Выбрать главу

— Tripes à l’air ou pas, je n’accepterai jamais !

Les yeux noirs brillèrent d’un éclat quasi dément sous l’arc touffu des sourcils :

— Oh, si… afin de lui éviter un univers de souffrance ! Vous torturer, vous, serait inutile mais je crois que vous n’apprécierez pas de l’entendre crier sous le scalpel ou le fer rouge ? Ce sabre n’est là que pour vous faire comprendre que vous n’avez aucune chance de m’échapper… À moins que vous ne préfériez que je la décapite ici même et devant vous ? Qu’on l’amène, ordonna-t-il.

— Vous êtes un fier misérable ! cracha Adalbert avec dégoût.

Derrière leur sarcophage, Aldo et sa compagne suivaient le déroulement de la scène, envahis par une colère grandissante :

— On va supporter ce spectacle encore longtemps ? souffla Plan-Crépin.

— Je ne crois pas, non… ! Attendons encore un peu, mais à mon signal je tirerai sur Assouari et vous sur l’échalas qui est à sa droite et qui doit être le chef des Nubiens. Espérons seulement…

Il s’interrompit, levant machinalement la tête pour suivre la trajectoire d’un avion qui passait juste au-dessus des ruines, ayant déjà amorcé sa descente :

— Où va-t-il à cette heure-ci ?

— Il y a un petit aérodrome à l’est de la ville, à trois ou quatre kilomètres, répondit machinalement Plan-Crépin. Je me demande ce qu’il vient faire ?

— Ne rêvez pas d’une aide quelconque ! Le temps que ses occupants arrivent jusqu’ici, il sera trop tard ! Regardez plutôt qui est là-bas, en haut des marches !

L’énorme silhouette de Keitoun venait de s’inscrire dans le paysage, interdisant toute possibilité de fuite à Adalbert en admettant qu’il en ait éprouvé l’envie. Après un bref regard vers le ciel, les acteurs du drame qui se jouait dans les ruines allaient pouvoir reprendre leur dialogue tendu. Les Nubiens exécutaient l’ordre d’Assouari. Deux d’entre eux amenaient Salima qu’ils jetèrent sans ménagement aux pieds du maître. Dans ce qu’on pourrait appeler une tunique blanche qui la révélait et sur laquelle croulaient ses cheveux noirs, elle avait l’apparence d’un fantôme tant elle était pâle et défaite, ses mains étaient liées d’une corde.

— Bon Dieu ! rugit Adalbert. Que lui avez-vous fait ?

L’autre n’eut pas le loisir de répondre. Vivement relevée d’une torsion des reins, Salima s’était mise à courir. Elle criait :

— Fuyez, Adalbert… ! Allez-vous-en !

Elle ne venait pas vers lui pourtant mais dirigeait sa course en direction des énormes rochers surplombant le Nil. En dépit de ce qu’elle avait pu subir, elle avait la légèreté, la rapidité d’une gazelle. Tellement que les hommes la regardaient, fascinés. On entendit Assouari hurler :

— Rattrapez-la, bande d’idiots ! Remuez-vous !

Les Nubiens s’élancèrent, mais elle était pieds nus, eux encombrés de leurs babouches. L’avance de Salima s’accentua. Elle sortit des ruines, atteignit le plus élevé des rochers. On l’entendit appeler « Karim », puis la mince forme blanche disparut. Les eaux du fleuve-roi venaient de l’engloutir comme elles avaient, jadis, emporté son père…

— Tas d’empotés ! s’époumona Assouari. Je vous ferai écorcher vifs…

Le coup de feu lui coupa la parole. Atteint au cœur, il vacilla un instant sur ses jambes avant de s’écrouler dans le sable. Tous les autres parurent se pétrifier. Dans leur coin, Aldo et Marie-Angéline se regardèrent. Aucun d’eux n’avait tiré…

— Par tous les saints du paradis ! s’exclama Plan-Crépin en se signant précipitamment, regardez ça !

Sortant de derrière un tas de pierres assez proche de leur sarcophage, une grande femme entièrement vêtue de noir mais portant de magnifiques bijoux d’or et de rubis s’avançait dans la lumière incertaine des torches, tenant toujours à la main le pistolet dont elle venait de se servir de façon si magistrale. La plupart des hommes s’enfuirent. Seuls demeurèrent les porteurs de torches, peut-être à cause de ces flammes dont ils devaient penser qu’elles les protégeraient des maléfices de l’apparition…

— La princesse Shakiar ! murmura Aldo. Elle vient de venger sa fille !

L’ex-souveraine se tenait à présent, droite au point d’en être rigide, près du corps de ce frère qu’elle avait sans doute trop aimé. Elle resta à le contempler sans qu’il fût possible de lire sur son visage la moindre trace d’émotion. Puis elle appela :

— Vous êtes là, prince Morosini ?

À son tour, Aldo entra dans la lumière des torches :

— Me voici à vos ordres… Votre Majesté ! répondit-il en s’inclinant avec un respect qu’il n’aurait jamais pensé éprouver un jour pour elle.

Elle eut un pâle sourire pour ces deux mots qui lui rendaient le trône :

— On tient aux traditions, dans votre famille !

— Je viens de voir une souveraine exerçant sa justice et non la princesse Shakiar abattant un criminel dangereux ! fit-il, sincère.

— Tout le monde ne pensera peut-être pas comme vous…

Elle se tournait vers l’escalier où s’inscrivait si peu de temps auparavant la lourde silhouette de Keitoun… il n’y avait plus que celle d’Adalbert. On l’entendit rire :

— Je voulais lui dire deux mots mais il a préféré battre en retraite.

Un bruit de moteur souligna la fuite du gros homme tandis qu’Adalbert revenait les rejoindre. À son tour, il s’inclina devant l’ex-souveraine :

— Je vous dois plus que la vie, Madame. Il ne m’aurait pas laissé sortir vivant de la captivité qu’il me destinait. C’est vous, je pense, qui avez prévenu Morosini du lieu du rendez-vous ?

— Vous avez raison, c’est moi. J’avais fait en sorte que l’on me croie repartie au Caire et j’ai vécu cachée ces derniers jours mais il y avait auprès d’Ali un serviteur qui m’était resté fidèle. Il m’a prévenue, et vous connaissez la suite… Vous étiez l’ultime planche de salut pour Salima. Simplement, elle l’a repoussée. Elle aimait trop ce jeune Karim pour souhaiter lui survivre… surtout après ce que ce monstre lui a fait subir ! soupira-t-elle en lançant un regard de dégoût vers le cadavre.

— Qu’allez-vous faire, à présent ? demanda Aldo.

— On va le porter au palais. Dans la nuit de demain, il recevra sa sépulture parmi les tombeaux des princes d’Éléphantine ! C’est là qu’est sa place.

— Vous ne craignez pas que Keitoun ne s’en prenne à vous ? Il a tout vu, fit Adalbert.

— C’est sans importance ! Tel que je le connais, il doit mourir de peur puisque son maître ne peut plus lui dicter sa conduite. Il n’osera pas m’inquiéter. Monsieur, dit-elle en s’adressant à Adalbert, voulez-vous m’accompagner jusqu’à ce rocher d’où Salima s’est jetée ? Je vous ferai reconduire ensuite…

D’un sourire qui leur donnait congé, elle salua Aldo et Marie-Angéline avant de tendre la main à Adalbert pour qu’il la guide et de faire signe aux porteurs de torches de les éclairer.

Les deux autres les regardèrent s’éloigner en direction du fleuve.

— Eh bien, je crois qu’il est temps d’aller rassurer Tante Amélie, conclut Aldo.

— Attendez une minute !

Marie-Angéline s’agenouilla près du cadavre qui était tombé face contre terre. Elle sortit de sa poche le couteau suisse dont elle ne se séparait pratiquement jamais, coupa le ruban pourpre qui apparaissait sur la nuque et récupéra la croix d’orichalque, sous l’œil vaguement choqué d’Aldo.

— Vous comptez la restituer au British Museum ?

— Vous voulez rire ? Je suis persuadée qu’on pourra en faire un meilleur usage… Et ne prenez pas cet air pudibond qui ne vous sied pas ! Il l’avait fait voler, non ? Et vous ne savez pas à quel prix !

— Vous me surprendrez toujours, ma chère ! Voici néanmoins un avatar que je ne vous connaissais pas : détrousseur de cadavres !

— Je ne fais jamais que vous imiter ! Qui donc est allé, il y a quelques années, récupérer un rubis malfaisant sur le corps d’un assassin vieux de plusieurs siècles ? Alors, les leçons…