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avait une table chargée des mets les plus

« "Eh bien, retourne faire connaissance délicieux de cette région du monde. Le des merveilles de mon univers, lui dit Sage parlait avec les uns et les autres, et le le Sage. On ne peut se fier à un homme 46

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si l'on ne connaît pas la maison qu'il habite."

«Plus rassuré maintenant, le jeune homme prit la cuiller et retourna se promener dans le palais, en prêtant attention, cette fois, à toutes les œuvres d'art qui étaient accrochées aux murs et aux pla-fonds. Il vit les jardins, les montagnes alentour, la délicatesse des fleurs, le raffi-nement avec lequel chacune des œuvres d'art était disposée à la place qui conve-Surplombant la petite ville de Tarifa, nait. De retour auprès du Sage, il relata de existe une vieille forteresse jadis construite façon détaillée tout ce qu'il avait vu.

par les Maures; et qui s'assied sur ses

« "Mais où sont les deux gouttes d'huile murailles peut voir de là une place, un que je t'avais confiées ?" demanda le Sage.

marchand de pop-corn et un morceau de

«Le jeune homme, regardant alors la l'Afrique.

cuiller, constata qu'il les avait renversées.

Melchisédec, le Roi de Salem, s'assit ce

« "Eh bien, dit alors le Sage des Sages, soir-là sur les remparts du fort, et sentit c'est là le seul conseil que j'aie à te don-sur son visage le vent que l'on nomme ner : le secret du bonheur est de regarder levant. Les brebis, près de lui, ne cessaient toutes les merveilles du monde, mais sans de s'agiter, inquiètes, troublées par le chan-jamais oublier les deux gouttes d'huile gement de maître et tous ces bouleverse-dans la cuiller."»

ments. Tout ce qu'elles désiraient, c'était seulement de quoi manger et boire.

Le berger demeura sans rien dire. Il Melchisédec observa le petit bateau qui avait compris l'histoire du vieux roi. Un s'éloignait du port. Jamais il ne reverrait le berger peut aimer les voyages, mais jamais jeune berger, de même qu'il n'avait jamais il n'oublie ses brebis.

revu Abraham, après lui avoir fait payer sa Le vieillard regarda le jeune homme et, dîme. Et cependant, c'était son œuvre.

de ses deux mains ouvertes, fit sur sa tête Les dieux ne doivent pas avoir de sou-quelques gestes étranges.

haits, car les dieux n'ont pas de Légende Puis il rassembla ses moutons et s'en fut.

Personnelle. Toutefois, le Roi de Salem, dans son for intérieur, fit des vœux pour le succès du jeune homme.

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« Dommage ! Il aura bientôt oublié mon nom, songea-t-il. J'aurais dû le lui répéter plusieurs fois. Quand il aurait parlé de moi, il aurait pu dire que je suis Melchisédec, le Roi de Salem. »

Puis il leva les yeux au ciel, un peu confus de ce qu'il venait de penser: «Je sais: ce n'est là que vanité des vanités, comme Toi-même l'as dit, Seigneur. Mais un vieux roi peut parfois avoir besoin de se sentir fier de lui. »

«Quel étrange pays que l'Afrique!»

pensa le jeune homme.

Il était assis dans une sorte de café, identique à d'autres cafés qu'il avait pu voir en parcourant les ruelles étroites de la ville.

Des hommes fumaient une pipe géante, qu'ils se passaient de bouche en bouche.

En l'espace de quelques heures, il avait vu des hommes qui se promenaient en se tenant par la main, des femmes au visage voilé, des prêtres qui montaient au sommet de hautes tours et se mettaient à chanter, tandis que tout le monde à l'entour s'agenouillait et se frappait la tête contre le sol.

« Pratiques d'infidèles », se dit-il. Lorsqu'il était enfant, il avait l'habitude de voir à l'église, dans son village, une statue de saint Jacques le Majeur sur son cheval blanc, l'épée dégainée, foulant aux pieds des personnages qui ressemblaient à ces gens. Il se sentait mal à l'aise et terriblement seul. Les infidèles avaient un regard sinistre.

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De plus, dans la hâte du grand départ, il mètres de là. Les moutons lui avaient avait oublié un détail, un seul petit détail, enseigné ces choses.

qui pouvait bien le tenir éloigné de son tré-

« Si Dieu guide si bien les brebis, Il gui-sor pendant un long temps : dans ce pays, dera aussi bien un homme», se dit-il; et tout le monde parlait arabe.

il se sentit rassuré. Le thé lui parut déjà

Le patron du café s'approcha, et lui dési-moins amer.

gna du doigt une boisson qu'il avait vu ser-

«Qui es-tu?» entendit-il demander, en vir à une autre table. C'était du thé, un thé

langue espagnole.

amer. Il aurait préféré boire du vin.

Il ressentit un immense réconfort. Il Mais ce n'était sûrement pas le moment songeait à des signes, et quelqu'un avait de se soucier de ce genre de choses. Il paru.

devait plutôt ne penser qu'à son trésor, et

«Comment se fait-il que tu parles espa-

à la façon de s'en emparer. La vente de ses gnol ? » demanda-t-il.

moutons lui avait mis en poche une Le nouveau venu était un garçon vêtu à

somme relativement importante, et il savait l'occidentale, mais la couleur de sa peau que l'argent est une chose magique: avec donnait à penser qu'il était bien de la ville.

de l'argent, personne n'est jamais tout à fait Il avait à peu près sa taille et son âge.

seul. Dans peu de temps, l'affaire de quel-

«Ici, presque tout le monde parle espa-ques jours peut-être, il se trouverait au gnol. Nous ne sommes qu'à deux petites pied des Pyramides. Un vieil homme, avec heures de l'Espagne.

tout cet or qui brillait sur sa poitrine,

— Assieds-toi et commande quelque n'avait aucun besoin de raconter des men-chose à mon compte. Et demande du vin songes pour se procurer six moutons.

pour moi. J'ai horreur de ce thé.

Le vieux roi lui avait parlé de signes.

— Il n'y a pas de vin dans le pays, rétor-Pendant la traversée du détroit, il avait qua l'autre. La religion l'interdit. »

pensé aux signes. Oui, il savait bien de Le jeune homme dit alors qu'il devait se quoi il parlait : durant tout ce temps passé

rendre aux Pyramides. Il était sur le point dans les campagnes de l'Andalousie, il de parler du trésor, mais préféra finales'était accoutumé à lire sur la terre et dans ment n'en rien dire. L'Arabe aurait bien les cieux les indications relatives au che-

été capable d'en exiger une partie pour le min qu'il devait suivre. Il avait appris que conduire jusque-là. Il se souvint de ce que tel oiseau révélait la présence d'un serpent le vieillard lui avait dit au sujet des propo-

à proximité, que tel arbuste permettait de sitions.

savoir qu'il y avait de l'eau à quelques kilo-

«Je voudrais que tu m'emmènes là-bas, si 52

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c'est possible. Je peux te payer comme qui poussa le patron de côté et l'emmena, guide.

lui, à l'extérieur.

— Tu as une idée de la façon d'aller jus-

« Il en voulait à ton argent, dit-il. Tanger, que là-bas ? »

ce n'est pas comme le reste de l'Afrique.

Il remarqua alors que le patron du café

Ici, nous sommes dans un port, et les ports se trouvait à proximité, en train d'écou-sont tous des repaires de voleurs. »

ter attentivement la conversation. Sa pré-Il pouvait donc se fier à son nouvel ami, sence le gênait quelque peu. Mais il avait qui était venu à son aide alors qu'il se trou-rencontré un guide, et il n'allait pas perdre vait dans une situation critique. Il tira l'ar-cette occasion.

gent de sa poche et le compta.

«Il faut traverser tout le désert du

«Nous pouvons arriver demain au pied Sahara, dit le nouveau venu. Et, pour cela, des Pyramides, dit l'autre, en prenant l'ar-il faut de l'argent. Je veux d'abord savoir si gent. Mais il faut que j'achète deux cha-tu en as suffisamment. »