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— Je dis qu’il est mort ! répéta le lieutenant.

— Mais comment cela ? questionna encore le policier.

Le lieutenant fit venir le sergent d’administration.

— Allez chercher le docteur.

On se tut et quelques secondes plus tard, un jeune aide-major parut sur le seuil du bureau.

— Expliquez-vous, monsieur, qu’y a-t-il ?

— Mon commandant, on m’a fait demander, il y a une heure environ auprès d’un prisonnier évanoui, disait-on. Cet homme, en traversant la rue du Cherche-Midi, avait soudain perdu connaissance et ses gardiens ne pouvant le ranimer l’avaient conduit dans sa cellule. À mon arrivée il était mort.

— Mort de quoi ? interrogea le commandant.

— Il est mort d’une balle au cœur : je m’en suis aperçu en le déshabillant. On retrouvera la balle à l’autopsie, car, vraisemblablement, elle s’est logée dans la colonne vertébrale.

Le commandant Dumoulin s’était levé, marchait de long en large dans son bureau, en proie à une agitation folle :

— Ah çà ! mais, voyons… on ne tue pas comme ça les gens en pleine rue… c’est inouï ! invraisemblable ! une balle, ça suppose un fusil, un revolver, une détonation !… cela fait du bruit !

Le commandant s’approcha de l’aide-major, le prit par les épaules, le secoua et, l’interrogeant les yeux dans les yeux avec une pointe de mépris soupçonneuse :

— Êtes-vous seulement sûr de ce que vous dites ?

— J’en suis sûr, mon commandant.

Pendant cette discussion, Juve s’était approché de Fandor. Au récit du médecin, tous deux avaient étrangement pâli, et Juve, nerveux à l’extrême, murmurait à l’oreille de Fandor :

— Vinson tué d’une balle au coeur !… comme le capitaine Brocq… tué sans doute avec une arme silencieuse… quand il traversait la rue… il y a encore là-dessous… du Fantômas.

Quelques instants après, Fandor prit la parole :

— Excusez-moi, mon commandant, de venir vous troubler, mais je vous serais bien reconnaissant de me faire mettre en liberté…

Cette fois, le commandant Dumoulin éclata :

— Ah ! nom de Dieu ! hurla-t-il en donnant un violent coup de poing sur sa table, vous pouvez vous vanter que vous avez du culot ! non seulement vous vous êtes foutu de moi, mais vous voulez vous en foutre encore !… Ah ! vous n’êtes pas le caporal Vinson !… ah ! vous êtes journaliste !… eh bien ! c’est ce qu’il s’agira de prouver… et quand même vous le prouveriez, j’aime à croire que vous vous êtes fourré dans un bien mauvais cas en vous moquant de l’armée tout entière comme vous venez de le faire ! Gardes, continua-t-il, reconduisez-moi cet homme-là dans sa cellule, et vivement, qu’on double la surveillance !

Fandor n’avait pas eu le temps de placer un mot de protestation. On l’entraînait.

— Je vous assure, mon commandant, qu’il s’agit bien de Jérôme Fandor, commença Juve.

— Vous, hurla le commandant, foutez-moi la paix…

28 – AU «VEAU QUI PLEURE »

— Alors, qu’est-ce que tu t’enfiles ?…

— Qu’est-ce que tu offres ?…

Geoffroy-la-Barrique ébranla d’un puissant coup de poing la table devant laquelle il était assis, au risque de faire s’écrouler la respectable pile de soucoupes qui, à cette heure avancée de la soirée, marquait avec précision son emploi du temps.

— Ce que j’offre ? riposta-t-il, j’offre ce qu’on veut, j’ai pas l’habitude de liarder, moi ; quand je demande : « Mon vieux, qu’est-ce que tu t’enfiles ? » ça veut dire : « Choisis ! »… voilà !

— Passe le catalogue !

Et l’homme s’absorba dans une lecture compliquée des différents alcools baptisés de noms bizarres.

Le compagnon de Geoffroy-la-Barrique méritait son sobriquet de « Malfichu ». Il répondait encore au surnom plus aristocratique de « Sacristain », surnom justifié par son ancienne profession. Il avait jadis été sacristain à Saint-Sulpice et n’avait quitté son emploi qu’en raison de son intempérance.

Où ces hommes s’étaient-ils connus, eux d’aspect si différent ? Par quel lien mystérieux ce petit bonhomme était-il devenu l’ami de ce robuste gars ?

— Et alors, mon vieux, reprenait Malfichu, qui, après avoir consciencieusement étudié le « catalogue », s’était tout bonnement décidé à commander au garçon « une purée… bien épaisse ». Et alors, comment cela se fait-il qu’on ne t’a pas vu depuis tant de jours ?… Qu’est-ce que c’est qui t’est arrivé ?…

Geoffroy-la-Barrique, d’une gorgée, vida son verre, la nuque à la muraille, les poings sur la table, les jambes étendues, écartées, sembla considérer le plafond du cabaret et réfléchir profondément.

— Ma foi, répondit-il, tu ne m’as pas vu parce que tu ne m’as pas vu !… Voilà, Malfichu !… il n’y a pas d’autres explications !… Ah ! tout de même, tu te rappelles que j’avais passé l’examen pour être fort des Halles ?…

— Oui-da, je m’en souviens, quelle fameuse tournée !

— Comme de juste, Malfichu… C’était d’ailleurs ma soeur Bobinette qui payait… Ah ! tu te souviens que j’ai été refusé… Bon. Je suis entré aux Halles quand même… puis, un jour, pour une histoire de rien du tout, j’ai cogné sur un des marqueurs…

— T’as cogné ?

— J’ai cogné. Pour lors, quand j’ai eu cogné sur le chef, il s’est d’abord aplati sur le trottoir. D’autres l’ont emmené, et puis le lendemain ils m’ont foutu à la porte… Dame ! mon vieux, tu vois ça d’ici ? Une fois foutu à la porte, c’était la dèche. Comme de raison, j’avais pas d’économies, j’avais juste placé quelques dettes à droite et à gauche, chez les bistros… enfin, je courais grand risque de me mettre la ceinture et de refiler les comètes… C’est Bobinette qui m’a aidé…

— Ta frangine ?

— Elle, n’est-ce pas, c’est une maligne… d’ailleurs elle a fait des études, elle était pose-bandages à Lariboise… bref, elle a des sous… j’y ai raconté mes malheurs… enfin, elle m’a donné des pépettes et j’ai pu attendre…

— Jusqu’à ce qu’on t’engage au Grand Tonneau ?

— Non… Bobine m’a dit comme ça : « V’là des ors, frérot, c’est tout ce que j’ai, ne reviens pas, faut te débrouiller… »

— Et tu t’es débrouillé ? Comment ?…

Geoffroy-la-Barrique semblait hésiter à répondre. Peut-être avait-il un mauvais souvenir dans sa mémoire, peut-être ne voulait-il pas raconter au juste à son ami Malfichu ce qu’il avait fait durant les quelques mois qui séparaient sa sortie des Halles de son entrée au Grand Tonneau

Les yeux fixes, il buvait son absinthe à petits coups, à courtes gorgées savourées l’une après l’autre…

— Alors, voilà, je me suis débrouillé…

— J’te demande comment ?

— J’te dis que je me suis débrouillé, puis je suis entré au Grand Tonneau

— Où t’es…

— Où j’suis…

— T’as remboursé la frangine ?

Mais Geoffroy eut un gros rire :

— Des nèfles ! répondit-il. Tu ne voudrais pas, des fois ? Je l’ai si peu remboursée que d’abord j’savais pas ce qu’elle était devenue… elle avait quitté Lariboise… partie sans laisser d’adresse… z’ou… j’la croyais p’t’être ben claquée, ce qui m’aurait fait de la peine, car c’est une brave fille, lorsqu’avant-hier j’ai reçu un mot d’elle. Bobinette m’a demandé un rendez-vous…

— Tu lui as dit de venir ici ?

— Juste.

— Et comment qu’elle avait ton adresse ?

— Dame ! ça, j’sais pas… Probable qu’elle aura vu mon nom cité l’autr’jour « sur » le Petit Journal dans les vainqueurs du Concours de force. Elle m’a écrit en mettant l’numéro de ma piaule, rue de la Harpe.