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Aucune réponse.

Les trois hommes se reculèrent, et, sans même s’être concertés, à coups d’épaule, firent sauter la porte hors de ses gonds.

À peine, d’ailleurs, un battant était-il tombé que Juve bondissait dans la pièce.

Il s’élançait avec une impétuosité folle et, soudain, de stupeur, au milieu de la pièce, il s’immobilisa :

— Ah malédiction ! hurlait le policier.

Sur le lit de milieu, dans la chambre close, dans la chambre barricadée, dans la chambre où personne n’était entré, où personne, matériellement, n’avait pu entrer, lady Beltham était étendue immobile, glacée, morte.

19 – LA SUBTILE ASPHYXIE

Fandor était depuis quelques instants arrivé au Théâtre Ornano et cherchait avec peine à découvrir le père Coutureau parmi la foule des figurants, des machinistes.

Ce fut un pompier, le fameux pompier de service que l’on rencontre inévitablement dans tous les théâtres, occupé à dévisager les actrices, qui finit par prendre en pitié le malheureux journaliste et lui indiqua celui qu’il cherchait.

— Voilà M. Coutureau.

— C’est pas malheureux, grogna Fandor.

En même temps il se précipita vers le brave homme et l’empoigna par le bras :

— C’est vous monsieur Coutureau ?

— Moi-même, jeune homme. Qu’est-ce qu’il y a pour votre service ?

— Je viens plutôt pour le vôtre, ripostait Fandor.

Et comme le père Coutureau le regardait, interloqué, Fandor entraînait le brave homme à l’écart :

— C’est au sujet de votre fille Rose que je me trouve ici.

Immédiatement la figure du père Coutureau se rembrunit.

Depuis quelque temps, le pauvre malheureux n’avait guère l’habitude d’entendre parler de sa fille sans qu’il en résultât pour lui des inquiétudes ou des ennuis. Qu’allait-il encore apprendre ?

— Vous venez au sujet de ma fille ? répondait le père Coutureau. Expliquez-vous, monsieur.

Il n’appelait plus Fandor « jeune homme », il devenait respectueux. Le journaliste nota la nuance.

— Écoutez, reprit Fandor, il faut que j’aille vite et droit au fait, par conséquent tâchez de me répondre avec franchise.

— Mais qui êtes-vous ?

— Quelque chose comme un policier.

La réponse était vague et le père Coutureau roulait des yeux stupéfiés.

— Bon, bon, faisait-il, parlez !

— Voilà, continuait Fandor. Vous avez lu les journaux ce matin ?

— Oui, monsieur.

— Vous avez vu alors que la comtesse de Blangy, ou plus exactement lady Beltham, car telle était en réalité le nom de cette grande dame, était morte assassinée ?

— Oui. Après ?

Le front du père Coutureau se barra d’un pli soucieux. Ce début de conversation ne laissait préjuger rien de bon à son avis. Qu’allait-il encore apprendre ?

— Eh bien, poursuivit Fandor, à tort ou à raison, la police se figure que votre fille est pour quelque chose là-dedans.

— Ma fille ? Seigneur Dieu !

Le père Coutureau leva les bras au ciel, il protesta avec effarement :

— Mais jamais Rose n’a connu lady Beltham.

— Çà, faudrait pas me la faire ! Je veux bien être gentil, monsieur Coutureau, mais, en revanche, ne vous payez pas ma tête, ça coûte cher d’ordinaire. Votre fille n’a peut-être pas connu lady Beltham mais elle a sûrement connu la comtesse de Blangy, puisqu’elle l’a volée.

— Elle l’a volée par étourderie, monsieur.

— C’est un genre de vol que la loi n’admet pas.

— Mais cette dame avait retiré sa plainte.

— Possible, cela ne change rien à l’affaire.

— Enfin, monsieur, je vous jure que Rose…

— Rose, monsieur Coutureau, va être compromise dans cette histoire-là, aussi vrai que je m’appelle Jérôme Fandor, et compromise de sale manière. Elle est en relation avec Fantômas, n’est-ce pas ?

— Dites que Fantômas l’a sauvée.

— Hein ? quoi ?

À l’extraordinaire déclaration que le père Coutureau avait faite d’un ton très calme, Fandor sursauta. Comment ? Fantômas avait sauvé Rose Coutureau ? Il l’avait sauvée de quoi ? de qui ?

Jamais Fandor n’avait pas encore entendu dire que Fantômas se fût intéressé à Rose Coutureau. Le journaliste se prit à songer que Juve avait peut-être eu grandement raison de l’envoyer faire une enquête au Théâtre Ornano. Peut-être allait-il apprendre des choses très intéressantes. L’entracte cependant s’achevait. Le père Coutureau, figurant dans la pièce, devait rentrer en scène :

— Écoutez, demandait Fandor, ça ne peut pas se passer comme cela. Continuez à jouer, monsieur Coutureau, mais je vous attends à minuit. Que diable, il faudra bien, en buvant un verre, que nous éclaircissions l’un et l’autre toutes ces choses fort mystérieuses.

***

À la sortie du théâtre, en effet, Jérôme Fandor, conduisait le père Coutureau dans un bistrot voisin où se réunissaient régulièrement les machinistes et les figurants du Théâtre Ornano.

Grand et généreux, Fandor paya une tournée au père Coutureau et tâcha de le faire parler.

Ce que le journaliste apprit alors était si inattendu, si stupéfiant, que Jérôme Fandor, par moments, pensa, que peut-être le père Coutureau n’était point l’imbécile qu’il semblait être et lui racontait des boniments inventés de toutes pièces.

Pourtant, le vieil habilleur parlait avec une profonde conviction.

— Oui, disait-il, Fantômas est une crapule aux yeux de la police, mais moi et ma fille, nous n’avons pas le droit de le considérer autrement que comme un sauveur. C’est lui qui a tiré Rose d’affaire, c’est lui qui l’a empêchée d’être condamnée comme voleuse. Tout ce que voudra Fantômas, je le ferai. Et tout ce qu’il demandera à Rose, elle le fera.

— Mais bougre de nom d’un chien ! tonna le journaliste. Triple idiot que vous faites ! Père Coutureau, vous ne voyez donc pas que Fantômas s’est proprement payé votre figure et celle de votre fille ? Il l’a sauvée, c’est possible, mais il ne l’a pas sauvée de grand-chose, puisque après tout, la comtesse de Blangy devait retirer sa plainte le lendemain même. Et puis, toutes ces aventures-là, ce sont des aventures inquiétantes, et comment ne comprenez-vous pas que Fantômas n’a agi de la sorte que pour compromettre votre fille en la mêlant à l’assassinat de lady Beltham, ce qui probablement lui est d’une utilité que nous ne connaissons pas encore.

Le père Coutureau, aux paroles de Fandor, commençait à hésiter. Brave homme mais d’esprit peu ouvert, il avait la réflexion lente. Ce qu’on lui disait lui semblait vraisemblable, mais, il avait peine à imaginer que Fantômas, auquel il vouait un culte depuis quelque temps, était peut-être peu digne de son admiration, et même avait peut-être cherché à lui nuire et à nuire à sa fille.

— Non, mon bon monsieur, répétait-il, non, sûrement que vous vous trompez. Fantômas n’a pas dû vouloir compromettre Rose, et d’ailleurs… d’ailleurs, vous allez bien voir ce qu’en pensent les camarades.

Fandor n’aurait peut-être pas voulu mettre ainsi tout le monde du Théâtre Ornano au courant de son enquête, mais il ne lui était guère possible de faire taire le père Coutureau qui, très excité, à la fois épouvanté et incrédule, ne savait que penser.

— Écoutez, disait le brave homme, écoutez ! Voilà monsieur qui prétend que Fantômas, Fantômas, vous le savez bien, qui a sauvé Rose l’autre jour, va précisément la compromettre dans l’histoire de l’assassinat de Mme de Blangy.

À ces mots, surprise générale.

Bavard, le père Coutureau avait depuis longtemps conté les aventures de Rose à tout le monde au théâtre. On était donc au courant et l’on ne se privait point de mal juger les affirmations de Fandor, personnage d’autant plus suspect que personne ne le connaissait, que personne ne savait d’où il venait.