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— Soit… mais au cas où vous auriez à le joindre en urgence ?

— Ce n’est guère probable ! Je dois alors écrire sous double enveloppe à l’hôtel Shepheard’s, au Caire. On lui garde son courrier et… je n’en sais pas davantage !

— Mais enfin, c’est ridicule ! Il a en vous une confiance aveugle ! Je vous vois mal vous précipiter à l’Académie des sciences ou à la rédaction de je ne sais quel journal pour leur confier sur quelle rive du Nil votre maître est en train de manier la pelle et la pioche ?

— Peut-être, Excellence, et je dois dire que c’est la première fois, mais Monsieur s’est clairement expliqué. Sa confiance en moi est absolue, cependant…

— … il craint les courants d’air ? Il faut en effet que sa trouvaille soit exceptionnelle ! Eh bien, Théobald, il me reste à lui envoyer un mot en espérant qu’il ne tardera pas trop à venir le chercher.

— Monsieur le prince a des problèmes ?

— Disons des questions à poser, mais cela peut attendre. Merci, Théobald, portez-vous bien !

— Et voilà ! soupira Aldo en reposant le combiné. Aucun renseignement à attendre de ce côté avant un moment. Adalbert gratte la terre quelque part en Égypte mais personne ne sait où.

— Conclusion ?

— On garde soigneusement au chaud ce précieux et séduisant objet, et, moi, je pars pour Florence. La vente Serbelloni a lieu demain et les améthystes du Cardinal m’intéressent. Elles auraient appartenu à Giulia Farnèse, la maîtresse du pape Alexandre VI.

— Le Borgia ? Je conçois qu’elles vous captivent.

— Oh, pas pour la légende noire de la famille. Des souvenirs leur ayant appartenu, on en trouve en Italie presque autant que de reliques de saints à Byzance autrefois, mais le catalogue leur consacre quelques lignes dithyrambiques et je veux les examiner de près. Donc, j’y vais !

Le collier assorti de pendants d’oreilles était superbe. Aldo n’eut aucune peine à imaginer l’effet qu’il devait produire sur la gorge lumineuse de la belle rousse qu’avaient peinte de fort grands artistes et reçut un véritable coup au cœur : la teinte rare des pierres et l’orient légèrement rosé des perles l’enchantèrent, et il enchérit joyeusement jusqu’à la victoire, avec la ferme intention de conserver l’ensemble dans sa collection privée au cas où Lisa refuserait de le porter. Il soulignerait admirablement la splendeur de ses cheveux fauves et le satin pâle de sa peau !

Il était, de ce fait, d’excellente humeur quand la gondole pilotée par Zian qui était venu le chercher à la gare le déposa aux marches mouillées de son palais, mais cette heureuse disposition fut de courte durée : dans le grand vestibule décoré de tapisseries anciennes et de quatre lanternes de galère en bronze doré, Guy Buteau discutait avec un personnage qui n’eût pas produit une impression particulière sur Aldo s’il n’avait été accompagné, deux pas en arrière, d’un officier du  Fascio. Qui d’ailleurs ne prenait aucune part à l’entretien, occupé qu’il était à examiner ses ongles. Ce qui ne voulait pas dire qu’il n’écoutait pas. L’autre était un individu sans couleur distinctive, si ce n’était celle de sa jaquette officielle : taille moyenne, âge moyen, visage arrogant, cheveux gris fer et teint gris-vert. Quant à Guy, il en arrivait à l’exaspération. Au moment où Aldo posait le pied sur les dalles de marbre blanc, il entendit :

— Je ne peux pourtant pas le faire sortir des murs ! En quelle langue faut-il vous dire que le prince Morosini est absent ?

— Je l’étais mais je ne le suis plus, mon cher Guy ! intervint Aldo en lançant à Zaccharia le trench-coat qu’il portait sur le bras. Que désire ce monsieur ?

L’inconnu eut un soupir de soulagement mais ce fut le milicien qui répondit, sans pour autant perdre ses ongles de vue :

— Nous venons de Rome. J’ai été chargé par le Duce d’escorter M. El-Kouari, détaché de l’ambassade d’Égypte.

— J’apprécierais, capitaine, que vous me regardiez lorsque vous me parlez, mais si ce petit travail de manucure vous paraît urgent, je peux faire appeler une femme de chambre ?

Le ton était insolent. L’officier rougit et laissa retomber ses mains. Aldo cependant continuait :

— Pourquoi M… El-Kouari – c’est bien ça ? – a-t-il besoin d’escorte pour venir jusqu’ici ?

— Son frère a été assassiné voici trois jours et il…

— … redoute de subir le même sort ? Aurions-nous, sans le savoir, déclaré la guerre à une famille égyptienne par ailleurs fort honorable, j’imagine ? Eh bien, Monsieur, nous allons voir ce que je peux pour vous ! Comme vous le voyez, j’arrive de voyage et…

— Où étiez-vous ? questionna l’homme en noir.

— Je ne pense pas que cela vous regarde, riposta Morosini qui ne pouvait supporter l’ingérence perpétuelle de ces gens dans la vie privée de ses compatriotes. Mon cher Guy, si vous avez l’obligeance de conduire notre visiteur dans mon cabinet, je me lave les mains et je vous rejoins…

Constatant que le séide du  Fascio s’apprêtait à suivre son protégé, Aldo précisa :

— L’invitation ne vous concerne pas, capitaine. Mon maître d’hôtel va vous installer dans un salon où l’on vous offrira du café pour vous faire patienter.

— Le Duce s’intéresse à cette triste affaire. J’ai ordre de ne pas quitter M. El-Kouari !

— Ce n’est pas le quitter que d’attendre à dix mètres de lui. Et il vous racontera ! Sinon vous pouvez le remmener. Je ne reçois personne dans ces conditions !

Ne pouvant plus qu’obtempérer aux volontés du maître de céans, le fasciste suivit Zaccharia et, quelques minutes plus tard, Aldo prenait place derrière son bureau – un Mazarin de la grande époque ! – en face de son visiteur, tandis que Guy se retirait. Aldo ouvrait déjà la bouche pour le prier de rester mais, à son sourire, il comprit qu’il avait l’intention d’aller surveiller discrètement le capitaine.

Après avoir offert, tour à tour, un cigare et une cigarette à son visiteur, Aldo se carra dans son fauteuil, joignit ses mains par le bout des doigts et s’enquit :

— Vous avez souhaité me voir, Monsieur, et me voici ! Que puis-je pour vous ? Ce malheureux, assassiné l’autre nuit par des malandrins, était donc votre frère ?

Il y avait une note dubitative dans sa voix et l’Égyptien le ressentit :

— Nous ne nous ressemblions guère, j’en conviens, mais c’est fréquent chez les musulmans et il était plus âgé que moi. Nous étions de mères différentes. N’en demeure pas moins le sang paternel et, si j’ai désiré vous rendre visite, c’est avant tout pour vous remercier de l’aide que vous lui avez apportée.

— N’importe qui en aurait fait autant. Mon seul regret est d’être arrivé quelques secondes trop tard. Vous voyez qu’un déplacement depuis Rome ne s’imposait pas. Surtout avec une escorte… officielle !

— Pourtant si ! Croyez-moi lorsque je vous assure que l’escorte en question n’est pas inutile. Gamal, mon frère, avait été chargé par notre souverain, le roi Fouad, de négocier l’achat – ou plutôt le rachat ! – d’un objet ancien d’une importance extrême pour… je dirai l’équilibre du pays. Sa tâche accomplie – il nous l’avait fait savoir –, il avait jugé plus prudent… et plus rapide de prendre le rail de préférence à un paquebot où il se fût retrouvé à la merci de ses ennemis sans pouvoir bouger…

— Il fallait pourtant qu’il en vienne là à un moment ou à un autre ?

— Évidemment, mais il avait choisi Venise parce que le trajet est bien moins long et parce qu’il avait ici un ami sûr qui pouvait lui retenir discrètement son passage. Je suppose qu’il devait revenir de chez cet ami – que nous ne connaissons pas – lorsqu’il a été attaqué. Apparemment ses agresseurs étaient mieux renseignés que nous, puisque mon frère a été assassiné et dépouillé.

Décidément Aldo n’aimait pas cet homme. Son histoire sonnait faux tant elle était invraisemblable. Ainsi cet homme déjà âgé se serait embarqué pour l’Angleterre, y aurait récupéré un « objet » dangereux et serait revenu en sautant d’un train dans un autre puis dans un bateau, et tout cela sans la moindre protection, alors qu’on avait jugé hautement nécessaire de faire escorter ce type – nettement plus costaud ! – par un aide de Mussolini pour le seul trajet de Rome à Venise et retour ? C’était difficile à avaler !