« Fantômas vous prie tous de vous taire, il n’aime pas les bavards ».
La grande Berthe avait épelé cette phrase d’une voix tremblante.
— C’était lui, bon Dieu ! hurla-t-elle.
Et le Bedeau lui-même confirmait la supposition :
— Sûr que c’était lui !
Puis Œil-de-Bœuf avait un claquement de langue :
— M’est avis que si Fantômas est parti, s’il court les rues à c’t’heure-ci, cette nuit précisément, eh bien, la lady Beltham elle n’a qu’à se tenir sa peau à deux mains et à préparer du fil pour la recoudre au besoin. Le Fantômas pourrait bien s’être barré pour aller la crever…
***
Sorti du cabaret du père Korn, Fantômas avait suivi la rue de la Charbonnière et gagné les boulevards extérieurs en grande hâte.
Il n’avait pas perdu un mot de ce qu’avaient dit les apaches et, entré au cabaret tout souriant, ne paraissant nullement préoccupé, il en sortit le front soucieux, se mordant les lèvres, l’air hagard.
Fantômas était-il tout simplement furieux de voir que l’on savait dans la pègre la mystérieuse affaire de la menace de mort adressée à lady Beltham ?
Était-il, au contraire, bouleversé en apprenant que tout le monde croyait que c’était lui qui menaçait sa maîtresse ?
Fantômas, ayant marché jusqu’à la place Clichy, puis ayant baissé le col de son veston, arrangé savamment sa casquette pour se donner l’air plus présentable, il héla un taxi-auto.
L’infernal bandit possédait vraiment l’art subtil de se grimer en moins de rien. Il lui suffisait de changer quelques détails à son costume, d’affecter une nouvelle démarche, pour devenir méconnaissable. Dans le cabaret du père Korn, Fantômas avait eu l’air d’un pauvre bougre, d’un apache. Place Clichy, il apparaissait plutôt comme un honnête ouvrier attardé.
— Conduisez-moi à la gare de Courcelles ! ordonna-t-il au chauffeur.
Arrivé place Pereire, il paya le prix du voyage, et prit l’avenue de Niel.
Fantômas était de plus en plus soucieux. Il serrait les dents. Par moments, ses poings se crispaient. Une colère sourde évidemment l’envahissait petit à petit. Soudain, son front se rasséréna :
— Ah, fit-il, Juve n’est pas trop bête.
À quelque distance, Fantômas venait d’apercevoir une voiture automobile rangée le long du trottoir, autour de laquelle deux hommes s’affairaient, dans l’intention apparente de regonfler les pneumatiques. Fantômas avait immédiatement reconnu Nalorgne et Pérouzin.
— Évidemment, murmurait le bandit, si Juve a placé là ces deux fantoches, c’est dans l’intention de me faire comprendre que la place est surveillée. Ou je me trompe fort, ou lady Beltham doit être gardée, et strictement gardée par les plus fins limiers de la Préfecture. Je jurerais que son appartement est bondé d’inspecteurs. Juve est là je pense.
Le bandit avança encore de quelques mètres, insoucieux du danger qu’il courait à se montrer dans ces lieux :
— Très bien, murmura-t-il encore, il y a une étincelle sur le toit. Je dois en conclure qu’il y a là un inspecteur de la Sûreté, et que cet imbécile, en dépit des ordres formels qu’à dû lui donner Juve, se permet d’en griller une.
Fantômas avançait toujours. Il arrivait à la hauteur de la voiture automobile. Il appela, d’une voix tranquille :
— Nalorgne ! Pérouzin !
— Qui va là ? hurla Pérouzin.
— Pas un pas ou vous êtes mort ! cria Nalorgne.
Et Nalorgne brandissait, terrible, une pompe à pneumatiques.
Fantômas s’embarrassa peu de cette façon de le recevoir.
— C’est moi, déclara-t-il simplement, en considérant les deux policiers. J’imagine que vous êtes toujours mes amis ?
Fantômas ne menaçait pas Nalorgne et Pérouzin, mais il tenait son browning à la main, sans ostentation.
Et Nalorgne et Pérouzin, immédiatement, comprirent qu’il valait mieux ne pas tenter une arrestation qui pouvait être périlleuse.
— Évidemment, répondait Nalorgne, nous sommes toujours vos amis.
Et Pérouzin continuait :
— Et puis on ne s’occupe plus guère de police. Nous avons bien assez à faire avec notre voiture. C’est compliqué d’arrêter les gens, mais c’est encore plus compliqué de faire marcher cette bagnole-là.
Ce n’était pas le moment de plaisanter et Fantômas l’interrompit rudement :
— Taisez-vous ! ordonna-t-il. Vous n’avez qu’à répondre à mes questions et voilà tout. Que faites-vous ici ? Où est Juve ?
— Là-bas, répondait Pérouzin en clignant de l’œil, chez lady Beltham.
— Seul ?
— Non, avec Léon et Michel.
— Il y a d’autres agents ?
— Oui, on en a mis partout, affirma Nalorgne, d’un ton satisfait.
Et il interrogea :
— Avez-vous vraiment l’intention de tenter quelque chose cette nuit, Fantômas ?
Mais à ce moment, Fantômas paraissait de meilleure humeur que quelques instants avant. Il considérait à nouveau Nalorgne et Pérouzin campés devant lui :
— Vous êtes des imbéciles, déclara le Maître, mais vous n’êtes pas de méchantes gens, je m’en souviendrai.
Et, sur cette phrase énigmatique, il tourna les talons, il s’éloigna.
Or, à peine était-il parti, que Nalorgne et Pérouzin se regardèrent stupéfaits :
— Qu’est-ce que cela veut dire ? dit Nalorgne.
— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Pérouzin.
La silhouette de Fantômas, à ce moment, disparaissait dans le haut de l’avenue Niel.
— Il ne va rien se passer du tout, reprit Nalorgne.
— Ou s’il se passe quelque chose, ajouta Pérouzin, c’est que Fantômas se fera arrêter. Parbleu, nous sommes là.
— Oui, nous sommes là ! répéta son acolyte avec fierté. Quand Fantômas vient seulement se renseigner, on peut causer. Cela ne fait pas de mal, mais s’il tentait quelque chose…
Et le fantoche prit une pose farouche.
***
À six heures du matin, Juve seulement commençait à respirer. La nuit avait été très calme, aucun incident ne l’avait marquée, Fantômas n’était point venu. Rien ne s’était passé, lady Beltham était sauve, évidemment.
Juve qui, de la nuit, n’avait fermé l’œil et s’était continuellement promené en compagnie de Léon et Michel dans la galerie sur laquelle s’ouvrait la porte de la chambre de lady Beltham, se frotta les mains avec satisfaction.
— Léon, dit-il, mon vieux Léon, Fantômas, pour une fois, aura eu peur de nous, aussi parbleu, nos précautions étaient trop bien prises. Il ne pouvait rien contre lady Beltham. Il a eu l’intelligence de comprendre qu’il valait mieux s’abstenir que de s’exposer à un échec.
— Oui, dit Léon. Et vous croyez, patron, que maintenant lady Beltham est sauve ?
— Je suis tenté de le croire.
À ce moment, dans la chambre où reposait la maîtresse de Fantômas, un réveil sonna. Juve était convenu la veille avec lady Beltham que ce réveil sonnerait à six heures du matin. Lady Beltham devait alors immédiatement se lever et ouvrir la porte au policier.
— Attention, dit Juve joyeusement. Nous allons voir la rescapée et peut-être après les émotions de cette nuit, voudra-t-elle bien nous faire quelques confidences ?
Juve espérait, en effet, que, sauvée de Fantômas, lady Beltham se déciderait à parler. Il ajouta cependant :
— Mais soyons respectueux, laissons à lady Beltham le temps de se lever.
Juve et les deux agents causèrent encore quelques minutes, puis soudain Juve devint nerveux :
— Ah ça, déclara le roi des policiers, c’est extraordinaire. Est-ce que par hasard lady Beltham dormirait si bien que le réveil ne l’aurait point tirée de son somme ?
Juve s’approcha de la porte et frappa des coups d’abord timides, puis bientôt plus forts.
— Lady Beltham ! appela-t-il. Lady Beltham !