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— Attendons, se disait Juve, et en tout cas, sauvegardons cette femme.

Un autre que le policier eût sans doute, à cet instant, songé qu’il était fort possible que toutes les paroles de lady Beltham fussent d’affreux mensonges. Un autre se serait demandé, sans aucun doute, si lady Beltham ne cherchait pas à attirer Juve dans un piège quelconque et cela sous l’inspiration de Fantômas.

Mais Juve n’avait pas cette crainte. Il n’avait même pas pensé à cette hypothèse.

Non, la douleur de lady Beltham, son effroi, sa peur, étaient sincères, réels, ce n’était pas une femme qui jouait la comédie qu’il avait devant lui.

Juve, posément, méthodiquement, logiquement, interrogeait lady Beltham. Il se faisait d’abord conter avec une minutie extrême tout ce que la grande dame pouvait savoir des dangers qu’elle courait. C’était si peu de chose que Juve n’en tirait aucun renseignement, et d’ailleurs, au fur et à mesure que la maîtresse de Fantômas lui répondait, Juve paraissait de plus en plus préoccupé :

— Madame, dit enfin le policier, interrompant lady Beltham, j’ai un aveu à vous faire.

— Lequel, Juve ?

— Celui-ci : je vous ai promis de vous protéger, je considère que c’est mon devoir et je n’y faillirai pas. D’autre part, vous m’avez dit vous-même, madame, que votre devoir vous empêchait de m’aider à arrêter Fantômas. Vous jugez qu’une trahison serait indigne de vous, ce sont bien là vos sentiments ?

— Oui, Juve.

— Je le comprends. Eh bien, madame, je dois vous avouer que si je veux réellement vous protéger, il faut aussi, et ce sera une autre partie de mon devoir, que je tâche encore et toujours d’appréhender votre sinistre amant. Il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque honteuse entre nous, nous ne sommes pas amis, madame, nous pouvons être des ennemis sans haine. Vous comprenez dans quelle situation délicate je me trouve ? J’accepte de vous sauvegarder, mais je revendique le droit de continuer à poursuivre Fantômas, même et surtout en vous sauvegardant. Acceptez-vous ?

— Sauvez-moi ! répondit simplement lady Beltham.

C’était presque un abandon que consentait ainsi la maîtresse de Fantômas mais comment refuser à Juve ce qu’il demandait ? Comment le détourner de vouloir arrêter Fantômas ?

Et puis, lady Beltham, au fond de son cœur, n’avait-elle pas, par moments, un commencement de révolte à l’égard de celui qu’elle accusait de comploter sa mort ?

Juve, désormais, ayant mis en paix sa conscience par l’aveu qu’il venait de faire à lady Beltham, machinait en grande hâte une souricière qui devait, infailliblement, amener la capture du bandit.

Il obtint sans grand-peine de M. Havard que l’on mît quatre agents sous ses ordres :

— Donnez-moi Léon et Michel avec qui j’ai l’habitude de travailler, demandait Juve. Donnez-moi enfin Nalorgne et Pérouzin, dont l’automobile peut m’être précieuse.

M. Havard ayant laissé à Juve toute latitude pour organiser comme bon lui semblerait l’enquête qu’il s’apprêtait à mener, le policier se rendait chez lady Beltham, chez la comtesse de Blangy plutôt, avenue Niel.

— Vous allez commencer, ordonnait Juve, par renvoyer tout votre personnel. Il faut qu’il n’y ait personne ici qui puisse être accusé de complicité.

— Je ferai ce que vous voudrez, Juve.

Lady Beltham était si accablée qu’elle consentit à tout ce que voulait le policier, avec l’indifférence réelle de ceux qui vont mourir.

Les domestiques congédiés, Juve employait la nuit du cinq au six, puis encore la journée du six, à une étrange besogne. Aidé de Léon et Michel, il sondait minutieusement les murs, le sol de la chambre où couchait lady Beltham.

— Fantômas est capable de tout, murmurait de temps à autre, le policier, donc il faut se méfier de tout.

Et Juve ne laissa pas un pouce de muraille inexploré. Il s’assurait, avec son habileté coutumière, que l’appartement n’était pas, ne pouvait pas être truqué, même il poussait les précautions jusqu’à garnir de planches épaisses, de madriers de chêne, une des deux portes de la chambre à coucher de lady Beltham.

— Une porte à surveiller, disait Juve, c’est déjà beaucoup, c’est déjà bien assez.

La fenêtre, pareillement, fut enclouée.

— Madame, disait Juve, c’est un véritable siège qu’il faut vous attendre à soutenir, et par conséquent, il faut renforcer les barricades.

Juve, d’ailleurs, avait intimé à lady Beltham l’ordre exprès de ne point s’écarter de lui. Et lady Beltham, qui ne savait pas comment la police procédait, s’effarait de plus en plus en considérant le soin avec lequel Juve préparait les travaux de défense, pour ce qu’il appelait : un siège.

— Vous courrez le plus grand danger dans la nuit du six au sept, expliquait Juve. Lorsque Fantômas s’est permis d’annoncer à l’avance un assassinat – et cela hélas, lui est déjà arrivé, – il a toujours tenu parole à l’heure fixe, à la date choisie. J’ai donc tout lieu de croire que si réellement nous arrivons à éviter pour vous tout danger jusqu’au sept au soir, vous serez hors d’atteinte, et peut-être Fantômas sera dans nos mains. D’ici là, tout est danger, tout est péril.

Mais, en vérité, Juve multipliait à ce point les précautions, qu’il apparaissait bien que si Fantômas avait réellement l’intention de tuer lady Beltham, il devrait y renoncer.

Le policier, en effet, poussait le soin jusqu’à envoyer par Nalorgne et Pérouzin, accompagnés de Michel, tous les aliments de lady Beltham au Laboratoire municipal, où ils étaient scrupuleusement analysés. Lady Beltham, de la sorte, ne pouvait pas être empoisonnée.

Juve, de même, avait pris des précautions savantes pour éviter qu’une balle de revolver ou de fusil ne vînt brusquement déjouer ses ruses, comme cela était arrivé tout dernièrement pour le malheureux Timoléon Fargeaux [27].

Sur la fenêtre enclouée, Juve avait rabattu les volets de fer et, entre les carreaux et les persiennes, fait disposer une épaisse couche de coton. Juve, enfin, pensait n’avoir omis aucun détail, aucune idée susceptible d’augmenter la sécurité de lady Beltham.

L’appartement qu’occupait cette dernière, avenue Niel, étant situé au rez-de-chaussée, Juve, après avoir visité les lieux, avait d’urgence réclamé à la Préfecture six nouveaux agents de la Sûreté. Trois étaient postés par lui à quelque distance dans l’avenue Niel, où ils devaient seconder le zèle malheureux, et le plus souvent maladroit de Nalorgne et Pérouzin, un autre était posté sur le toit de l’immeuble, les deux derniers devaient s’enfermer dans l’appartement avec Juve.

Le six au soir arriva enfin. Juve mit la main aux derniers préparatifs. Le policier jeta un coup d’œil satisfait à la chambre de lady Beltham, transformée en véritable casemate blindée.

— Là, déclarait-il en se frottant les mains, entrez, madame, et préparez-vous à ne pas sortir avant deux jours au moins. Vous pouvez vérifier d’ailleurs, que vous ne courrez réellement aucun danger. La fenêtre est bouclée, une de vos portes est barricadée de façon inébranlable, enfin, cette nuit même, moi, Léon et Michel, nous veillerons à votre porte, immédiatement devant l’entrée de votre chambre. Vous savez où sont les autres agents, et j’imagine en conséquence que vous vous rendez bien compte qu’il serait absolument impossible à Fantômas de vous approcher sans se faire prendre à l’instant même.

Juve l’interrogea :

— Vous n’avez plus peur ?

— Je n’ai plus peur, répondit lady Beltham.

Mais, en entrant dans cette chambre, que la police venait de mettre à l’abri des tentatives criminelles de son amant, lady Beltham frissonnait.

Il était évidemment sot d’avoir peur, et pourtant, elle ne pouvait se sentir rassurée, elle qui savait que Fantômas était partout, quand bon lui semblait, comme bon lui semblait, et, en dépit de tout ce que l’on pouvait tenter pour l’empêcher de mettre à exécution ses décisions infernales.