Выбрать главу

Considérant le malheureux, de plus en plus secoué, torturé par le mal de mer, Juve se disait, non sans une certaine commisération :

— Ma foi, au moins, lorsqu’il se verra arrivé si vite, ce sera pour lui une légère consolation à la mauvaise aventure qui l’attend.

La Manche était de plus en plus mauvaise, et c’est à peine si l’on pouvait demeurer sur le pont.

Au bout d’une heure et demie, car on avait du retard, l’odieuse valse du steamer s’atténua soudain, on cessa d’entendre l’exaspérante sirène. Au brouhaha des flots succéda un silence reposant, l’Empress marchant à demi-vitesse pénétrait entre les jetées de Calais !

Cinq minutes encore, puis on accosta.

— C’est l’instant suprême, pensa Juve…

S’il parvenait à faire descendre Vinson sur la terre ferme, c’en était fait de la liberté du caporal.

Sur le territoire français, il l’arrêterait aussitôt.

Juve considéra son compagnon qui gisait écroulé sur un banc. Les copieuses libations au Robert’s, le succulent dîner pris dans un des restaurants chic des environs de Leicester Square et ensuite la traversée avec ses nausées, avaient fait de l’infortuné caporal une véritable loque humaine.

Juve souleva le jeune homme, qui tenait à peine debout sur ses jambes.

Pris de pitié, le policier fit signe à un employé. Celui-ci s’empara du bras gauche de Vinson, tandis que Juve le soutenait par la droite. Toujours sans s’apercevoir de rien, Vinson débarqua, prit pied sur le sol français…

La foule des voyageurs, obéissant aux indications du personnel, s’engouffrait dans la vaste salle où les douaniers faisaient la visite des menus colis. Mais Juve, évitant à son compagnon la vue des uniformes français, l’attira un peu à sa gauche.

Un personnage se dressa soudain devant eux. Juve lui fit un signe. Les deux hommes se connaissaient, évidemment, car le policier annonçait au nouveau venu, à voix basse :

— C’est notre homme, allons à votre bureau !

***

Ranimé par un cordial, Vinson reprenait peu à peu ses sens. Soulevant péniblement ses paupières lourdes, il regarda avec une curiosité mêlée d’inquiétude l’endroit où il se trouvait : une grande pièce carrée faiblement éclairée, presque vide, avec des murs blancs et nus.

— Où suis-je ? interrogea-t-il en se tournant vers Juve, le seul qu’il connût des trois hommes l’entourant.

— Vous êtes au commissariat spécial de la gare de Calais. Caporal Vinson, j’ai le regret de vous dire que je vous mets en état d’arrestation.

Vinson venait de s’apercevoir que ses deux mains étaient immobilisées par les menottes. Il retomba lourdement dans le fauteuil où on l’avait assis et fondit en larmes.

Juve éprouvait une réelle pitié pour le malheureux être qui gisait impuissant, misérable, devant lui. Mais il n’y avait pas lieu de s’attendrir. Vinson était un grand coupable, un abominable traître… peut-être avait-il des excuses à son crime, peut-être ses fautes résultaient-elles d’une mauvaise éducation, de déplorables exemples… Juve n’avait pas la mission de juger, mais uniquement de livrer le coupable à ses juges.

— Allons ! fit-il en frappant sur l’épaule du caporal Vinson… Venez, nous partons pour Paris…

Le malheureux hésita une seconde, leva des yeux suppliants vers Juve, puis, résigné à son sort, comprenant que toute résistance était impossible, il se leva péniblement et obéit au policier. Un agent de la Sûreté s’était joint à Juve, et les trois hommes s’installèrent dans un compartiment de seconde.

D’une voix faible, Vinson supplia :

— Je vous en prie, monsieur, faites qu’il ne monte personne avec nous, je serais tellement honteux d’être vu…

Cette requête prouvait que le traître avait encore un peu de pudeur et de bons sentiments. Touché, Juve lui répondit :

— Nous allons faire notre possible pour l’éviter.

Juve s’entendit, en effet, avec le chef de train, lui exposant rapidement les motifs pour lesquels ils désiraient être seuls.

L’employé, pour toute réponse, attachait à la portière du compartiment l’étiquette Réservé.

Le train ne tarda point à partir.

Vinson, désormais réveillé, – il avait trop de préoccupations pour céder au sommeil, – méditait sur son sort et sans doute songeait que cette seconde partie du voyage ne ressemblait aucunement à la première !

Le train s’arrêtait à une gare.

— Je meurs de soif, avait balbutié Vinson d’une voix à peine perceptible.

Quelques instants après, il remerciait Juve d’un signe de tête.

Le policier, à la plainte du caporal, avait répondu en envoyant son second chercher une bouteille d’eau.

Désaltéré, Vinson rassemblait peu à peu ses esprits, et Juve le voyant en meilleures dispositions, après l’avoir laissé quelque temps réfléchir en silence, commença à l’interroger, lui promettant de le traiter aussi bien que possible, s’il voulait parler en confiance, et l’assurant de l’indulgence des juges s’il consentait à dénoncer ses complices.

Vinson ne fut pas difficile à convaincre :

— Ah ! murmura-t-il, monsieur, tandis que de grosses larmes coulaient le long de ses joues, maudit soit le jour où, pour la première fois, j’ai accepté d’entrer en relations avec la bande de criminels qui a fait de moi ce que je suis aujourd’hui, un coupable que l’on mène en prison.

Vinson, malgré sa fatigue, fit tout d’une traite à Juve, le récit de ses entraînements et de ses fautes, tel qu’il l’avait fait quelques semaines auparavant au journaliste Fandor. Toutefois, il tut ses relations avec le reporter de La Capitale, auquel il avait promis le secret absolu.

Juve, au surplus, était à cent lieues de soupçonner la substitution qui s’était faite à son insu…

Vinson affirmait ne rien savoir du « débouchoir ».

Au surplus, il ne manquait pas de questions à poser au coupable.

Vinson ne connaissait pas Vagualame, Vagualame le vrai, et en l’interrogeant sur ce mystérieux personnage, peut-être Juve pourrait-il préciser la personnalité de l’insaisissable Fantômas qui, comme il l’avait déjà découvert, s’était longtemps dissimulé derrière la barbe blanche du joueur d’accordéon.

Vinson raconta bien des choses sur Vagualame, que Juve connaissait déjà. Néanmoins, un propos frappa son esprit :

— C’est égal, avait murmuré Vinson, si la police connaissait tout ce qui se passe dans l’hôtel de la rue Monge…

Juve s’était dit :

— Dès que j’aurai remis mon caporal entre les mains des geôliers militaires, je sais bien de quel côté je m’en irai fumer une cigarette.

26 – LE SECRET DE WILHELMINE

— Vous êtes seule, Wilhelmine ?

La jeune fille, qui sortait de l’hôtel de la rue Fabert, eut une agréable surprise. Devant elle, au coin de la rue de l’Université, se dressait la sympathique silhouette du lieutenant de Loubersac.

Ce dernier, dont l’esprit était perpétuellement torturé, dont les inquiétudes augmentaient d’heure en heure, avait en effet décidé d’avoir ce jour-là, coûte que coûte, une explication définitive avec la jeune fille.

— Je suis seule, en effet, avait répondu la jeune fille, et même… plus que jamais…

— Votre père ?

— Parti depuis ce matin. J’ai déjeuné sans lui…

— Et Mlle Berthe ?

— Pas de nouvelles depuis quelques jours. Berthe semble avoir disparu.

L’officier n’ajouta rien. Machinalement, il régla son pas sur celui de la jeune fille. Après un silence, il demanda encore :

— Où comptez-vous aller, Wilhelmine ?

Mlle de Naarboveck expliquait qu’elle avait des courses à faire, mais que celles-ci ne comportaient aucun caractère d’urgence.

— Voulez-vous que nous marchions un peu, tout en causant ?