Выбрать главу

— Juve, déclarait lady Beltham, comme le policier lui souhaitait bonne nuit, Juve, je vous remercie de ce que vous avez fait pour moi. Quoi qu’il arrive, souvenez-vous que du fond du cœur, je vous rends grâce.

— Quoi qu’il arrive ? demanda Juve.

Le policier avait tâché de plaisanter, encore qu’il en eût peu envie, lorsque lady Beltham, ne lui laissant pas le temps de répondre, ferma la porte de sa chambre, qu’elle verrouilla à l’intérieur.

Juve, à cet instant, faisait piètre figure, si piètre figure même que Michel, qui faisait les cents pas dans la galerie devant la porte de la chambre de lady Beltham, plaisanta un peu l’inspecteur de la Sûreté :

— Voyons, chef, disait-il, il me semble que nous pouvons dormir sur les deux oreilles, que diable ! Nous avons vérifié l’épaisseur des murailles, il n’y a qu’une porte et nous sommes devant. Nous avons des agents dans la rue et sur les toits, je ne vois pas…

— Michel, dit Juve, vous ne voyez pas ce que Fantômas pourrait faire ? Hélas, c’est précisément parce que nous ne voyons pas cela que cela est à redouter.

Et, en employant ce terme indéfini, ce terme qui ne voulait rien dire : « cela », cela, qui signifiait tout et rien, Juve évoquait tant d’horreurs, tant d’effroyables mystères, que Michel, ému à son tour, se taisait, se rendant compte subitement qu’il avait peut-être parlé vite, et parlé à la légère.

***

Ce même soir, à minuit, un homme se glissait à l’intérieur du cabaret du père Korn. Cet individu paraissait nerveux, et, tenant évidemment à ne pas être vu, portait le col de son veston relevé, enfonçait sur sa tête une casquette épaisse, et se coulait le long des banquettes vers le coin le plus sombre du bouge.

Cet homme était Fantômas.

L’extraordinaire bandit s’était, ce soir-là, si bien grimé, avait si bien changé sa mine, affectait une démarche si différente de sa démarche habituelle que personne ne le reconnaissait parmi les habitués du cabaret, personne ne prêtait même attention à lui.

Il y avait là pourtant nombreuse réunion, et réunion de gaillards réputés pour leurs crimes, célèbres aussi pour avoir appartenu plus ou moins à la bande de Fantômas.

Debout contre le comptoir, le Bedeau trinquait avec Mort-Subite. Tous deux faisaient grand tapage, jouant à tour de rôle des consommations qu’ils engloutissaient à la minute, à une sorte de zanzibar, en s’efforçant de tricher.

Plus loin, groupés autour d’une table, Tête-de-Lard, Beaumôme, la grande Berthe, remise en liberté, en raison du retrait de la plainte de la comtesse de Blangy, Œil-de-Bœuf et Bec-de-Gaz écoutaient l’inénarrable Bouzille qui faisait des projets d’entreprise :

— Moi, déclarait Bouzille, j’vas m’établir fromager. Vendre du fromage, ça doit être un bon truc. D’abord, on n’a pas besoin de faire de la publicité, la marchandise sent tellement fort qu’à dix kilomètres à la ronde le client est prévenu qu’il est dans les parages.

— Vrai Dieu ! s’écria Œil-de-Bœuf, qui paraissait entre deux vins et buvait avec conviction les plus forts mélanges du père Korn. Vrai Dieu, il exagère, le patron !

— Quel patron ? demandait Bec-de-Gaz.

— Fantômas.

Naturellement, au nom de sang, au nom du Tortionnaire, au nom du Glorieux – car pour tous les apaches, Fantômas passait pour une véritable Gloire –, l’intérêt se manifestait sur tous les visages :

— Fantômas, criait-on, t’en as des nouvelles, Œil-de-Bœuf ? Ouss’ce qu’il est ?

Et, de fait, tous les bougres réunis là pouvaient se demander ce qu’était devenu le bandit.

Depuis l’affaire de l’autobus, depuis l’affaire de la Banque, sauf aux Buttes-Chaumont, nul dans la pègre ne l’avait revu.

Tête-de-Lard était le dernier qui lui avait parlé, et naturellement, chacun songeait qu’un jour ou l’autre, Fantômas reviendrait se mettre à la tête de la bande.

— Ce qu’il médite, continuait pourtant Œil-de-Bœuf, vous ne le savez pas, les copains ?

— Non, quoi ?

— Paraît qu’il va zigouiller sa gonzesse !

Mais à ces mots, la stupéfaction se peignit sur tous les visages. Certes, personne, parmi tous ces apaches ne connaissait exactement la vie de Fantômas, ce qu’il voulait, ce qu’il faisait, ce qu’il était en réalité. Pourtant, les uns et les autres soupçonnaient à peu près, s’ils ne le savaient point véritablement, que Fantômas avait une maîtresse qui s’appelait lady Beltham, qui était une femme de la haute et qui l’aimait tendrement. Les journaux, à maintes reprises, avaient parlé de cette énigmatique personne. Interrogé sur ce point, Fantômas avait dédaigné de répondre, mais cependant avait laissé entendre qu’il était vrai qu’il avait une maîtresse et qu’il l’aimait. Et voilà que c’était cette femme, cette « gonzesse-là » qu’il se préparait à tuer. Ah ! Œil-de-Bœuf en avait de bonnes ! La société réunie dans le bouge s’étonnait.

À ne jamais connaître exactement la maîtresse de Fantômas, tous s’étaient habitués à la diviniser un peu, à la considérer comme une créature extraordinaire.

Et Fantômas voulait la tuer ?

Ah non, cela ne prenait pas.

— C’est rigolo tout de même, disait Bec-de-Gaz, ce qu’Œil-de-Bœuf a l’imagination puissante ! Voilà maintenant qu’il jaspine que Fantômas veut crever sa poule. Non mais des fois ! Ouss’qu’il a été pêcher ça ?

Et Mort-Subite ajouta :

— Parbleu, si on voulait être renseigné, faudrait voir à trouver Bébé. Lui la connaît, lady Beltham. Il pourrait bien nous dire si y sait qu’il y a eu du grabuge dans le ménage.

Bébé, jadis, en effet, avait rencontré lady Beltham lorsqu’il l’avait conduite, batelier improvisé, au Phare de l’Adour [28]. Bébé pour cela même, jouissait d’une certaine réputation auprès de ses compagnons. Mais Bébé n’était pas là.

Et puis, Œil-de-Bœuf insista :

— Eh bien les potes, déclarait l’apache, c’est pourtant tout juste exactement comme je vous le dis. C’est le bruit qui court partout. Cet après-midi, on me l’a dit aux Halles, et il paraît que ça se répétait aussi à Montrouge. Fantômas en a assez de la dame, et il lui a proprement écrit qu’il allait la zigouiller.

— Quand ? demanda Bec-de-Gaz.

— Cette nuit ! Même que Juve avec tous les flics de la Tour Pointue [29] sont autour de la gironde [30], histoire de lui faire un rempart. Tu parles que si Fantômas veut descendre sa gerce, ça va le gêner le moins du monde.

Et Œil-de-Bœuf qui était décidément lancé, tapait à tour de bras sur la table :

— Holà, père Korn, une tournée générale ! C’est moi qui raque, et v’là les sous. On boit à la santé de Fantômas qui redevient garçon. Paraît que c’est son goût, à c’t’homme, d’être un peu veuf.

Il y eut des grands rires. Puis quelqu’un sursauta :

— Tiens, qui c’est qui vient de refermer la porte ?

Du même geste, tous tournèrent la tête. Un homme inconnu, à figure de pauvre hère, qui paraissait sommeiller à l’entrée du mastroquet, était parti.

Les autres, un instant, demeuraient stupéfaits, inquiets de cette disparition furtive. Le père Korn, lui se précipitait.

— Ah nom de Dieu ! hurlait le cabaretier. Et il n’a pas raqué, ce salaud-là !

Mais, arrivé à la table où l’homme avait pris place, le père Korn s’immobilisa.

— Eh ben, mes cochons, radinez voir…

Les apaches se bousculèrent. Sur la table il y avait un louis de vingt francs. À côté, il y avait, gravé, à la pointe du canif sur le vernis du bois, une inscription :