pas trop dans les terres labourées. Fandor accélérant le moteur finit par l’amener jusqu’au centre du bouquet d’arbres…

Une fois là, il arrêta, il descendit de voiture et considérant l’auto :

— Dommage tout de même, dit-il, la promenade était jolie et ça ronflait joliment bien… mais enfin si j’ai pu emprunter cette voiture, sans scrupules, ce serait véritablement exagéré et surtout exagérément dangereux que la conserver…

Et soudain Fandor se reprit à rire en songeant à la mine déconfite qu’en cet instant précis, devaient faire le prêtre et le mécanicien, si bel et bien abandonnés par lui à l’hôtel…

***

Le journaliste se trompait en supposant que le prêtre faisait, à l’hôtel du Carrefour Fleuri, une mine stupéfaite en constatant sa disparition…

Lorsque le mécanicien s’éveilla et vit à sa montre qu’il était neuf heures du matin, il poussa un grand soupir en songeant :

— Bon Dieu ! qu’est-ce qu’ils vont me chanter mes bourgeois ! on devait se mettre en route à huit heures, voilà qu’il en est neuf et que je ne suis même pas prêt à partir…

Le brave mécano s’habilla en hâte, dégringola dans la cour de l’hôtel. Il pensa rêver encore en ne trouvant plus sa voiture…

Le patron du Carrefour Fleuri était parti faire ses provisions à Rouen. Les valets d’écurie, que le mécanicien interrogea successivement, ne purent lui fournir le moindre renseignement.

— Probable, faisait l’un d’eux qu’il y a un de vos patrons qui s’en est allé faire un tour… ?

Mais petit à petit la colère gagnait le chauffeur…

— Ah ! je voudrais bien voir ça, hurla-t-il, d’abord c’est pas à eux cette bagnole, je ne suis même pas à leur service, moi. C’est le curé qui est venu hier à mon garage et qui a loué la voiture et moi avec, soi-disant pour faire une excursion… je voudrais bien voir que lui ou son militaire ils se soient seulement permis de faire tourner mon moteur… je leur apprendrais comment c’est que je me nomme !…

Dans la cour, les garçons de ferme, les garçons d’écurie rirent de bon cœur de la fureur du brave homme. On lui conseilla :

— Tu sais quelle chambre ils avaient ? Va donc voir d’abord s’ils sont là ?

Le chauffeur, quatre à quatre, grimpa les escaliers, il heurta à la porte de la chambre où ses patrons occasionnels avaient passé la nuit… Mais il eut beau frapper, taper du poing, il n’obtint aucune réponse… De plus en plus angoissé, ne comprenant rien à ce qui arrivait, le chauffeur se décida à ouvrir la porte.

La chambre était vide…

Le chauffeur redescendit en hâte l’escalier, pestant, sacrant, faisant un vacarme de tous les diables. Il se heurta au patron de l’hôtel qui rentrait :

— Où est mon curé ? interrogea-t-il.

Le brave homme le regardait, stupéfié :

— Votre curé ?

— Oui, mon curé ! ou son caporal ?… où c’est qu’ils sont ?…

— Le caporal est parti avec l’automobile, il y a bientôt deux heures… il allait faire un essai qu’il m’a dit…

— Et le curé était avec lui ?

— Non, le curé est parti quasiment derrière lui, il m’a dit comme ça, qu’il allait jusqu’à la poste, envoyer une dépêche. Ça serait-il que ça ne serait point vrai ?

— Bon sang de sort ! dit le chauffeur, ces saligauds-là, m’ont chauffé ma bagnole…

Tandis que l’on s’effarait dans l’hôtel, que chacun perdait la tête un peu plus, on suggérait au chauffeur les plans les plus ineptes pour arriver à rattraper les fugitifs. Un valet de ferme proposait d’atteler une voiture et de leur donner la chasse… Par bonheur, le chauffeur, petit à petit, recouvrait ses esprits.

Il se releva, appela l’hôtelier qui, machinalement, cherchait dans la cour l’auto disparue…

— Dites donc, où c’qu’est la gendarmerie ? Faut que je prévienne la police, des fois, par télégraphe, on pourrait arriver à les pincer ?… en deux heures ils doivent pas être très loin… d’autant que comme ils ne sont pas partis ensemble, il a fallu qu’ils se rejoignent…